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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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La cuisinier de Talleyrand




Enquête policière et cuisine font bon ménage, dans moult  romans policiers des inspecteurs et détectives se reposent de leurs difficiles enquêtes par la préparation ou la consommation de plats dont l’évocation vous donne l’eau à la bouche.
Le cuisinier de Talleyrand en fait partie et d’autant mieux que le héros du livre et principal suspect est le grand Carême lui-même. J-C Duchon- Doris place l’intrigue à Vienne durant le fameux congrès, lorsque tous les hommes influents qui comptaient dans l’Europe politique s’étaient réunis pour statuer sur le sort des principaux pays de ce continent qui avaient été fort bouleversés par les conséquences des campagnes napoléoniennes. Et dans les bagages de ces hommes il y avait évidement tout ce qui était nécessaire pour tenir son rang et son train de maison : des armées de valets, femmes de chambre, cochers, maîtres d’hôtel.  Et les cuisiniers qui de même que  les épouses et les maîtresses jouaient un rôle important dans le jeu des négociations et des influences. Talleyrand et Carême forme un duo parfait qui par leur talent pouvait faire basculer  les alliances et  les protocoles.
Un des aides de Carême, un rôtisseur hors pair, nommé Maréchal, est retrouvé assassiné sauvagement près de Schönbrunn où sont gardés Marie-Louise et l’Aiglon. Toutes les théories vont s’échafauder pour trouver un mobile et un coupable à ce crime. Un fin limier de la police viennoise, Janez Vladeski, bel homme au charme troublant, enquête à Vienne, au palais Kaunitz où loge Talleyrand et sa cour et dans les cuisines où officie Carême et son armée. Partant d’un maigre indice, d’exquises meringues, il investigue dans tous les lieux où l’on mange avant de découvrir l’auteur de ces merveilles : Antonin Carême. Les deux hommes vont entretenir un jeu subtil de séduction, de fascination et de d’admiration respective au cours duquel Carême dévoile à Janez les subtilités de sa cuisine pendant que ce dernier recherche la vérité. Comme dans toute enquête policière, les femmes, séductrices éternelles, sont les meneuses de jeu en sous main et   les rebondissements sont nombreux autant que les retournements de situation au Congrès et J.C Duchon-Doris excelle dans les parallèles entre Talleyrand et Carême qui par leurs talents respectifs deviennent les maîtres des négociations. Il y a d’exquises pages pleines de sensualité et de gourmandise.
La vérité ne serait-elle pas au fond de la casserole ?

Le cuisinier de Talleyrand de Jean-Christophe Duchon-Doris chez Julliard

Janez Vladeski revient à Vienne avec dans sa poche le seul indice qui va lui permettre de commencer son enquête: les meringues. Il se rend chez une “amie”, jeune comédienne d’origine polonaise:

Catharina apparut enfin, aussi fumante que l’eau de son bain, le petit nez fripon, les paupières coquelicot, les joues rouges, les cheveux frisottés, vêtue d’une robe-chemise en tulle transparent dont la taille haute mettait en valeur sa gorge. Elle avait cet air de candeur forcée, de candeur travaillée, qui l’attendrissait bien plus encore que si elle avait été véritable ingénue. Elle lui sourit et sembla chercher du regard un bouquet, un présent, quelque chose qu’il lui aurait apporté. Ses yeux tombèrent sur le ruban qui émergeait de la poche de son habit.

- Ce sont des gâteaux, dit-il en sortant le sac et en lui tendant.

Le geste avait été spontané et il le regretta aussitôt. Mais, le visage rayonnant, elle avait pris le paquet du bout des doigts.

- Ce ne sont pas des gâteaux, dit-elle, ce sont de petites meringues.

Il ignorait le terme.

-Des petites “meringues”, donc, répéta-t-il en l’observant.

Actrice, courtisane, aventurière, que lui importait… Dans cette pose de danseuse, avec cette moue adorable qui plissait son nez, sa gorge effrontée dansant dans les flots de l’étoffe, elle lui plut comme au premier soir. Il saisit à pleins bras sa robe, enlaçant à travers l’étoffe ses jambes rondes qu’il sentit se roidir pour résister.

-J’étouffe, mon ami, j’étouffe!

Elle le repoussa gentiment, s’enfuit jusqu’à la fenêtre avec le paquet de meringues. Elle l’ouvrit avec précaution, se saisit d’une bouchée blanche et nacrée, se cacha à demi, tournée vers le mur, pour déguster. Janez fut ébloui par la blondeur presque transparente de sa nuque, par cette peau si douce tapissée d’un duvet minuscule qui passait comme un souffle, une caresse, un murmure. Il s’apprêtait à l’enlacer de nouveau lorsqu’elle se retourna.

- Mon Dieu, dit-elle, je n’en ai jamais mangé de meilleure, même à Paris. 

La lumière des bougies volait sa pupille d’une ombre dorée. Elle prit une autre meringue, s’assit, rabattit sur ses genoux ses jupons crème bordés d’écume. Elle mangeait d’une façon merveilleuse, avec des regards profonds, un calme majestueux du visage. Elle dégustait et l’on devinait que son plaisir était fouetté par un prodigieux travail intérieur de déduction.

- Le cœur est fondant avec un goût d’orange et de liqueur, dit-elle, les yeux luisants.

Par curiosité, il prit à son tour une de ces “meringues”. Il la fit tourner entre ses doigts, parut surpris de sa légèreté, de la délicatesse de ses courbes, de la beauté de ses creux et de ses pleins. C’était comme un peu de neige figée, une larme cristallisée dans le sucre. Il croqua du bout des dents.

C’était solide et fondant à la fois. Cela s’éparpillait dans la bouche.

- Il faut que vous me donniez l’adresse! dit encore Catherina en balayant, d’un bout de langue rose, les débris de blanc d’œufs restés aux commissures de ses lèvres. C’est à mourir!

Il la regarda stupéfait comme si elle venait de déclamer une grande vérité. D’un geste discret, il reprit une meringue et la glissa dans la poche de son habit.”

 


Mots-clés : Technorati

le 16.06.06 à 19:18 dans Livres
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L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

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