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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Flaubert et Salammbô

Il existe dans la littérature des récits  de repas absolument remarquables qui donnent à voir les mentalités des époques où vivaient et vivent les auteurs et le goût de ces derniers pour la chose culinaire. Les XIXe siècle, siècle des écrivains réalistes et naturalistes est riche en descriptions d'agapes, de dîners, de soupers entre amis et de grands repas que ne dédaignerait pas le célèbre gaulois Obélix. 
Nous allons commencer par Flaubert, pour qui la table était une affaire importante. Dans Salammbô, il débute le roman par le récit d'un banquet étonnant. Héritier de Rabelais, par le nombre de mets offerts aux convives mais homme de son temps par le désir de faste et de raffinement.

C'est une description qui commence par une ouverture qui a un  rythme remarquable:
"C'était à Mégare, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar" .

Le décor est posé. Entrons dans ce jardin et observons les convives, les mercenaires recrutés par Hamilcar,  et la mise en place du repas:

"Ils s'alongeaient sur des coussins, ils mangeaient accroupis autour de grands plateaux ou bien, couchés sur le ventre, ils tiraient à eux les morceaux de viande, et se rassasiaient appuyés sur les coudes, dans la pose pacifique des lions lorsqu'ils dépècent leur proie. Les derniers venus, debout contre les arbres regardaient les tables basses disparaissant à moitié sous des tapis d'écarlate et attendaient leur tour. Les cuisines d'Hamilcar n'étant pas suffisantes, le Conseil leur avait envoyé des esclaves, de la vaisselle, des lits; et l'on voyait au milieu du jardin, comme sur un champ de bataille où l'on brûle les morts, de grands feux clairs où rôtissaient des boeufs. Les pains saupoudrés d'anis alternaient avec les gros fromages plus lourds que des disques, et les cratères pleins de vin, et les canthares pleins d'eau auprès des corbeilles en filigrane d'or qui contenaient des fleurs. La joie de pouvoir enfin se gorger à l'aise dilatait tous les yeux; çà et là les chansons commençaient."

Avec quoi Halmilcar allait-il rassasier ses mercenaires? Les mets décrits réunissent la quantité et la qualité, une délicatesse qui s'oppose au gigantisme, Apicius versus Carême.

"D'abord on leur servit des oiseaux à la sauce verte, dans des assiettes d'argile rouge rehaussé de dessins noirs, puis toutes les espèces de coquillages que l'on ramasse sur les côtes puniques, des bouillies de froment, de fève, d'orge, et des escargots au cumin sur des plats d 'ambre jaune. Ensuite les tables furent couvertes de viandes: antilopes avec leurs cornes, paons avec leurs plumes, moutons entiers cuits au vin doux, gigots de chamelles et de buffles, hérissons au garum, cigales frites et loirs confits. Dans des gamelles de bois de Tamrapanni flottaient, au milieu du safran, de grands morceaux de graisse. Tout débordait de saumure, de truffes et d'assa foatida. Les pyramides de fruits s'éboulaient sur les gâteaux de miel, et l'on avait pas oublié quelques uns de ces petits chiens à gros ventre et soies roses que l'on engraissait avec du marc d'olive, mets carthaginois en abomination aux autres peuples."

Je passe sous silence la description des manières de manger de ces mercenairse qui restent des barbares et qui permet à Flaubert de distinguer  les diverses origines de ces soldats. Car ensuite, répond à ce fastueux repas, les largesses d'Hamilcar envers le peuple de Carthage dont la ville fut rasée et qui souffre de la faim. De nouveau, le décor est planté, la distribution des mets peut commencer:

"
Carthage était en joie, une joie profonde, universelle, démesurée, frénétique; on avait bouché les trous des ruines, repeint les statues de dieux, des branches de myrte parsemaient les rues, au coin des carrefours l'encens fumait, et la multitude sur les terrasses faisait avec ses vêtements bigarrés comme des tas de fleurs qui s'épanouissaient dans l'air. Le continuel glapissement des voix était dominé par le cri des porteurs d'eau arrosant les dalles; des esclaves d'Hamilcar offraient en son nom de l'orge grillé et des morceaux de viande crue... Le festin alait durer toute la nuit et les lampadaires à plusieurs branches étaient plantés comme des arbres, sur les tapis de laine peinte qui enveloppaient les tables basses. de grandes buires d'électrum, des amphores de verre bleu, des cuillères d'écaille et des petits pains ronds se pressaient dans la double série des assiettes à bordures de perles; des grappes de raisin avec leurs feuilles étaient enroulées comme des thyrses à des ceps d'ivoire; des blocs de neige fondaient sur des plateaux d'ébène, et des limons de grenades, des courges et des pastèques faisaient des monticules sous les hautes argenteries; des sangliers, la gueule ouverte, se vautraient dans la poussière des épices; des lièvres couverts de leurs poils paraissaient bondir entre les fleurs; des viandes composées emplissaient des coquilles; les pâtisseries avaient des formes symboliques; quand on retirait les cloches des plats, il s'envolait des colombes."

Là encore, l'abondance le dispute au luxe et le faste à la beauté. toute peine est abolie. La nourriture comme récompense et réconfort après la souffrance. Après les épées, les colombes. 
Mots-clés : Technorati, Technorati

le 21.01.19 à 11:28 dans Nourriture et littérature
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