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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Rôle et importance de l'amer


 

Parmi les saveurs, l’amer est  la mal-aimée des saveurs. Son rejet est quasi instinctif comme le prouve le test qui a été effectué sur les nouveau-nés. A la naissance les nouveau-nés réagissent d’instinct aux saveurs. Lorsqu’on leur présente une cuillerée d’eau sucrée ils l’avalent instantanément, la même cuillerée salée est acceptée sans trop de difficulté, la cuillerée à la saveur acide provoque la grimace mais finit par être avalée alors qu’une cuillerée contenant un liquide amer est rejetée instinctivement. Pourquoi ce rejet de l’amer ? Vieux réflexe de survie que les premiers hommes ont développée lorsqu’ils pratiquaient la cueillette pour se nourrir et que la saveur amère correspondait le plus souvent à des végétaux toxiques. Et c’est aussi celle de l’histoire des hommes et de l’acquisition des goûts, car hormis le goût pour le sucré qui est inné, tous les autres goûts doivent être acquis.

A quoi est due l'amertume dans les aliments ?

Les corps amers les plus actifs dans les aliments sont dus à des alcaloïdes qui comprennent diverses substances aux propriétés moléculaires propres. D’où les variations importantes des seuils de tolérance qui varient selon les produits et les individus, mais qui restent généralement bas. Car plus que pour les autres saveurs, les seuils sont très variables d’un individu à l’autre, d’où des différences dans les rejets de consommation. Ces alcaloïdes correspondent à des toxines qui servent aux plantes à se protéger des agressions de leurs prédateurs.

 

Les hommes et l’amer, une relation compliquée

Actuellement, l’amer est une saveur que certains n’arrivent même plus à définir tant elle est absente de nos aliments quotidiens. Or, il n’en a pas toujours été ainsi. On peut certes accuser les préparations alimentaires industrielles qui uniformisent le goût des consommateurs en ne leur proposant que des saveurs facilement appréciables et reconnaissables, des saveurs primaires et

Infantilisantes -salé, sucré, douceâtre – qui ne heurtent pas les papilles. Mais s’il s’agit là d’une volonté politique de formater les goûts à des fins mercantiles, l’industrie agro alimentaire n’est pas seule responsable de la désaffectation de nos papilles pour l’amer.

Dans la nature, certaines plantes ont une saveur amère et instinctivement les hommes rejettent cette saveur. Ce rejet leur a bien souvent sauvé la vie, car beaucoup de plantes amères, chargées de constituants toxiques, sont des poisons dont quelques-uns peuvent être puissants.

Les saveurs amères étaient plus présentes dans une alimentation basée sur la cueillette et lorsque le ramassage de plantes sauvages était encore important. Par exemple, l’auteur du livre de l’Exode (12, 8) dans l’Ancien Testament lorsqu’il décrit les prescriptions de la Pâque : « On la (la chair) mangera rôtie au feu, avec des azymes er des herbes amères. ». Ces herbes amères sont certainement des herbes condimentaires cueillies. Mais peu à peu l’amer disparait de l’alimentation, d’abord au profit de l’acide et de l’aigre-doux, puis du gras et du sucré. Cela est dû à la désaffectation de l’intérêt pour cette saveur qui a entrainé les cuisiniers à la masquer par des artifices culinaires.

Pourtant le goût de l’amer s’atténue, voire disparait à la cuisson, ce qui signifie que les toxiques qui donnent cette saveur amère ont disparu aussi. Très vite, pour éliminer ces toxines, les hommes ont utilisé toutes sortes de procédés mécaniques comme le trempage des aliments dans l’eau, de longs rinçages après les avoir broyés. On s’était aperçu que la dessiccation et la fermentation permettaient également de faire disparaitre ces toxines.

 

Les hommes apprivoisent la saveur amère

Il était nécessaire de dompter les végétaux amers, car s’ils peuvent être en partie toxiques, ils sont également et paradoxalement chargés de constituants bénéfiques qui, bien dosés, peuvent être utilisés comme remède. D’où la nécessité de maîtriser cette saveur pour utiliser ces plantes à bon escient, une maîtrise qui a été longtemps la science des rebouteux, des guérisseurs, des chamans et des sorciers, ce qui explique aussi leur réputation sulfureuse. Il s’agit bien, en effet, d’immuniser peu à peu les systèmes enzymatiques par l’absorption de doses infinitésimales de substances toxiques. Les petites doses sont bénéfiques et les fortes doses dangereuses voire mortelles. Plus le goût est amer, plus le remède est dangereux. On peut avancer que l’utilisation de plantes amères dans les bouquets aromatiques lors de la cuisson de viandes dans de l’eau marque le double intérêt de ces plantes à la fois aromatiques et thérapeutiques. Habitude que nous avons perdue. D’ailleurs depuis que les hommes transforment les aliments en les cuisinant, ils ont essayé de masquer le goût de l’amer par le sucre et le lait dans les boissons comme le thé, le café et le cacao ; avant eux les Aztèques utilisaient le piment, question de culture. Dans la cuisine, on contrebalance la saveur amère par des saveurs acides et sucrées et c’est ainsi qu’on obtient l’aigre-doux qui eut tant la faveur des palais jusqu’à l’époque classique. Ambroise Paré avait découvert que les saveurs pouvaient transmuter sous l’action de la chaleur, c’est ainsi que le sucre ou le miel, chauffés, deviennent amers en caramélisant. Quelques chefs utilisent ce procédé, il y eut Bernard Loiseau et sa crème de chou-fleur que beaucoup de clients renvoyaient la pensant brûlée et maintenant Marc Meneau qui enrobe des viandes de caramel amer. Une alliance de saveurs vraiment très intéressante.

 

Le plaisir de l’amer

Pour nous protéger naturellement, notre organisme est extrêmement sensible à la saveur amère bien davantage qu’aux autres saveurs. Ceci permet, lorsque l’on maitrise cette saveur, d’apprécier les différences très sensibles des variations de l’amer. Car la maitrise de l’amer est primordiale. Elle permet des expériences gustatives passionnantes et étonnantes. La saveur amère étant froide et rafraichissante, valorise des autres saveurs, adoucissant les sensations de chaleur et les irritations agressives, c’est pour cela que les mélanges d’épices dosent subtilement les ingrédients contrebalançant la saveur amère par des saveurs acides et/ou sucrées, afin que chaque saveur influe sur une autre pour une harmonie de goûts. Pour dompter l’amer, une éducation au goût est indispensable, le plaisir de l’amer est alors de signe d’une maturité gustative affranchie des saveurs douces et sucrées privilégiées dans l’enfance. Cela permet d’apprécier des registres vastes de goûts complexes et d’apprécier des gammes aromatiques, même intenses. Hormis les herbes qui, pour la majorité d’entre elles, étaient utilisées à des fins essentiellement thérapeutiques, où détecte-on l’amer dans les aliments ? Rarement dans la viande et les poissons, si l’on excepte les parties fielleuses proches du foie. Dans beaucoup de boissons comme le café, le cacao, la bière, de nombreux vermouth et vins d’apéritif qui sont élaborés à partir de macération de plantes amères comme la gentiane. Le thé et certains vins, si les tannins sont trop importants développent une saveur amère, dans le vin cela peut devenir un défaut rédhibitoire appelé la maladie de l’amer. L’acide est plus présent dans les fruits que l’amer, mais l’orange amère, l’écorce des agrumes, l’amande amère et certains composants des noix ont cette saveur. Les légumes offrent davantage des gammes diverses d’amertume qui proviennent de molécules telle la saponine que l’on rencontre dans la fève et le pois chiche, l’asperge blanche, l’épinard, la pomme de terre et l’aubergine, et aussi l’endive et toutes les chicorées, l’artichaut violet et les chardons.

Notre classification occidentale actuelle limitant les saveurs à quatre, on peut aussi y adjoindre l’âcreté de certaines tomates vertes ou à collet vert, celles des Brassicacées ou d’Alliacées et de quelques Fabacées.

 

L’imaginaire de l’amer.

Nous évoquions, plus haut, l’importance des plantes amères dans les préparations de remèdes par des guérisseurs, il peut parfois n’y avoir qu’un pas entre le guérisseur et l’empoisonneur. Et la réputation très mauvaise des sorcières, qui étaient souvent d’efficaces herboristes par la science remarquable qu’elles avaient des plantes, était due en grande partie par le détournement de l’usage qui pouvait être fait de leurs médicaments en modifiant les dosages ou les mélanges. L’amer était aussi lié, mais nous y reviendrons, à la maladie et aux médications qui ont longtemps eu un goût amer. Ambigüité, l’amer sauve mais fait aussi souffrir, la rédemption par la souffrance, concept longtemps utilisé par la religion.

L’amertume, dans son sens élargi, évoque l’aigreur des sentiments ou l’acerbe des paroles. Ce mot a une connotation négative, il transcrit des ambiances de douleur, de tristesse, de chagrin et de ressentiment. Les personnes amères sont celles qui n’ont pas su dépasser leurs échecs, les blessures infligées par la vie. La littérature ou la poésie parle de phrases acerbes et fielleuses qui blessent ceux ou celles à qui elles sont destinées qui versent alors des larmes amères.

Le mot amer vient du latin amarus que l’on traduit par amer mais aussi par un grand nombre d’autres adjectifs de valeur différente mais très proche tels pénible, désagréable, aigre, mordant, âpre, sarcastique, voire même morose et acariâtre selon la signification voulue par les auteurs, cités dans le Gaffiot. Tout ceci n’est pas très joyeux, ni agréable, ni très optimiste.

 

Et pourtant, en gastronomie, l’amer valorise, porte les autres saveurs comme en musique les alti portent les autres voix, comme en peinture une couleur met en valeur une autre. Sans les alti, sans l’amer pas d’harmonie réussie. Les vrais amateurs de goûts, ceux qui ont su maîtriser la saveur amère accèdent alors à des plaisirs décuplés, inaccessibles à ceux qui ne peuvent ou ne veulent dépasser leur première répulsion. Pour le goût comme pour les arts qui font appel aux sens, la complémentarité est nécessaire pour obtenir une harmonie.

 

C’est une saveur effectivement porteuse de tabou. Elle est associée à la caféine, théine et autres alcaloïdes, substances qui peuvent être toxiques. Pour se prémunir du danger qu’elles représentent, l’évolution nous a pourvus de détecteurs susceptibles de les déceler, pour rejeter les aliments qui les contiennent. Un principe de précaution pour l’espèce, en somme.»

Les papilles sensibles à l’amertume, les papilles caliciformes (soit en forme de calice, manquait plus qu’un éclairage biblique dans cette histoire) se situent au fond de la langue. «Ce sont les derniers remparts avant la déglutition», explique Frédéric Brochet. «Elles nous envoient un message primitif du genre Stop, ne pas avaler. C’est donc une saveur d’initiation, à conquérir à son corps défendant, littéralement.»

La détection de l’amer

Lorsque nous découvrons un goût, le message sensoriel que nous envoient les papilles gustatives est une information sur les propriétés chimiques des aliments qui reste cependant floue. Réceptionnée par les neurones, ce message prend forme et devient une image sensorielle, mise en mémoire à l’intérieur du cerveau dans l’hypothalamus où elle sera intégrée et stockée, elle intégrera enfin notre conscience. L’hypothalamus est aussi le gardien du contexte dans lequel a été ingéré l’aliment, dans un contexte agréable l’aliment est apprécié, à contrario des circonstances pénibles, une mauvaise digestion peuvent entrainer une aversion de l’aliment ; l’interdit le plus fort étant celui du aux tabous religieux qu’il est difficile de briser. Le goût est comme un gardien de notre alimentation, autorisant ce qui est bon et connu, rejetant ce qui est mauvais et inconnu.

Les substances les plus amères sont produites par les plantes qui utilisent l’amer comme une défense contre les prédateurs herbivores et des agents pathogènes même si beaucoup d’organismes, dont l’homme, ont évolué en apprenant à les détoxifier. Les substances amères ne sont acceptées qu’à très basses concentrations. Il y a deux types de récepteurs, importants pour le goût, qui transmettent les informations, celles qui concernent l’amer sont les GPRCs (G Protein Coupled Receptors). Quand les récepteurs rencontrent un message sensoriel, une enzyme est activée, envoyant un second message dans les papilles. Ce second message déclenche une cascade de réactions qui, en retour, libère les neurotransmetteurs avec la production de stimuli nerveux.

On sait maintenant que cette localisation de perception des saveurs est fausse,  excepté pour l’amer.

 
Utilité de la saveur amère

L’amer est une barrière à l’ingestion d’un très grand nombre de composés de structures différentes. Tous ces composés suscitent la même réaction traduite comme amer sans plus de précision. Les chercheurs ont identifié environ 30 récepteurs qui sont tous quelque peu dissemblables, marquant, par exemple, une variabilité de 10 à 75% dans les compositions amino-acides, qui seuls répondent à des milliers de composés amers structurellement différents, chaque récepteur répond à un certain nombre de composés. Divers récepteurs utilisent probablement aussi divers systèmes pour transmettre les réponses sensorielles aux stimuli nerveux, mais ces mécanismes ne sont pas encore maintenant expliqués avec certitude.

 
 
 La sensibilité à la saveur amère.

Les individus ont des sensibilités différentes aux saveurs amères. Cette variabilité est provoquée par la sensibilité à l’amer de certaines substances, le phénylthiocarbamide et 6-n-propyl thiouracil, due à la présence d’un récepteur particulier de l’amer. On a découvert qu’une personne sensible à ces deux substances possède une plus grande densité de papilles fongiformes et est par conséquent plus sensible à la fois aux substances amères et sucrées. Le rejet de l’amer et de l’astringent diminue, en général, avec l’âge. Heureusement car l’amer est la saveur de nombreux végétaux riches en polyphénols, flavonoïdes, isoflavones, terpines et glucosinates que l’on trouve dans les plantes amères et tanniques. Il faut développer l’éducation au goût de l’amer qui encourage la consommation d’aliments riches en micronutriments et antioxydants dont notre organisme a besoin et qui présentent un intérêt considérable.

Rien n’est inné, on ne peut parvenir à une connaissance et une maîtrise des goûts et des saveurs que par un long apprentissage. Car ainsi que l’écrivait Jean-Anthelme Brillat-Savarin dans la deuxième méditation de la Physiologie du Goût

«Le goût paraît avoir deux usages principaux :

1° Il nous invite, par le plaisir, à réparer les pertes continuelles que nous faisons par l’action

de la vie.

2° Il nous aide à choisir, parmi les diverses substances que la nature nous présente, celles qui

 

sont propres à nous servir d’aliments. Dans ce choix le goût est puissamment aidé par l’odorat […] ; car on peut établir, comme maxime générale, que les substances nutritives ne sont repoussantes ni au goût ni à l’odorat.» 


Mots-clés : Technorati, Technorati

le 01.03.15 à 16:54 dans Autour de la nourriture
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L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

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