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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Gourmandises viennoises

A la recherche des meringues
 

Je ne peux résister à l’envie de vous écrire les quelques paragraphes du livre « Le cuisinier de Talleyrand ». Lorsque je vous ai présenté ce livre j’ai cité le passage où Catherina découvre les fameuses meringues. Je vous copie maintenant un passage de pure gourmandise lorsque Janez et Catherina décide de rechercher où sont fabriquées ces merveilleuses meringues.
  
" Janez n’avait donc qu’une certitude : l’homme qui était mort était venu de Vienne, suivi par un autre, probablement son assassin, qui se cachait de lui. Il portait, relié par une chaîne, une pyramide de gamelles contenant un reste de matelote d’anguille, des pêches au sirop vanillé et, surtout, d’excellentes « meringues » dont il ne restait plus qu’un exemplaire. C’était bien peu de chose, mais Janez n’avait que cela pour mener son enquête. Si ces sucreries étaient vraiment les meilleures du monde, comme le disait Catherina, on devait pouvoir en retrouver la trace. Mais, comment procéder dans l’effervescence viennoise ?
- Je ne vois qu’une solution, lui dit la jeune femme lorsqu’il lui confia son embarras. Vous devez m’emmener dans toutes les pâtisseries de la ville !
Elle rit sans retenue, avec son nez retroussé, sa bouche pulpeuse, son œil noyé dans une estompe de rose pâle. Elle portait une robe panier bleu clair, en satin froissé, et des bottines mordorées qu’on apercevait quand elle agitait ses jupons blancs. On aurait dit un morceau de ciel enveloppé dans du papier de soie. Il la prit au mot : ils traqueraient ensemble la meringue jusqu’au dernier recoin de la capitale. Etalant une carte de Vienne, ils se firent le projet d’encercler leur proie, procédant par cercles concentriques des environs jusqu’au cœur de la ville.
Ils commencèrent par se rendre en calèche dans les auberges réputées de la forêt viennoise, là où, près des ruisseaux, aux bords des clairières à biches et à sorcellerie, se dégustaient, au son mélancolique des violons, des gâteaux pleins de sucre et de crème. Ils cherchèrent dans les guinguettes des faubourgs, celles de Hietzing, de Grinzing, de Lerchenfeld, où venaient les petits bourgeois et les ouvriers endimanchés pour écouter, sous des tonnelles ombragées surchargées de cages à oiseaux, les orchestres amateurs jouer du Mozart ou du Haydn. On y grignotait, accompagnés des crus légers et clairs des coteaux autrichiens, de superbes tartes aux groseilles et à
la rhubarbe. Catherina croquait à plaines dents. Lui s’attardait à questionner les cuistots et les marmitons. Mais la plupart n’avaient jamais vu de meringue.
Ils enquêtèrent dans les restaurants près des débarcadères, se mêlèrent au public des marins et des lavandières. Catherina promenait sa fraîcheur sans se salir, son naturel sans s’abaisser, gagnant par sa bonne humeur la sympathie des filles pour la plupart jeunes mais déjà fanées, les joues trop laquées de rouge ou trop plâtrées de talc. Sur les comptoirs, sur des tables dont les nappes étaient maculées des tâches bleues du vin renversé, ils goûtèrent à toutes sortes de pâtisseries échouées là au gré des arrivages: pains d’épices allemands, croquants magyars, « Buchtel » tchèques fourrés de marmelade de prunes, « pannicia » italiens au miel et aux épices, et d’autres encore, au nom imprononçable, au goût inimitable. Mais rien qui ressemblait de près ou de loin à leurs meringues.
Il leur fallait affronter Vienne. Ils firent d’abord le tour des pâtissiers les plus réputés de la ville, ceux de la Stephansplatz et du Graden, s’attablèrent dans tous les grands « Kaffés » pris d’assaut par la foule du congrès, commandèrent, en y trempant à peine les lèvres, toutes sortes de breuvages – des mokas à la crème fouettée, des « capucins », des « franciscains », des « mazagrans » au goût de rhum lourd, des cafés éclaircis d’un nuage de lait, caressés de copeaux de chocolat noir, poudrés de clous de girofle râpés – pour le seul loisir d’examiner les cartes et d’observer les chariots à gâteaux que des maîtres d’hôtel, le poing dans le dos, poussaient jusqu’à leur table avec des gestes graves.
Ils virent quantité de tartes et de choux, de nougats et de babas, d’éclairs et de religieuses, presque partout ces « croissants », dont la pâte nageait dans le beurre, que les Viennois avaient pris l’habitude de servir pour célébrer la victoire sur les Turcs, souvent des « Milirahmstrudel » servis avec un verre de liqueur, quelquefois des « Mozart Kugel », boules de chocolat fourrées de massepain, dont le compositeur, à ce que l’on disait, raffolait au plus haut point. Ils virent même quelques meringues, mais des grosses, laides et pâles, à la consistance de plâtre, qui, au premier coup  de dents, tombaient en putréfaction dans la bouche.
Alors pour ne pas se laisser aller au découragement, Catherina entraîna Janez au hasard dans le vieux Vienne. Il riait et se laissait faire, conquis par cette tornade blonde qui l’entraînait. Elle mettait dans chaque geste une énergie joyeuse et communicative. Ils s’égarèrent dans la vieille ville, dans des quartiers sentant la frangipane et le poulet rôti, à la recherche de ces pâtissiers qui cachaient le savoir-faire hérité de leurs pères dans des boutiques du Moyen-âge assez anciennes pour avoir connu l’invasion des Huns, et le siège des Turcs, peut-être même les légions romaines de Fabianus. Ils dégustèrent, certes, au milieu de la cohue des voitures à bras et des chaises à porteurs, dans la musique des orgues de Barbarie et des joueurs de flûte, de merveilleux « Apfelstrudel », au goût mêlé de caramel et de cannelle, de délicieux « Semmel », petits pains ronds qui laissaient sur les mains et la bouche un peu de leur farine blanche. Mais ils ne virent point de meringues.
Las, ils se laissèrent aller à suivre au hasard des ruelles les bouffées caressantes des pains brûlants sortant des fours, débusquant sous les arches et les passages couverts, les pains au chocolat et les gaufres chaudes, pistant jusqu’au travers des fenêtres ouvrant sur les cuisines, les parfums de miel et d’amandes grillées, les muscs des crèmes vanillées et des confitures chaudes.
Il était déjà tard dans l’après midi. Catherina devait se rendre à sa répétition. Ils se séparèrent sur le Ferdinandsbrücke et se donnèrent rendez-vous un peu plus tard au café Hugelmann. Janez se surprit à embrasser la jeune femme avec une tendresse, qui, eu égard à la jeunesse de leur relation, le surprit et l’effraya un peu. Il y avait sur ses lèvres un peu de sucre glace, une douceur de cerises confites."

Si après cela vous ne courrez pas acheter ce livre….
Le cuisinier de Talleyrand de Jean-Christophe Duchou-Doris aux éditions Julliard

 

le 18.06.06 à 18:54 dans Nourriture et littérature
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Mon livre

L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

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