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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Qu'est ce que le terroir?

Tous les deux mois, j’organise pour l’association dont je fais partie Slow Food des rencontres-débats autour des thèmes de l’alimentation et de l’agriculture. Nous  nous sommes retrouvés chez Mollat pour participer au débat sur le terroir, le vendredi 19 janvier.

C’était pour nous une première, nous étions confiants mais incertains de la participation des membres du convivium et du public bordelais. Finalement, environ 35 personnes sont venues découvrir Slow Food et écouter les échanges à propos de cette notion de terroir et de son avenir.

L’atmosphère était détendue et le public attentif aux paroles des intervenants que je remercie d’avoir éclairé notre lanterne et d’avoir porté le débat sur des sphères élevées. Tous les aspects ont été abordés et les questions du public, à la fin du débat, témoignaient de l’intérêt pour cette notion et une réelle sensibilité concernant les sources de notre alimentation,  le devenir d’une certaine agriculture et des produits porteurs de sens. 

Rodolphe Martinez, journaliste de Radio France Bleue Gironde présente le débat. Ensuite je fais une brève présentation de la notion de terroir

” Slow-Food porte un intérêt réel au terroir en tant que conservatoire des savoir-faire des hommes, conservatoire de la biodiversité des races et des espèces, conservatoire d’un patrimoine culturel et culinaire. Le terroir est la terre des hommes, créateurs, modeleurs  et concepteurs du terroir, car les hommes sont intimement liés au terroir et un produit du terroir est toujours le fruit de la terre et du travail des hommes.

C’est pour cela que l’engagement de SF se fait toujours envers le producteur et son produit comme c’est le cas avec les Sentinelles et l’Arche du Goût et maintenant avec Terra Madre.  Car le terroir doit être protégé, les évolutions des pratiques commerciales et des techniques tendent à le nier: cultures hors-sol, vinifications qui nient le terroir, production intensive qui s’opposent aux productions de qualité, chargées de sens. Cependant le terroir est maintenant mis en avant dans de nombreux domaines - agricole, géographique, social et économique, culturel - car le terroir est porteur d’une notion de valeur ajoutée, de qualité, d’image. C’est une idée qui nous semble assez récente et qui montre le désir des provinces d’exister entre le centralisme politique et la mondialisation des échanges. C’est une sorte de “French Paradox” qui a permis la création des AOC, IGP et autres appellations que des pays nous empruntent. La notion de terroir est une notion assez récente qui s’inscrit dans une résistance au jacobinisme au cours du XIXème siècle. Les différents pays de France avaient besoin de marquer leurs différences et montrer leurs savoir-faire et c’est peu à peu que sont apparus les produits du terroir, des préparations culinaires - le pâté de Périgueux ou les calissons d’Aix - comme une expression d’une région ou des cultures propres à un territoire - l’artichaut de Macau ou les asperges d’Argenteuil-.

Mais c’est à la suite de l’intérêt  que certains historiens ont porté à des territoires bien  précis -  Aghulon et la Provence, Goubert et le Beauvaisis,  Corbin et le Limousin,  Le Roy-Ladurie et le Languedoc, pour ne citer que les plus célèbres -   qui s’inscrivait d’abord dans une démarche purement historique et qui a permis de mettre en évidence des particularités socioculturelles et économiques,  que l’intérêt pour le local, le territoire commence à prendre de l’ampleur. Il sera relayé par des témoignages sur l’histoire des territoires qui feront le succès de la collection Terre Humaine chez Plon. Toutes ces recherches ont relancé l’intérêt pour le local qui a débouché sur des mises en place de protection et de sauvegarde du patrimoine dans un premiers temps : créations, dans les années 80, d’écomusées, de parcs régionaux qui s’appuyaient sur des savoir-faire agricoles, artisanaux et industriels qui visaient à développer le territoire par un dynamisme social et l’afflux de touristes. Cela a débouché sur des expositions sur les savoirs locaux, les traditions, les savoir-faire, de circuits touristiques les fameuses routes des vins, les melons, des châteaux et des églises romanes, par exemple -, associées à des présentations de produits, des dégustations, des visites de fabriques artisanales qui déboucheront sur la commercialisation des produits du terroir. La notion de terroir rejoint celle de la sauvegarde et de la défense d’un patrimoine local. La défense d’une culture locale tant agricole, technique que culinaire et culturelle.

Mais qu’est ce que le terroir? C’est ce que nous tenterons de définir ici ce soir. Le terroir est une notion polysémique qui peut prendre des significations multiples selon les différentes approches et les contextes où il se situe.

Les géographes ont été les premiers à donner une définition du terroir comme “un espace géographique défini par les qualités physiques  particulières de pentes, d’expositions, de natures de sols”. C’est ce qui permet de désigner des terroirs de plaines, de coteaux, des terroirs argileux, argilo-calcaires, etc.  Donc le terroir peut être défini comme un ensemble organisé de lois, règles et choix impliqués dans l’agencement de terrains, de cheptels, d’équipements et de pratiques. Poussant leur réflexion plus avant, certains géographes lient le terroir au travail des hommes qui l’aménagent tout au long d’une histoire agricole - assèchement des marais, aménagement de pentes, irrigation création de terrasses - pour créer un milieu physique propice à une culture particulière, des techniques culturales de production.

 A ce stade ils rejoignent les agronomes pour qui le terroir est un espace d’où provient un produit agricole appelé produit du terroir qui présente les caractères du milieu physique. présentant “une écologie appliquée à la production des peuplement de plantes cultivées et à l’aménagement des territoires agricoles” (Stéphane Hénin). Cette définition s’inspire de la pédologie, elle fait naitre l’idée d’un terroir  adapté à un type particulier de production. Le terroir devient le lien entre le produit et le paysage qui va définir les appellations d’origine, le produit évoque un paysage qui est une valeur ajoutée. Cette définition des agronomes lie la qualité du produit à la qualité du paysage.

 Une terre a défini, à un moment particulier de l’histoire, un certain type de production, mais le rôle des hommes est important qui, par les pratiques agricoles créent ou transforment un paysage et confectionnent un produit. Peu à peu, ils créent  des pratiques originales de cultures, des outils, des manières de cultiver et de transformer. Ces pratiques culturales ont façonné le paysage, ont développé des systèmes de production qui leur sont propres, un milieu socioéconomique particulier.  Comme le définit le collectif Orstom: ” le terroir est une portion de territoire appropriée, aménagée et utilisée par un groupe qui y réside et en tire ses moyens d’existence”. Les contraintes agronomiques et sociales donnent une certaine homogénéité aux activités agricoles.

Nous pouvons tenter une définition qui fasse consensus, le terroir contient une idée de développement durable, une notion chère à Slow Food, ancienne notion qui désigne une association des hommes avec leur histoire, leurs organisations sociales, avec des pratiques agricoles et leurs savoir-faire. Cette définition donne au territoire le pouvoir de s’adapter aux évolutions des sociétés et aux technologies dans le cadre d’une continuité historique et culturelle. Un lieu d’intégration de projets et d’évolutions sinon, le terroir risque de devenir un musée.”

Yvon Minvielle, professeur de sociologie à l’université Pierre et Marie Curie à paris et vigneron à Camblanes, près de Bordeaux explique ce qu’il entend par Terroir.

« Carlo PETRINI, fondateur de Slow Food dit, à propos de la notion de terroir, « il faut reconceptualiser le concept ». Que veut-il dire ? Qu’il faut, me semble t-il, lui redonner contenu et sens, ne pas l’accepter tel qu’il est aujourd’hui utilisé, en faire un objet de pensée vivant et actuel. Il nous dit aussi que si, sur cette planète, il y a 800 millions de personnes qui ne mangent par à leur faim, il y a, un peu près, 1,6 milliard de personnes (le chiffre est approximatif) qui sont en obésité, c’est dire que l’empoisonnement collectif est en marche !
 

Il nous faut entendre le message. Il constitue, pour nous, une toile de fond politique extrêmement puissante et forte. Ce n’est pas seulement pour faire chic que l’on se propose, ici, de repenser la notion de terroir, c’est aussi parce que l’on attend de ce vieux mot bien français des éléments de vie et de survie, porteurs.
 

En  Sciences Sociales, la notion de terroir relève de ce que l’on appelle  « objet frontière », tout « le monde » s’en empare, historiens, géographes, anthropologues et à chaque fois, les sens attribués sont différents. Il nous faut garder en mémoire que l’idée de terroir a été utilisée par les folkloristes dans des tonalités qui n’étaient pas forcément élogieuses. Elle a été aussi utilisée par des politiques, Maurras, le Maréchal, en ont fait usage (la petite patrie) de même, aujourd’hui, les professionnels du marketing (colloque récent à la Sorbonne « terroir et culture ») en font usage eux aussi.
 

Dans les sociétés agroalimentaires, chacun y va de son « naturel retrouvé », plus ou moins authentique, et des usages commerciaux qu’il est possible d’en faire. On connaît aussi les usages qui en sont faits dans l’univers politico-administratif : nouveaux découpages, nouvelles constructions, pays, communautés de communes, développement local, etc. Donc, un objet frontière avec des utilisations multiples auxquelles il faudrait consacrer beaucoup de temps pour établir la cartographie des usages. Pour faire et aller à l’essentiel, nous dirons qu’il y a deux tendances : une tendance naturaliste et une tendance culturaliste.
 

La tendance naturaliste nous dit que le terroir, c’est la nature. C’est quoi la nature ? On ne sait pas trop. Est-ce qu’il y a une nature naturante et récurrente qui était là avant qu’il y ait de l’humain ? Je n’en suis pas sûr ! Mais à écouter les tenants de cette tendance, on pourrait penser qu’il y a une sorte de surdétermination par la nature. Ainsi en Bourgogne, on parle des climats. À tel endroit, quoique l’on fasse, il adviendra « des choses » que l’on peut, avant même qu’elles soient là, penser et nommer. Derrière cette pensée, se dissimule le souci du foncier, « touche pas à mon terroir il a de la valeur ». En Bordelais, si je suis en Pomerol, mon vin sera forcément bon, peu importe la manière dont je vais le travailler et encore plus si je possède un domaine qui a un nom ! Cela va de soi ! Et si tu oses dire que le travail de transformation a plus de valeur que ce que la terre apporte, c’est presque une insulte. Un auteur, Pitte, que certains connaissent ici, dans un livre récent sur Bordeaux et la Bourgogne, nous rappelle qu’il ne suffit pas d’avoir un stradivarius en main pour bien jouer du Mozart. Encore faut-il être en capacité d’exécuter, avec talent, la partition. L’instrument ne suffit pas. Le métier, le travail comptent.
 

La tendance culturaliste, elle, considère qu’entre nature et culture, on a du mal à faire la part. Un terroir, en viticulture, c’est aussi une terre à vigne. C’est quoi une terre à vigne ? Une terre travaillée par les hommes, depuis des siècles, pour cultiver la vigne et qui du seul fait qu’elle est une terre, où on cultive la vigne, a connu toutes sortes de transformations et aménagements liés à la vigne. Cette « idée posture » a toutes sortes de conséquences, habitudes de travail, utilisations d’outillages, manières de raisonner, etc. Manières de raisonner mais aussi manières de ressentir un terroir. Car le terroir, ce n’est pas uniquement de la culture et du cognitif, c’est aussi du ressenti. Le terroir, espace d’émotions, manières de ressentir les faits et gestes, la qualité d’un paysage, les manières de travailler. Comme dirait Augustin  Berque, le terroir, c’est une sorte de coquille, un espace à l’intérieur duquel nous vivons et nous nous construisons.
 

Dans ce lien entre culture et nature naissent  les « savoirs locaux », manières de dire le monde, de l’expliquer et d’agir sur lui. Ces savoirs locaux font partie du terroir. La culture, au sens large, fait corps avec la nature du terroir.
 

Autrefois, pour qualifier un terroir et les gens qui vivaient sur ce terroir, on nommait les manières de se nourrir et de s’habiller. Aujourd’hui, cela n’a plus beaucoup de sens. Restent les savoirs locaux qui rassemblent manières de penser, d’agir et de ressentir la nature, dont on a appris à connaître les caprices et les colères au fil des ans. Tout cela se transmet, plus ou moins bien, de génération en génération.
 

Dans l’univers de la viticulture et dans le travail du vigneron, ce qui m’a beaucoup frappé, c’est la place occupée par ce qu’on appelle la techno-science (ressources scientifiques et techniques utilisées pour produire). Leur usage intensif a progressivement écarté, abîmé et condamné les savoirs locaux liés au terroir. Je suis très surpris de rencontrer des vignerons qui ne savent plus vinifier. Certes, ils font toujours un vin « acceptable », accompagné par la techno-science, porté par l’œnologue. Soit mais que va t-il faire cet œnologue ? Quelles sont ses interventions ? Connaît-il seulement le processus de base de la vinification ? Il y a une sorte d’oubli progressif des processus fondamentaux du métier de vinifier. Tout cela est préoccupant. Tous ceux qui s’attachent, aujourd’hui, à un renouveau de la culture du vin sont soucieux de l’art de vinifier. L’art de vinifier, c’est une sorte de corps à corps avec la matière, une matière qui est sentie, ressentie, appréciée, goûtée, touchée, sur laquelle on intervient, avec pour souci premier, de ne pas dénaturer le cours des choses.
 

Tous ces savoirs font partie du terroir. Le terroir est une entité culturelle qui est faite de savoirs locaux qui se sont construits dans le rapport homme/nature. Ce serait un peu long à expliquer mais sachez quand même que nous qui sommes si fiers de nos différences culturelles, nous ignorons l’exceptionnalité de nos « savoir vinifier ». Dans bien des pays, aujourd’hui, s’exprime la volonté de sauver les savoirs locaux. Ils sont une garantie pour l’équilibre de la planète. Nous sommes, peut-être, l’un des pays où la techno-science et la chimie ont fait le plus de ravages et pas uniquement dans la viticulture.
 

Carlo PETRINI, pour le citer à nouveau, dit que les français ont un rapport avec la gastronomie mais également avec la nature qui est à la fois un rapport de mère et de marâtre. Amour et châtiment ! Nous n’acceptons pas, nous refusons de voir certaines réalités alors que les destructions sont en cours. Dans certaines vignes près de chez nous, l’herbe ne pousse plus. Oui, au sens chimique du sens. Il n’y a plus de germes. Les terres sont mortes. Il nous faudrait à l’échelle de nos pays, de l’Europe, des continents, de la planète, une politique de la nature qui, peut-être, permettra de retrouver non pas les équilibres d’avant mais de bâtir les équilibres nouveaux dont nos terroirs ont besoin.
 

Ce n’est pas une position de passéiste ! L’histoire est en marche. La seule chose que l’on puisse faire, c’est tenter de trouver des équilibres qui ne soient pas trop destructeurs et qui conviennent à nos choix présents. Et pour ce faire, tout en prenant appui sur ce que la science nous apporte pour lire le réel et le comprendre, il est peut-être utile de remobiliser ces savoirs dit d’expérience ou savoirs locaux dont nous sommes les héritiers.
Voilà l’idée simple que je voulais vous faire passer : le terroir ne se réduit pas à une simple histoire de sol ! »

 

Deux autres intervenants Isabelle Téchouères et Christian Coulon ont pris la parole.

 


Mots-clés : Technorati

le 22.02.07 à 17:35 dans Agriculture
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