S'identifier - S'inscrire - Contact

Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

Recherche

 

La baguette et la fourchette

 « Un homme rend visite à un grand maître pour apprendre le bouddhisme. Le maître lui demande de verser de l’eau dans une tasse pleine qu’on venait de lui servir. Très confus, l’homme obéit tout de même. L’eau déborde bien sûr de la tasse, et le maître lui dit : « Regardez-bien. Si vous êtes venu avec une tête pleine comme cette tasse, comment pourrais-je vous enseigner le bouddhisme ? » Il n’est pas question pour le maître de « vider » son cerveau, mais pour l’élève de combattre les préjugés et de les vaincre lui-même. Même si on réussit à se débarrasser de tous ses préjugés comme on vide une tasse de thé, la tasse elle-même reste toujours un préjugé, car c’est elle qui donne la forme à l’eau contenue. Seuls les grands philosophes et les fous font peut-être exception. C’est sans doute pour cette raison que l’expression « être fou » se dit en chinois « L’eau s’infiltre dans ton cerveau » : la tasse est endommagée. Il ne faut donc pas s’inquiéter si on a des petits préjugés comme le refus du tofu ou qu’on préfère certains fromages. Cela montre que notre tasse est entière. »


 
 

Ceci est un extrait d’un livre dont la parution, et c’est fort dommage, n’a pas défrayé les chroniques littéraires, ni gastronomiques, hormis quelques rares bons critiques. A tel point que si un ami chinois et restaurateur ne m’avait dit : « il faut que tu le lises, c’est passionnant », je serai peut-être passé à côté. Il est cocasse d'ailleurs que peu après que l’on m’ait conseillé ce livre, j’ai lu deux articles le recommandant, dans le supplément livre du jeudi de La Croix et dans Le Monde Magazine du week-end.

Et pourtant quel livre !

 

Merci du conseil, j’ai plongé dans la lecture de ce livre avec passion et en suis ressortie pleine de bonheur et beaucoup plus riche. Je sais déjà que je le relirai et le consulterai régulièrement. Il est écrit par un de ces rares esprits intelligents, fins et modestes (dernière qualité, bien rare, hélas ! de nos jours) qui exprime dans ce  petit opuscule les réflexions que lui inspirent notre cuisine et celle de son pays.

Sous-titré « les tribulations d’un gastronome chinois en France », » La Baguette et la Fourchette » de Yu Zhou est un livre remarquable. On y retrouve la même subtilité intellectuelle celle de son compatriote François Cheng dans « Le Dialogue ». Comme F. Cheng se livrait dans son ouvrage à un dialogue entre les langues chinoise et française, Yu Zhou s’exerce au même exercice dans « La Baguette et la Fourchette ». Un va et vient entre deux gastronomies aussi réputées l’une que l’autre avec leurs mystères si déroutants pour les non-initiés.

Pour Yu Zhou, la cuisine est un des meilleurs moyens de découvrir la culture de l’autre, La Baguette et la Fourchette, explique donc les différences culturelles existant entre la France et la Chine à travers l’art culinaire. Pas à travers ses recettes, il n’y en a qu’une dans le livre, mais à travers l’art, la philosophie, la musique, le confucianisme, la littérature...


Certains chapitres nous entrainent à la découverte de la gastronomie chinoise, dévoilant les mystères des mots frais ou fade, du concept de la sinuosité, de la composition de la soupe de perles, d’émeraude et de jade blanc, de la calligraphie des aliments dans la langue chinois, ou des métaphores, culinaires bien sûr, du corps féminin, d’autres expliquent  la manière de manger, les chansons de table et les livres de cuisine, d’autres encore s’emploient à comparer les gastronomies chinoise et française dans ce qu’elles ont de plus significatif : utilisation de la fourchette et de la baguette, différence entre le ravioli chinois et le sandwich français, le vin et le thé, par ex. Je ne vais pas énumérer la table des matières, les tribulations de ce gastronome chinois explorent la gastronomie en profondeur.

Découpé en petits chapitres, le livre est d’une lecture aisée et les dessins très fins d’Anne-Sophie Gousset illustrent agréablement le propos de l’auteur.

Arrivé  en France en 1999, Yu Zhou fit un séjour dans la centre de rétention de Hendaye dix ans plus tard et failli est renvoyé d’où il venait pour défaut de papier, c’est une grande chance qu’il n’en fut pas ainsi. La réflexion intelligente et cultivée, si absente de notre littérature gastronomique, aurait perdu un de ses maillons forts. Son incarcération l’a poussé à écrire pour laisser une trace de son passage en France, écrit-il dans la préface,  ajoutant avec une belle hauteur d’esprit en regard de sa situation : « La France m’a donc permis, non pas de renaître de ma vie, mais de me réincarner en quelque sorte dans une autre vie, plus dense et plus originale. » et il termine cette même préface par cette belle déclaration : « je voudrais tout de même dire que ce livre est l’expression de mon amour pour ce beau et grand pays. »

alt : Widget Notice Mollat

le 27.09.12 à 19:19 dans Livres
- Commenter -

Partagez cet article


Commentaires

On dirait que ce livre est d'une simplicité cachant la profondeur. Il est vrai que dans la culture de l'Extreme-Orient, les nourritures sont digéstives de la spiritualité.

luna - 06.10.12 à 23:06 - # - Répondre -

Un livre des recettes exotiques

J'ai juste lu la quatrième de couverture de ce bouquin et ça m'a rappelé mon voyage au Moyen-Orient  l'an dernier, le style est d'une simplicité apparente mais d'une profondeur énorme.

Lorna - 05.02.13 à 14:43 - # - Répondre -

Bonjour.
Le silence (relatif) des chroniqueurs quant à cet ouvrage ? Oh, vous savez, dès qu'il s'agit du Boire et du Manger, les critiques littéraires mettent leur chapeau et s'en vont ; quant aux critiques gastronomiques... Bref.
Merci à vous pour ce conseil de lecture.
Cordialement.

Pascal Boissière - 11.10.12 à 16:38 - # - Répondre -

Je commande de suite ! Merçi Ségolène; j'ai aperçu "ta place" au Salon du livre Gourmand de Périgueux, mais tu n'étais pas là quand je suis passée .... une autre fois !  Laurence

laurence - 22.11.12 à 09:36 - # - Répondre -

Commenter l'article

Mon livre

L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

Tous les articles publiés

Parcourir la liste complète

Annonces

Inscrivez-vous à ma lettre d'informations

Inscription désinscription

J'en ai parlé

Archives par mois

Abonnez-vous

ABONNEZ VOUS SUR