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Le repas des Scorta
Laurent Gaudé, un de nos bons écrivains français et ils ne sont pas si nombreux que cela, décrit dans son roman "Sous le soleil des Scorta" (collection Babel chez Actes Sud) un repas familial remarquable par sa simplicité et son abondance. Simplicité des recettes réalisées à partir des produits de la mer pèchés par l'hôte de ce repas et avec riz et pâtes et abondance des plats offerts par des hôtes qui veulent concenter leurs invités qui leur sont chers..
Ce repas célèbre le plaisir de se retrouver et de bien manger pour des gens dont le quotidien est aléatoire, qui vivent de peu et pour qui un bon repas est important et se remplir le ventre une nécessité.
J'ai choisi pour l'illustrer un tableau de Renoir qui se passe au bord de l'eau et montre le plaisir simple de se retrouver autour d'une table.
« Ils étaient une quinzaine à table et ils se regardèrent un temps, surpris de constater à quel point le clan avait grandi. Raffaele rayonnait de bonheur et de gourmandise. Il avait tant rêvé de cet instant. Tous ceux qu’il aimait étaient là, chez lui, sur son trabucco. Il s’agitait d’un coin à un autre du four à la cuisine, des filets de pêche à la table, sans relâche, pour que chacun soit servi et ne manque de rien.
Ce jour resta gravé dans la mémoire des Scorta. Car pour tous, adultes comme enfants, ce fut la première fois qu’ils mangeaient ainsi. L’oncle Faelucc’ avait fait les choses en grand. Comme antipasti, Raffaele et Guiseppina apportèrent sur la table une dizaine de mets. Il y avait des moules grosses comme un pouce, farcies avec un mélange à base d’œuf, de mie de pain et de fromage. Des anchois marinés dont la chair était ferme et fondait sous la langue. Des pointes de poulpes. Une salade de tomates et de chicorée. Quelques fines tranches d’aubergines grillées. Des anchois frits. On se passait les plats d’un bout à l’autre de la table. Chacun piochait avec le bonheur de n’avoir pas à choisir et de pouvoir manger de tout.
Lorsque les assiettes furent vides, Raffaele apporta sur la table deux énormes saladiers fumants. Dans l’un, les pâtes traditionnelles de la région : les troccoli à l’encre de seiche. Dans l’autre, un risotto aux fruits de mer. Les plats furent accueillis avec un hourra général qui fit rougir la cuisinière. C’est le moment où l’appétit est ouvert et où l’on croit pouvoir manger pendant des jours. Raffaele posa également cinq bouteilles de vin du pays. Un vin rouge, rugueux, et sombre comme le sang du Christ. La chaleur était maintenant à son zénith. Les convives étaient protégés du soleil par une natte de paille, mais on sentait, à l’air brûlant, que les lézards eux-mêmes devaient suer.
Les conversations naissaient dans le brouhaha des couverts – interrompues par la question d’un enfant ou par un verre de vin qui se renversait. On parlait de tout et de rien. Guiseppina racontait comment elle avait fait les pâtes et le risotto. Comme si c’était encore un plaisir plus grand de parler de nourriture lorsque l’on mange. On discutait. On riait. Chacun veillait sur son voisin, vérifiant que son assiette ne se vide jamais.
Lorsque les grands plats furent vides, tous étaient rassasiés. Ils sentaient leur ventre plein. Ils étaient bien. Mais Raffaele n’avait pas dit son dernier mot. Il apporta en table cinq énormes plats remplis de toute sorte de poissons pêchés le matin même. Des bars, des dorades. Un plein saladier de calamars frits. De grosses crevettes roses grillées au feu de bois. Quelques langoustines même. Les femmes, à la vue des plats, jurèrent qu’elles n’y toucheraient pas. Que c’était trop. Qu’elles allaient mourir. Mais il fallait faire honneur à Raffaele et Guiseppina. Et pas seulement à eux. A la vie également qui leur offrait ce banquet qu’ils n’oublieraient jamais. On mange dans le Sud avec une sorte de frénésie et d’avidité goinfre. Tant qu’on peut. Comme si le pire était à venir. Comme si c’était la dernière fois qu’on mangeait. Il faut manger tant que la nourriture est là. C’est une sorte d’instinct panique. Et tant pis si on s’en rend malade. Il faut manger avec joie et exagération.
Les plats de poissons tournèrent et on les dégusta avec passion. On ne mangeait plus pour le ventre mais pour le palais. Mais malgré toute l’envie qu’on en avait, on ne parvint à venir à bout des calamars frits. Et cela plongea Raffaele dans un sentiment d’aise vertigineux. Il faut qu’il reste des mets à table, sinon, c’est que les invités n’ont pas eu assez. A la fin du repas, Raffaele se tourna vers son frère Guiseppe et lui demanda en lui tapotant le ventre : « Pancia piena ? » Et tout le monde rit, en déboutonnant sa ceinture ou en sortant son éventail. La chaleur avait baissé mais les corps repus commençaient à suer de toute cette nourriture ingurgitée, de toute cette joyeuse mastication. Alors Raffaele apporta en table des cafés pour les hommes et trois bouteilles de digestifs : une de grappa, une de limoncello et une d’alcool de laurier……
Le repas était fini. Quatre heures après s’être mis à table, les hommes s’étaient jetés en arrière sur leurs chaises, les enfants étaient allés jouer dans les cordages et les femmes avaient commencé à débarrasser.
Ils étaient maintenant tous épuisés comme après une bataille. Epuisés mais heureux. Car cette bataille-là, ce jour-là, avait été gagnée. Ils avaient joui, ensemble, d’un peu de vie. Ils s’étaient soustraits à la dureté des jours. Ce repas resta dans toutes les mémoires comme le grand banquet des Scorta. Ce fut la seule fois où le clan se retrouva au complet. Si les Scorta avaient eu un appareil photo, ils auraient immortalisés cet après-midi de partage….. »
le 18.02.19 à 12:09
dans Nourriture et littérature
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L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines.Tous les articles publiés
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