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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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La poule au pot et Henri IV




 
H
enri IV était doté, dit-on, d’un solide appétit, et pas uniquement envers les personnes du beau sexe. Il en pinçait surtout pour une gasconne. Il faut dire que c’était une belle petite poule ! Fièrement campée sur ces fines pattes blanches, elle se pavanait exhibant sa superbe parure noire, bombant sa poitrine moirée de bleu, agitant sa parure de tête rouge vif. Quelle classe ! Quelle vivacité ! D’aucun lui reprochait ses pattes un peu courtes. Un peu courtes ? Peut-être, mais prolongée par de belles cuisses musclées car sauvage et vive, elle courait partout. Gourmande, elle ne s’en laissait pas conter lorsqu’arrivait son repas et agrémentait l’ordinaire de friandises grappillées par-ci par-là. Généreuse, elle couvait avec amour sa nombreuse progéniture. Elle avait tout pour plaire à Henri : de bonne souche gasconne depuis des lustres comme lui et attachée à son pays. Il ne s’en lassait pas, humant avec une gourmandise impatiente ses agréables parfums, prélude de plaisirs à venir. Il goûtait avec volupté sa chair tendre et fondante, prisant particulièrement ses cuisses et hanches dodues.

 

 La poule gasconne était sa préférée… au pot !

 
 
La poule au pot tous les dimanches

Quelle bonne idée ! La poule au pot évoque des arômes de volailles mêlées d’herbes aromatiques et de plantes potagères, une chair blanche parfumée, des légumes fondants, un bouillon aux saveurs exquises et fines. Un plat simple d’une grande finesse. Un plat intemporel qui garde encore des partisans. Un plat qui a une histoire, celle de la préférence d’un roi pour un mets exquis. Son ascendance béarnaise et son passé militaire lui avait donné le goût des plats campagnards et populaires qu’il ne dédaignait pas de partager avec ses plus humbles sujets, son  préféré était la poule au pot, originaire de son pays natal : la Navarre car les saveurs de l’enfance restent toujours les plus fortes.

« La poule au pot tous les dimanches ». Cette célèbre et royale injonction marque, avec « Labourage et Pâturages sont les deux mamelles de la France », le désir du bon roi Henri de rendre son pays auto-suffisant et ses laboureurs, piliers de l’économie, plus riches et mieux nourris. Faire de ce plat festif l’ordinaire du paysan était une belle manœuvre politique, un bon coup de pub, dirions-nous maintenant, destiné à montrer que ses paysans vivaient bien. (La phrase exacte « Je ferai qu’il n’y aura point de laboureur en mon royaume qui n’ait le moyen d’avoir une poule dans son pot. » prouve, s’il en était besoin, que la déformation des paroles des hommes politiques ne date pas d’hier !). Bien avant que l’on imagine les causeries présidentielles au coin du feu, il aimait s’inviter à l’improviste à la table d’une maison qu’il croisait sur son chemin.

On objectera avec bon sens que chaque ferme possédant une basse-cour, les paysans n’avaient nulle besoin d’une décision, toute royale fut-elle, pour égorger une poule chaque semaine et honorer ainsi le jour du Seigneur. Certes, dans la plupart des fermes du royaume, on élevait des volailles, mais elles restèrent longtemps un aliment de luxe consommé seulement dans les grandes occasions. Une manière de recycler de vieilles pondeuses après des années de bonnes et loyales pontes.  Les poules comme les poulets ou les canards ou les oies étaient le plus souvent vendus sur les marchés des villes, procurant à la fermière avec la vente du lait et des œufs les indispensables espèces sonnantes et trébuchantes. La Fontaine le savait bien quand il écrivit Perette et le pot au lait !


crédit photo:www.midipyrennees.fr

 

Une poule au pot qui varie en voyageant

 

En Béarn, quand la fermière décidait de préparer une poule au pot pour son repas du dimanche, elle en choisissait une dans sa basse-cour, la tuait, la plumait, la vidait. Elle hachait les abats : foie, gésier, cœur et rognons qu’elle mélangeait à de la mie de pain gorgée de lait frais. Elle ajoutait un morceau de jambon coupé menu-menu, assaisonnait le tout de sel et d’herbes aromatiques et liait l’ensemble avec un bel œuf frais. Elle en farcissait le ventre de la poule vite recousu d’une main experte. Hop, elle plongeait cette volaille dans le pot rempli de l’eau fraîche du puits, parfumée d’un bouquet odorant. Posé sur le feu, la poule cuisait doucement quelques heures et refroidissait durant la nuit. Au petit matin avant l’office et  après la traite des vaches, la fermière ranimait le feu et épluchait carottes, navets, poireaux et oignons qu’elle incorporait dans le pot avec l’ail et l’ache[1]. Tout cela glougloutait doucement et était fin prêt pour le retour de l’église. Elle posait alors des tranches de pain  dans l’écuelle et les trempait de bouillon bien chaud. Après cette mise en appétit, elle servait la poule découpée avec sa farce et pour terminer, les légumes. Quelques verres de Jurançon pour faire glisser le tout, un repas de roi devenu celui du manant.

Jamais on ne laissait prendre ce qui pouvait être mangé. D’ordinaire lorsque la poule était égorgée, on recueillait le sang dans une écuelle contenant un hachis d’ail et de persil mouillé de bon vinaigre qui empêche toute coagulation. Rapidement mélangé et versé dans une poêle, elle devenait en cuisant  une crêpe d’un beau rouge brun : la sanguette, un autre plat emblématique du Sud-ouest.

 
crédit photo: www.meslandes.fr

En Périgord la sanguette rejoint la poule au pot. La fermière qui préparait la poule au pot recueillait le sang du volatile et en imbibait la mie de pain de la farce. La poule au pot du Périgord contrairement à sa cousine du Béarn offre une farce aussi noire que les truffes de son sous-sol. Chaque terroir offre ce qu’il a de meilleur. Le lait abondant des vaches gasconnes ou de Chalosse venait mouiller le pain rassis en Béarn, en Périgord où les vaches sont plus rares, l’imagination de la cuisinière y palliait en le remplaçant par le sang de la poule. Pays de châteaux donc de cuisine plus raffinée, on inventa une sauge blanche et verte réalisée à partir d’œufs coques et de l’huile de noix si abondante dans le pays, la fameuse et délicieuse sauce à la sorge.  

Voila comment une jolie petite poule devint, à ses dépens, le symbole gastronomique d’un pays. Et comment en raison de son caractère, elle faillit disparaitre, trop sauvage pour se soumettre à un élevage organisé à grande échelle et surtout trop lente à atteindre une taille adulte. Détrônée par le poulet jaune des Landes, volatile au cou déplumé issu de croisement de diverses souches, qui accepte de se soumettre aux lois humaines et qui lui usurpa l’honneur de plonger dans le pot. Elle n’a pas dit son dernier mot, la belle petite poule gasconne et on assiste à son retour dans les poulaillers et sur les tables. Et l’on peut prédire à la poule au pot un peu oubliée de nos jours le même retour en grâce sur les tables les plus humbles comme les plus raffinées.


[1] L’ache odorante est l’ancien nom du céleri, utilisé comme plante condimentaire


Mots-clés : Technorati, Technorati

le 14.06.10 à 09:00 dans Autour de la nourriture
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