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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Les techniques de chasse à la préhistoire

En parallèle du cru sur Fureur des Vivres, il me parait opportun de vous faire partager cet extrait de “Pourquoi j’ai mangé mon père” de Roy Lewis au début du chapitre 5.

En premier lieu parce que ce livre m’amuse énormément et ensuite parce que je trouve intéressant de voir comment les hommes préhistoriques allaient chercher leur bifteck avant de le dévorer tout cru.

 

Avant cette invention de mon père (lance de chasse à pointe trempée au feu), la faiblesse des dards que nous fabriquions, pour abattre le petit gibier, avec les rameaux les plus droits que nous pouvions trouver, c’était leur pointe. A une certaine distance, elle perdait toute force de pénétration. Or il n’est pas facile de s’approcher d’un bouquetin, d’une gazelle ; aussi perdions-nous beaucoup plus de gibier que nous n’en abattions. Quant aux grosses bêtes, outre le danger de les serrer de trop près, nos dards ricochaient tout simplement sur leur blindage.
Les nouvelles pointes durcies au feu changeaient tout ça. Pour les ongulés par exemple, nos dards étaient mortels à trente mètres, et nous nous exercions couramment sur des cibles du double de cette distance. C’était généralement le crane d’un zèbre ; j’atteignais l’orbite à cinquante mètres, Oswald à plus de soixante, parfois à soixante dix avec des dards bien droits. Nous nous exercions bien sûr avec des pointes émoussées, car la meilleure pointe durcie s’use vite, même à la chasse. Il faut souvent aller la passer au feu, ce qui limite, il faut en convenir, le rayon d’action de l’arme nouvelle. Toutefois, du jour de son introduction dans notre arsenal, il arriva beaucoup moins souvent que nous eussions faim.



Il devint normal de chasser le cheval, le zèbre, le cerf, le kongoni, le gnou, l’élan, l’oryx et les caprins quand l’occasion s’en présentait. Nous courrions courbés dans l’herbe haute qui couvrait la plaine, nous redressant seulement pour viser notre proie. Cette capacité comme celle de grimper aux arbres pour faire le point, nous donnait l’avantage de la surprise, malgré les sentinelles faisant le guet pour le troupeau. Il n’y avait guère que les girafes qu’on avait du mal à surprendre, et nous n’en attrapions pas beaucoup. Nous avions de meilleurs résultats avec les chalicothéruim, dont le cou est plus court. Mais avec leur bois en éventail, ils sont dangereux quand ils sont blessés. Les nouveaux dards rendaient possible de tuer des buffles, mais eux aussi sont dangereux, et au début il y eut pas mal de victimes : personne ne court plus vite qu’un buffle, même avec un dard fiché dans le dos.
Nous essayâmes la nouvelle arme sur les hippopotames et les crocodiles, espérant ajouter un peu à notre sécurité quand nous venions boire. Mais les résultats furent médiocres.
Les crocodiles sont très forts pour dresser des embûches de ronces et de papyrus, où les animaux s’embarrassent et s’enfoncent. Père en conçut l’idée de tendre des pièges, nous aussi. Cela ne nous plaisait guère, car c’était à nous, les garçons, que revenait la tâche de creuser les fosses. Or, creuser une fosse de trois mètres de fond et de quatre au carré, cela représente de remuer cinquante mètres cubes de terre et de cailloux ; et ce n’est pas un mince boulot quand on n’a pour le faire qu’un pieu trempé au feu, une omoplate de zèbre et les mains nues. Mais père insistait beaucoup : « C’est dur à faire, convenait-il, mais ensuite c’est automatique. L’idée en est donc juste. Reste à imaginer un équipement lus efficace pour remuer la terre. » C’est ce que nous ne sûmes trouver, et ce fut un grand soulagement pour nous quand père eut l’idée de suspendre un dard pointe en bas, entre deux arbres, par un système de lianes dont une partie était tendue à la hauteur des défenses d’un sanglier : quand la bête cassait la corde, la lance lui entrait droit entre les épaules. Il aurait volontiers équipé la forêt toute entière de ces mécanismes, sans le risque d’oublier où ils étaient placés et de les faire sauter nous-mêmes. Oncle Vania leur échappa de justesse et vint se plaindre.



Avec nos dards modernes, et la sécurité de laisser les habitants de nos cavernes à l’abri du feu, nous jouissions d’une assurance nouvelle, grâce à la quelle nous osions partir chasser dans tous  les azimuts. Quand nous tuions, nous écorchions et dépecions la bête sur place, et nous faisions ripaille du sang, des entrailles, de la cervelle avant d’emporter les quartiers sur nos épaules. Quels trophées comparés aux lapins, blaireaux, écureuils et autres rongeurs qui avaient si souvent formé nos seuls tableaux de chasse dans le passé ! Nos dards servaient à tout : à tenir les hyènes en respect, quand elles prétendaient se joindre à notre table ; à mettre à mort un éléphant, ou un rhinocéros, déjà blessés ou épuisés au cours des guerres civiles printanières. Toute la horde venait alors s’installer sur l’énorme carcasse, comme des vautours, et nos mâchoires y traçaient leur chemin pendant tout un week-end. Et c’était une plaisante musique, le suip’-suip’-suip’ de nos couteaux de silex que nous nous relayions à aiguiser, et un plaisant ballet, celui de nos haches de pierre, montant et retombant sur des fémurs gros comme des troncs d’arbres, à mesure qu’ils se découvraient, pour en extraire la substantifique moelle.
A mesure que nos chasses gagnaient en efficacité, les femmes pouvaient passer plus de temps aux travaux du ménage, au lieu d’être obligées de suivre les chasseurs pour avoir leur part de butin. Ce fut vers cette époque que père commença de dire que la place de la femme est au foyer. Mais nous autres garçons nous nous joignions aux chasses, non seulement pour aider, mais parce que père ne croyait, en fait d’éducation, qu’à la méthode directe.



Dessins extraits de la BD "Vallée Vézère" de Th. Felix et Ph. Bigotto,Tome 1, éditions  Dolmen


Mots-clés : Technorati

le 16.06.08 à 09:00 dans Nourriture et littérature
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