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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Nourritures célestes et terrestres

Erri de Luca, ça vous dit quelque chose? C’est un écrivain important de la littérature italienne contemporaine. Il écrit toujours dans une prose épurée, juste, sans aucune affèterie,  des histoires qui n’ont l’air de rien mais qui disent beaucoup de choses.

“Montedidio” n’échappe pas à la règle,  le quartier pauvre de Naples, le plus haut de la ville, d’où son nom, abrite des gens d’une richesse incroyable, même s’ils vivent dans la pauvreté voire le dénuement. Selon son habitude, Erri de Luca écrit à la première personne, l’histoire d’un jeune garçon, apprenti menuisier, et, tout au long de très courts textes, raconte son passage à l’âge adulte. Les personnages sont étonnants, presque irréels parfois, de même que des situations très extraordinaires, au sens étymologique de ce mot, et cela donne de la magie au livre. Tout comme l’utilisation du dialecte napolitain qui transforme les mots tel ammore à qui la double consonne donne à la fois de la douceur et de la force.

Les personnages, n’étant pas de purs esprits, se nourrissent et à plusieurs reprises, Erri de Luca décrit les repas qu’ils préparent pour différentes occasions. J’ai sélectionné deux passages qui m’ont beaucoup frappée, très différents l’un de l’autre mais tellement révélateur des caractères, des personnalités profondes. Je ne vous en dirais pas plus, il faut lire ce livre.

Le dîner de Raffaniello : « Là où il habite, une chambre qui était un débarras, il n’y a pas de lumière électrique. Le soir, il allume une bougie. Il la pose sur une chaise, il dit qu’il faut qu’elle soit basse car la lumière veut monter. Il dit aussi que la bougie éclaire l’obscurité, elle ne la chasse pas. Au feu de la mèche, le verre de vin s’allume, l’huile brille, le pain sent le feu et se met à sentir bon. Qu’est ce que vous mangez d’autre ? lui dis-je. Un oignon, dit-il, comme il est beau près de la bougie, on a plutôt envie de l‘embrasser que de le couper. Puis il y met de l’origan, le sel scintille quand il en fait tomber une pincée sur l’assiette devant la lumière. Pendant qu’il me parle de ces choses connues, je m’aperçois que je ne les ai jamais vues sous une bougie. Elles semblent meilleures. Elles sont nourrissantes… »

 Le dîner de Noël «  J’entre dans la maison, un froid pesant, muet, à se mettre au lit. Je prépare le chapon avec du sel et du poivre, je le mets au four avec des pommes de terre, c’est une prise de chaleur. Dans la cuisine, m’arrive la radio d’une maison d’en face… C’est Noël, des pièces éclairées, les familles mettent la table. Sur la mienne est préparée la place du boumeran, celle du chapon, celle de Maria avec les biscuits… Quand elle frappe à la porte, je range le rouleau et j’allume la lumière et entrent en même temps qu’elle sa robe rouge, un parfum qu’elle a mis sur elle et la chaleur des biscuits sortis du four juste avant. « Stasera faccimm’ ammore » ce soir nous faisons l’amour, dit-elle, j’ai fait cuire le chapon avec les pommes de terre nouvelles, dis-je. Elle pointe le nez vers la cuisine et me pousse devant elle, de ce côté-là….  L’appétit lui est venu, nous nous détachons du sol, nous mettons nos vêtements, elle se recoiffe, je n’allume pas la lumière. La cuisine a encore un peu de chaleur de four et nous sommes encore tièdes d’amour. Nous nous servons de chapon et de pommes de terre, assis l’un près de l’autre, nous mangeons avec les mains, nous donnant des coups de coude pour nous regarder et rire de nous deux dans le noir, nous éclairant avec la lumière de l’extérieur. Nous avons mis nos serviettes autour du cou, des rots nous échappent, le boumeran est à table avec nous. Elle me fourre des pommes de terre dans la bouche, moi je fais semblant de m’étrangler, nous nettoyons le fond du plat avec la mie de pain. C’est bien d’être nous deux et basta, dit Maria la bouche pleine. Nos yeux se sont habitués à l’obscurité, une lumière de bougie qui vient de l’extérieur nous suffit, nous nous sommes mis une couverture sur le dos et nous mangeons les biscuits aux amandes, elle en a fait plein et nous les mangeons tous, il ne reste rien. « La prochaine fois, je ferai une tarte », dit-elle. Entre temps d’une maison voisine commence une chanson de joueurs de musette, une famille les appelés pour faire un peu de musique, elle nous arrive distinctement, dans cette maison elle est sûrement si forte qu’il doit falloir de protéger les oreilles. Nous avons même la fanfare ce soir, je lui mets un bras sur l’épaule, nous tirons la couverture sur nos têtes, nous frottons nos bouches sales l’une contre l’autre, nous nous léchons comme des chats. Plus tard, nous nous mettons au lit, dans mon petit lit du débarras, nous nous endormons entrelacés, de telle façon que si l’un se réveille il doit réveiller l’autre pour se dégager. Nos corps font des nœuds. »     

le 31.05.06 à 21:48 dans Nourriture et littérature
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L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

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