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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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La Gourmandise

Hymne à la gourmandise

Je dédie ce texte à tous les amateurs de bonne chère, de bons produits et de convivialité qu’ils puissent s’amuser et jouir encore et encore de toutes les bonnes choses de la vie. Et foin des raisonneurs, hygiénistes et autres empêcheurs de profiter de la vie.

" J’ai parcouru les dictionnaires au mot Gourmandise, et je n’ai point été satisfait de ce que j’y ai trouvé. Ce n’est qu’une confusion perpétuelle de la gourmandise proprement dite avec la gloutonnerie et la voracité: d’où j’ai conclu que les lexicographes, quoique très estimables d’ailleurs, ne sont pas de ces savants aimables qui embouchent avec grâce une aile de perdrix au suprême pour l’arroser, le petit doigt en l’air, d’un verre de vin de Lafitte ou du Clos Vougeot.

Ils ont oublié, complètement oublié la goumandise sociale, qui réunit l’élégance athénienne, le luxe romain et la délicatesse française, qui dispose avec sagacité, fait exécuter savament, savoure avec énergie, et juge avec profondeur: qualité précieuse, qui pourrait bien être une vertu et qui est du moins bien certainement la source de nos plus pures jouissances.

Définissons donc et entendons-nous.

La gourmandise est une préférence passionnée, raisonnée et habituelle pour les objets qui flattent le goût.

La gourmandise est ennemie des excès; tout homme qui s’indigère ou s’enivre court le risque d’être rayé des contrôles.

La gourmandise comprend aussi la friandise qui n’est autre que la même préférence appliquée aux mets légers, délicats, de peu de volume, aux confitures, aux pâtisseries, etc. C’est une modification introduite en faveur des femmes et des hommes qui leur ressemblent.

Sous quelque rapport qu’on envisage la gourmandise, elle ne mérite qu’éloge et encouragement.

Sous le rapport physique, elle est le résultat et la preuve de l’état sain et parfait des organes destinés à la nutrition.

Au moral, c’est une résignation implicite aux ordres du Créateur, qui, nous ayant ordonné de manger pour vivre, nous y invite par l’appétit, nous soutient par la saveur, et nous en récompense par le plaisir.

AVANTAGES DE LA GOURMANDISE. Sous le rapport de l’économie politique, la gourmandise est le lien qui unit les peuples par l’échange réciproque des objets qui servent à la consommation journalière.

C’est elle qui fait voyager les vins, les eaux-de-vie, les sucres, les épiceries, les marinades et les salaisons, les provisions de toute espèce et jusqu’au oeufs et aux melons.

C’est elle qui donne un prix proportionnel aux choses qui sont médiocres, bonnes ou excellentes, soit que ces qualités leur viennent de l’art, soit qu’elles les aient reçues de la nature

C’est elle qui soutient l’espoir et l’émulation de cette foule de pêcheurs, chasseurs, horticulteurs et autres qui remplissent journellement les offices les plus somptueux du résultat de leur travail et de leurs découvertes.

C’est elle enfin qui fait vivre la multitude des cuisiniers, pâtissiers, confiseurs et autres préparateurs sous divers titres…….

LES FEMMES SONT GOURMANDES. Le penchant du beau sexe pour la gourmandise a quelque chose qui tient de l’instinct car la gourmandise est favorable à la beauté.

Une suite d’observations exactes et rigoureuses  a démontré qu’un régime succulent, délicat et soigné, repousse longtemps et bien loin les apparences extérieures de la vieillesse.

Il donne aux yeux plus de brillant, à la peau plus de fraîcheur, et aux muscles plus de soutien; et comme il est certain, en physiologie, que c’est la dépression des muscles qui cause les rides, ces redoutables ennemis de la beauté, il est également vrai de dire que, toutes choses égales, ceux qui savent manger sont comparativement de dix ans plus jeunes que ceux à qui cette science est étrangère.

Les peintres et les sculpteurs sont bien pénétrés de cette vérité, car jamais ils ne représentent ceux qui font abstinence par choix ou par devoir, comme les avares et les anachorètes, sans leur donner la pâleur de la maladie, la maigreur de la misère et les rides de la décrépitude.

EFFETS DE LA GOURMANDISE SUR LA SOCIABILITE.  La gourmandise est un des principaux liens de la société; c’est elle qui étend graduellement cet esprit de convivialité qui réunit chaque jour les divers états, les fond en un seul tout, anime une conversation, et adoucit les angles de l’inégalité conventionnelle.

C’est elle qui motive les efforts que doit faire tout amphitryon pour bien recevoir ses convives, ainsi que la reconnaissance de ceux-ci, quand ils voient qu’on s’est savamment occupés d’eux; et c’est aussi ici le lieu de honnir à jamais ces mangeurs stupides qui avalent, avec une indifférence coupable, les morceaux les plus distingués, ou aspirent avec une distraction sacrilège un nectar odorant et limpide….

INFLUENCE DE LA GOURMANDISE SUR LE BONHEUR CONJUGAL.  Enfin la gourmandise, quand elle est partagée, a l’influence la plus marquée sur le bonheur qu’on peut trouver dans l’union conjugale.

Deux époux gourmands ont, au moins une fois par jour, une occasion agréable de se réunir: car, même ceux qui font lit à part (et il y en a un grand nombre) mangent du moins à la même table; ils ont un sujet de conversation toujours renaissant; ils parlent non seulement de ce qu’ils mangent, mais encore de ce qu’ils ont mangé, de ce qu’ils mangeront, de ce qu’ils ont observé chez les autres, des plats à la mode, des inventions nouvelles, etc, etc; et on sait que les causeries familières sont pleines de charmes…

Un besoin partagé appelle les époux à table, le même penchant les y retient; ils ont naturellement l’un pour l’autre ces petits égards qui annoncent l’envie d’obliger; et la manière dont se passent les repas entre pour beaucoup dans le bonheur de la vie…

Honneur à la gourmandise, telle que nous la présentons à nos lecteurs, et tant qu’elle ne détourne l’homme ni de ses occupations ni de ce qu’il doit à sa fortune! car de même que les dissolutions de Sardanapale n’ont pas fait prendre les femmes en horreur, ainsi les excès de Vitellius ne peuvent faire tourner le dos à un festin savamment ordonné."

Brillat-Savarin, Méditation XI, De la Gourmandise, Physiologie du Goût, 1826

 


Mots-clés : Technorati

le 06.05.06 à 22:20 dans Nourriture et littérature
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