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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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La magie de la cuisine

 

Je ne résiste pas à l’envie de vous faire connaître ce texte de Noëlle Châtelet  (extrait de “Le Corps à corps culinaire”) sur la cuisine qui ne peut que nous réjouir toutes.

“Les cuisinières auront beau être perfectionnées, nos cheminées modernisées, le feu a gardé quelque chose de sa sacralité légendaire, restes fragiles d’une grande folie prométhéenne.

Pour le cuisinier qui connaît son langage, la magie du feu réside dans sa faculté surprenante de transmutation. Du cru au cuit la distance est alchimique, la différence est de nature.

Avez-vous remarqué comme une sauce qui “prend” ressemble à un miracle? On fait fondre dans une casserole une noix de  beurre, on y ajoute une cuiller à soupe de farine, puis un peu de lait: le résultat est inquiétant: de vagues grumeaux se disputent le fond du récipient pourtant soumis à un feu minimum; on remue le tout avec une cuiller en bois, déjà résigné à l’idée de manger le chou-fleur sans béchamel, puis quelque chose se passe qui fait que tout à coup la sauce se lie, se transforme, s’épaissit: le feu accomplit son œuvre, transmutant le grumeleux en onctueux, la cohabitation inconfortable de matières disparates en une liaison homogène, unifiée, souple. Existe-t-il une commune mesure entre l’œuf cru au jaune tremblotant et au blanc visqueux et celui qu’il est devenu après quelques minutes de cuisson? Est-ce la même écrevisse qui de grise qu’elle était, encore grouillante de vie, rouge est devenue dans sa position de mort? Le cuisinier par qui s’opèrent ces changements n’a-t-il pas dans son royaume d’ustensiles, d’ingrédients et d’étincelles de quoi faire pâlir d’envie le mieux loti des alchimistes?

Douce contemplation en effet que celle des longues étagères où s’alignent, par ordre, décroissant, les bocaux de porcelaine et de bois peint, aux noms énigmatiques, enchanteurs: muscade, thym, sarriette, coriandre, cannelle, sauge, Cayenne, persil arabe, cumin! Mystérieuse décantation que celle du lait caillé qui passe goutte à goutte à travers le linge délicat posé sur la jatte de grès. Sublime décoction que celle du sanglier plongé dans ce liquide violacé où nagent huile, épices, oignons, carottes en rondelles, persil florissant! Permettons-nous cependant de reconnaître au cuisinier sur l’alchimiste cette supériorité irréfutable: tandis que le second se meurt d’angoisse dans l’attente presque toujours déçue du métal précieux, le premier, ouvrant son four à l’heure dite, est certain d’y trouver la merveille recherchée. Le feu est un dieu plein d’humour qui se laisse capturer où bon lui semble…

Pourtant, le “bonheur” du cuisinier, ce n’est pas seulement de revivre chaque jour le miracle du feu dérobé à quelque puissance divine, c’est aussi le plaisir palpable de la flamme que l’on peut faire danser et vaciller à son gré, docile sous les doigts compétents du chef. La chaleur qui ne s’accompagne ni d’une flamme, ni de la plus petite incandescence laisse une sensation de gêne, d’inquiétude que dissipe aussitôt la présence d’un feu clair, net, joyeux, mesurable et dont on sait d’où il vient; les plaques électriques des cuisinières modernes, sans feu, sans étincelles, bref sans preuves tangibles de cuisson, ont quelque chose d’abstrait et abstrait aussi nous semble être ce qu’on continue d’appeler scandaleusement “pot au feu” et qui frémit -quel paradoxe!- sur le socle noir et triste de la cuisinière électrique.

Qu’elle subisse l’épreuve du feu ou du froid, qu’elle soit écrasée, découpée, étalée, battue, ou macérée, la nourriture sortira transformée de ce lieu virtuose qu’est la cuisine, comme le lapin blanc ou les colombes du chapeau du magicien.”

 

 

 

 

 

 

 

le 23.01.06 à 15:19 dans Nourriture et littérature
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