S'identifier - S'inscrire - Contact

Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

Recherche

 

Leçon de cuisine

Je dédie ce texte à Patrick qui rajoute un petit foie gras de canard à mon cassoulet pour lui donner plus de moelleux….et qui sait si bien choisir les vins qui vont diviniser les plats que je cuisine.

 

  • Les Friandises avant le potage
  • Le potage d’Adèle Pidou
  • Les fritures de Brillat-Savarin
  • Le pot au feu Dodin-Bouffant paré de ses légumes
  • La purée Soubise
  • Les desserts
  • Vins blancs de coteaux de Dézaley et de Château Grillé
  • Vins rouges de Châteauneuf du Pape, de Ségur et de Chambolle.

…..Adéle apporta le plateau chargé des friandises…Il y avait là des gelées de chanterelles et d’écrevisses, de petites truites confites, bourrées d’estragon et d’olive hachés, des saucissons frais du village de Payerne dont les chairs juteuses et grasses étaient imprégnées d’essence de bois parfumés, des hachis de pigeons à la crème, des œufs bourrés de pâte à quenelles odorante, des rôties au beurre chargées d’un dôme de foies de canards pilés, des croquettes de fromage bouillant enlaçant des aiguillettes de jambon, de minuscules grives froides et désossées, bardées de couches d’anchois, des tonnelets de laitances piquées de girolles et fardées de poivre rouge, des pilafs froids de thon au citron, des anguilles glacées farcies de purée de crevettes, des boudins frits de gibier et de chair à saucisses et une gracieuse barque de beurre frais et bien moulé.

…. Le potage était un chef d’œuvre…il avait un goût unique, mais chaque partie de ce goût conservait son goût personnel et naturel. Le fond en était de deux consommés superposés, tout deux extrêmement puissants et concentrés, faits l’un d’une grosse culotte de bœuf et l’autre du jus de plusieurs livres de légumes frais, cuits dans une eau très courte, additionnée d’une pointe de fine champagne pour la corser. A ces quintessences, on avait mêlé un coulis léger, mi-partie de champignons, mi-partie d’asperges blanches : un goût averti y découvrait encore quelques tasses de bouillon de volaille, destinés à adoucir et auquel on avait incorporé quelques jaunes d’œufs battus avec une dose sérieuse de muscade. Sur ce liquide odorant et divin nageaient, îles fortunées, des culs d’artichauts blanchis, chargés d’une farce sautée au beurre où étaient pétris pêle-mêle des laitances de carpes et des champignons oints de crème ; sous la surface fumante, plongeaient dans les profondeurs miroitantes, perles lourdes de beauté, des croquettes dont l’intérieur était bourré de queues d’écrevisses enlacées de fromage fondu.

Ce potage conquit instantanément tous les suffrages et quand les cinq rassérénés eurent, d’un cœur plus égal, attaqué la friture de Brillat-Savarin, les lumières de la béatitude et de l’apaisement s’installèrent définitivement dans leurs cerveaux. Cette friture se présentait sous l’aspect de petits beignets ronds, croustillants assez pour que la dent rencontrât une légère résistance et n’arrivât qu’après un quart de seconde au cœur tendre et crémeux du trésor. Mais alors ! De ces beignets ambrés comme la peau d’une belle Cinghalaise, les uns recelaient astucieusement dans leurs enveloppes dorées des foies des lottes teintés d’un beurre à peine indiqué ; les autres, des moelles onctueuses parfumées de safran; il y en avait d’autres dont le secret chéri était des cervelles de bécasses conservées dans une marinade de Volnay. Les flancs enfin de quelques unes de ces boules brûlantes et grasses livraient de précoces cardons d’automne…..

Il arriva enfin, ce redoutable pot eu feu, honni, méprisé, insulte au prince et à toute la gastronomie, le pot au feu Dodin-Bouffant….. Le pot au feu proprement dit; légèrement frotté de salpêtre et passé au sel, était coupé en tranches et la chair était si fine que la bouche à l’avance le devinait délicieusement brisante et friable. Le parfum qui en émanait  était fait non seulement de sucs de bœuf fumant comme un encens, mais de l’odeur énergique de l’estragon dont il était imprégné et de quelques cubes, peu nombreux d’ailleurs, de lard transparent, immaculé, dont il était piqué. Les tranches assez épaisses et dont les lèvres pressentaient le velouté, s’appuyaient mollement sur un oreiller fait d’un large rond de saucisson, haché gros, où le porc était escorté de la chair plus fine du veau, d’herbes, de thym et de cerfeuil hachés. Mais cette délicate charcuterie était elle-même soutenue par une ample découpade, à même les filets et les ailes, de blanc de poularde, bouillie en son jus avec un jarret de veau, frotté de menthe et de serpolet. Et pour étayer ce triple et magique superposition, on avait glissé audacieusement derrière la chair blanche de la volaille, nourrie uniquement de pain trempé de lait, le gras et robuste appui d’une confortable couche de foie d’oie frais simplement cuit au chambertin. L’ordonnance reprenait ensuite avec la même alternance, formant des parts nettement marquées, chacune, par un enveloppement de légumes assortis cuits dans le bouillon et passés au beurre ; chaque convive devait puiser d’un coup entre la fourchette et la cuillère le quadruple enchantement qui lui était dévolu pour le transporter sur son assiette.

Subtilement, Dodin avait réservé au Chambolle l’honneur d’escorter ce plat d’élite. Un vin uni aurait juré avec quelques unes des parties qui le composaient ; le Chambolle nuancé, complexe et complet, recelait dans son sang d’or rose assez de ressources pour que le palais y pût trouver à temps, suivant le chair dont il s’imprégnait, le ton nécessaire, la note indispensable.

…. Ah cette purée ! Le gastronome ne laissait à personne le soin de la préparer. Trente six heures à l’avance, il choisissait lui-même, un par un, des oignons nouveaux, de même taille, de même couleur, de même saveur. Il les coupait lentement en tranches égales ; puis dans une grande, une profonde marmite de terre, il disposait ces tranches, une à une, par couches superposées, et quand il en avait étendu trois, il interposait entre la dernière et la suivante une magnifique épaisseur de beurre fin, très frais. Il n’arrêtait ce minutieux travail qu’à quelques centimètres du bord du récipient. Il versait alors sur sa construction un demi-bol d’excellent consommé et un verre à boire d’une fine champagne vieille, très douce, et surtout pure de toute manipulation sucrée. Puis, sur le tout, il scellait avec du ciment le couvercle de terre de la marmite afin que le parfum demeurât concentré. Et pendant trente six heures, sur un feu très doux de branches de chêne, l’œuvre cuisait lentement, religieusement, gravement.

Marcel Rouff, La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet.

Le menu du repas offert par M. le président Dodin-Bouffant à Son Altesse Royale le prince héritier d’Eurasie 

le 23.02.06 à 22:32 dans Nourriture et littérature
- Commenter -

Partagez cet article


Mon livre

L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

Tous les articles publiés

Parcourir la liste complète

Annonces

Inscrivez-vous à ma lettre d'informations

Inscription désinscription

J'en ai parlé

Archives par mois

Abonnez-vous

ABONNEZ VOUS SUR