S'identifier - S'inscrire - Contact

Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

Recherche

 

DON ALIMENTAIRE

Charité et aumône

 Avec le concept de charité et d’aumône, le don alimentaire n’est pas une transaction ce qui fait son originalité et sa particularité car il n’oblige pas à un échange : je te donne de la nourriture mais tu ne me dois rien. Le don alimentaire devient le symbole du maintien en vie. C’est un transfert qui abolit la dette : j’ai de la nourriture je te la donne pour que tu vives, cela n’entraine aucune dépendance. C’est un don anonyme sans contre-don, une forme d’assistance sociale. Avec l’aumône le don de nourriture dépasse le niveau matérialiste de l’échange et lui donne une nouvelle dimension.  Car le terme aumône vient d’un mot grec qui signifie « pitié » qui apporte une dimension d’empathie envers celui qui souffre de la faim.  Un beau geste de fraternité.

Le hareng constituait au XVe siècle la principale alimentation du pauvre, surtout en temps de Carême, il fut donc fait une « distribution de soixante-dix millions de harengs saurs et caqués, faite par ordre du Roi en 1408 et 1409, à plusieurs hospitaulx, maisons-Dieu et autres pauvres gens ». C’est ce qu’écrit un Bourgeois de Paris dans son Journal qui narre d’autres périodes de disettes durant lesquelles l’aumône fut nécessaire, car les prix des denrées alimentaires grimpaient empêchant les plus pauvres de pouvoir s’acheter de quoi subsister. Par exemple lors de la Chandeleur de 1421 « Et pour la pauvreté que chacun de habitants de la bonne ville de Paris aient à souffrir, firent tant qu’ils achetèrent maisons trois ou quatre, dont ils furent hospitaulx pour les pauvres enfants qui mourraient de faim parmi Paris et avaient bon potage et bon feu et bien coucher. » Et il raconte le 21 octobre1422 à la mort du roi Charles l’évènement suivant : " après grande procession à Saint Denis il fut donné aumône à 18369 personnes. Item on donna à disner à tous venants."

Pourtant, on ne peut pas dire que les rois furent très soucieux de leur sujets, leurs libéralités consistaient à offrir vin et lait et parfois banquets soit après le sacre des rois, soit lors d’entrée des rois dans une ville, plus proche du clientélisme des empereurs romains que des bienfaits des œuvres de charité. Une exception notable en 640, Clovis vend les louis d’argent du tombeau de St Denis pour acheter du blé.

 Selon une coutume qui veut que lors des grandes réjouissances urbaines, des fontaines de vin ( en réalité des tonneaux percés) soient installées sur les places pour la population. Ainsi raconte Jean de Troyes lors e de l’entrée de Louis XI à Paris « Et pour bien rafraîchir les entrants en ladite ville, il y avait divers conduits en ladite fontaine (celle de saint Denis ou celle du Ponceau) jetant lait, vin et hypocras dont chacun buvait que voulait »

Le18 mars1660, le Traité des Pyrénées est enfin publié à Lille, la ville organise alors une procession au cours de laquelle on jette à la foule des nieules, une tradition qui à Armentières remonte à Jacques de Luxembourg qui fut le premier à jeter ces petites galettes à la foule.

On retrouve dans de nombreux récits l’importance du pain dans l’aumône : donner un morceau du pain c’est faire que l’autre échappe à la mort, c’est faire preuve de bon cœur, démontrer sa volonté de partager. Durant la fête des morts, dans bien des régions, les plus riches se devaient de distribuer et de manger avec les plus pauvres le pain des morts, aussi appelé le pain des pauvres […] le pain partagé se trouve être un élément propitiatoire régulateur d’inégalités. (Dictionnaire universel du pain, article compagnon, p 255-56). Le pain peut donc être considéré comme l’aliment régulateur d’une société. Le pain béni ou consacré, levé ou non, est le symbole chrétien du partage et de la charité, distribué à tous sans distinction. Bénédictions et distributions sont des gestes associés qui donnent à la charité une essence divine puisque ce geste évoque le geste du Christ lors de la Cène. Cela devient un devoir pour tout chrétien de partager le pain avec celui qui en a besoin. On rejoint l’idée première du don alimentaire qui avec l’aumône lui donne une autre dimension dans laquelle celui qui reçoit n’est pas assujetti à rendre quelque chose en échange de ce don.

L’aumône n’implique jamais un échange, c’est un don gratuit. C’est un don sans contre-don, on peut considérer ce geste comme une sorte de devoir social et charitable qui n’engage ni celui qui donne, ni celui qui reçoit dans un système d’obligation envers l’autre. Elle ramène à la notion de « mana » définie par Levy-Strauss (Anthropologie structurale, p 163) Il prend comme exemple l’organisation des villages des Bororo vivant dans une nature généreuse qui ne les oblige pas un à travail incessant. A tour de rôle chaque famille prépare la nourriture pour les autres familles et elle l’offre en se parant comme par une fête et adresse cette offrande avec solennité. L’ensemble nourriture, beauté et prestance montre la qualité du rapport aux autres et par conséquent à la valeur matérielle de l’offrande s’ajoute une valeur spirituelle. Ce don de vivre produit la « mana » qui est un concept polynésien désignant la puissance spirituelle liée à la réciprocité. On peut faire un parallèle avec l’organisation de certains monastères ou communautés religieuses qui mendient leur nourriture, de même les enfants des écoles coraniques qui vont mendier leur repas auprès des croyants, ou les moines mendiants bouddhistes qui reçoivent leur part de riz de la part de fidèles qui offrent de la nourriture aux dieux dans les temples. Le don de nourriture s’inscrit dans un échange d’une nourriture matérielle contre une nourriture spirituelle la prière ou une protection divine. Elle produit la notion de charité, les Charités qui pour les Romains représentaient le symbole de la gratitude. La charité est une forme d’humanité qui naît de la transgression de l’intérêt pour soi par le souci pour l’autre, donc le don est le médiateur de la reconnaissance de l’humanité qui donne naissance à un être social supérieur à l’être purement biologique, cette reconnaissance de l’humanité de l’autre se fonde sur un principe de réciprocité spirituelle.

C’est le même principe qui régit la règle des monastères les obligeant à un devoir de charité envers tout voyageur et tout passant frappant à la porte Dans ces lieux isolés, lieux de paix les moines devaient assurer leur devoir d’hospitalité et d’assistance tout comme le Christ avait distribué pain et poisson ou multiplié les pains et distribué du vin alors des Noces de Cana, les moines devaient nourrir et abreuver chaque hôte qui demandait hospitalité.

le 13.11.21 à 20:15 dans Autour de la nourriture
- Commenter -

Partagez cet article


Mon livre

L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

Tous les articles publiés

Parcourir la liste complète

Annonces

Inscrivez-vous à ma lettre d'informations

Inscription désinscription

J'en ai parlé

Archives par mois

Abonnez-vous

ABONNEZ VOUS SUR