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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Desserts

En introduction à l'histoire des desserts, les écrits de Grimod de la Reynière dans l'Almanach des gourmets est très instructif. Il témoigne de ce qu'étaient les desserts à la charnière de deux siècles de XVIIIe et le XIX ème. Pour illustrer ce témoignage, nous faisons ensuite appel à un autre grand nom de la gastronomie: Marcel Rouff, un des fondateurs avec Curnonsky de l'Académie des Gastronomes et de Dodin-Bouffant, héros de son roman paru en 1924.

Grimod de la Reynière,
Almanach des gourmands, 1803-1812


Des entremets dans lesquels le génie du cuisinier a épuisé toutes ses ressources pour relever la saveur des végétaux, lui servent d’acolytes, et les extrémités de la table réservées aux petits fours, aux crèmes, aux friandises, attirent alors la principale attention des enfants et des dames. Les gourmands leur abandonnent alors volontiers ses agréables colifichets ; car tout bon mangeur a terminé son dîner après le rôti, ce qu’il mange au-delà n’est qu’une affaire de complaisance ou de politesse.

Mais c’est précisément parce que l’appétait est satisfait au moment où ce troisième service se produit sur la scène, qu’un artiste habile ne doit rien épargné pour le faire renaitre : c’est là son triomphe ; mais ce triomphe est rare et difficile, et les entremets sont ordinairement l’écueil où les plus grands talents viennent faire naufrage. […]

Les entremets sucrés offrent moins de gloire, sans doute, mais aussi moins de difficulté ; les pâtisseries et les crème souffriraient plutôt la médiocrité que les entremets potagers.

Qu’offrir à l’appétit après trois services aussi variés ? Le dessert est au dîner ce que la girande est au feu d’artifice ; c’en est la partie brillante, celle qui demande la réunion d’une foule de talents agréables. Un bon officier doit être tout à la fois glacier, confiseur, décorateur, peintre, architecte, sculpteur et fleuriste. C’est dans les repas d’apparat surtout qu’on voit ces talents se  développer de la manière la plus apparente.

  Grimod de la Reynière

 

Du dessert, considéré dans ses rapports avec la décoration et la friandise

Nous avons dit plus haut que le dessert est aux services qui le précèdent, ce que la girande est au feu d’artifice ; et si cette comparaison n’est pas exacte dans tous ses rapports, l’on comprendra du moins que le dessert est la partie la plus brillante du festin, que son apparition doit surprendre étonner, enchanter, ravir les convives ; et que si tout ce qui a précédé a satisfait pleinement le sens du goût, qui n’est autre que l’appétit bien digéré, le Dessert doit parler à l’âme et surtout aux yeux : il doit produire des sensations de surprise et d’admiration, qui mettront le complément aux jouissances que l’on a goûtées depuis le début du repas

Mais cet art, comme tous les autres, n’a fait en France que de très lents progrès ; et il encore cela en commun avec tous les autres arts, que c’est aux italiens que nous en sommes redevables.

Lorsque l’art du confiseur eut été perfectionné, l’on imagina de servir les desserts dans un nouveau goût. L’heureux assortiment des fruits naturels et des fruits confits servis en même temps, conduisit à l’idée de représenter les arbres et les arbustes qui les produisaient ; on en composa des dessins variés, on en forma des vergers délicieux qui frappaient agréablement la vue tout en stimulant le sens du goût. Les italiens qui furent les inventeurs de ce genre, le portèrent à un très haut degré de perfection.

On crut donner du mouvement et de la grâce à ce service, en couvrant les tables de plateaux de métal vernis, qu’ensuite on décora de glace. Avec des sables diversement colorés, on dessina des fleurs, on reproduisit la grâce et l’élégance des parterres, et on compléta l’illusion en garnissant ces parterres de petits figurines en sucre, auxquelles on donnait leurs véritables couleurs : on croyait voir une foule élégante et choisie se promener sur un boulingrin émaillé de fleurs.

Ce nouveau genre de luxe n’avait point pénétré en France, même dans les plus beaux jours de Louis XIV ; il était encore inconnu à ces magnifiques fêtes de Versailles de 1664 et 1666 dont Molière nous adonné une si belle description. Les premiers plateaux sablés apparurent au mariage de Louis XV en 1725 ; ce fut pour le reine Marie de Pologne, son épouse, qu’ils furet faits ; et cette princesse […] dut être aussi frappée que satisfaite de cette sorte de décoration.

Mais cet  art  a pris de nos jours un nouvel essor ; il se ressent de la perfection à laquelle nous avons su porter tous ceux qui tiennent au dessin et à la cuisine. […]

Ses prédécesseurs (Mr Dutfoy) nous offraient des vergers, des gazons et des parterres ; lui, construit des palais où tous les ordres sont réunis, dont les proportions, sévères, le goût parfait et les vastes étendues, attestent vraiment l’homme de génie. De ses mains habiles sortent des temples surmontés d’un vaste dôme, d’une élégante coupole, ornés d’un immense péristyle, de galeries à perte de vue, et de portiques élégants. Les colonnes, les entablements, les chapiteaux, les frontons, les architraves, les corniches, etc., tout cela est construit selon l  goût. Chacun de ces temples est décoté de ses attributs, des emblèmes qui caractérisent la divinité à laquelle ils sont dédiés, de manière que l’on peut apprendre la mythologie sans sortir de table. […] Et les feux d’artifice qu’il adapte à ses décorations et qui naissent au milieu de ses palais et de ses temples produisent un effet plus aisé à imaginer qu’à décrire.

A l’instant convenu on met le feu à une mèche soigneusement cachée, et qui dure pendant quelques minutes. Tout à coup le temple se couvre de feux odorants et de toutes les couleurs, mille gerbes s’émanent jusqu’au plafond. Les convives dont les yeux et les oreilles jouissent tout à la fois sont placés sous une voûte d’étincelles flamboyantes. Le bruit, l’odeur et l’éclat de ce spectacle imprévu causent un enivrement universel […] On conviendra qu’un dessert ainsi préparé est une véritable féérie, et qu’on se saurait terminer de manière plus éclatante et plus vive un repas somptueux.

La décoration nous a entrainés plus loin que nous le voulions, et il nous reste bien peu d’espace ici pour parler de la friandise. C’est cependant la partie la plus solide des desserts, mais elle prête moins à l’imagination qu’à la sensualité. Les compotes bien faites sont rares, aujourd’hui surtout que presque tous les bons officiers se sont établis confiseurs. Il en faut cependant dans les desserts bien ordonnés ; il faut aussi d’élégants rochers garnis de friandises, et c’est un genre d’architecture dans lequel le célèbre Rougiet excelle : les siens sont vraiment  pittoresques et toujours à l’image de la Nature. Des assiettes montées garnies de confitures sèches et de bonbons, des fruits glacés au caramel, les plus beaux fruits de chaque saison pyramidés avec art et simplicité, des confitures liquides dépotées dans des compotiers de la plus riche porcelaine, ces fromages fouettés et panachés, des fromages glacés, unis et cannelés, des glaces en tasses, en brique et en fruits, des biscuits, des macarons, des massepains, des biscuits manqués et masqués, des vases de conserve de fleurs d’orange soufflées, et enfin pour ceux qui ont besoin de gagner de la soif, du fromage de Roquefort qui mérite par-dessus tous les autres le nom de biscuit des ivrognes, et que nous lui donnons dans le cours de cet ouvrage : voila ce qui doit constituer un dessert dans toutes les règles. Des trois services c’est le plus dispendieux sans doute, et celui qui exige le plus de soins, et de soins minutieux de la part de l’Amphitryon ; mais aussi un dessert bien ordonné fait à lui seul la réputation d’une table, on en parle pendant six mois, et on le cite pour modèle et pour exemple chaque fois qu’on raisonne principes sucrés. Une telle gloire à laquelle si peu de gens aujourd’hui sont dignes de prétendre, n’est-elle pas la première comme la plus douce des récompenses ; et ne suffit –elle pas pour payer l’Amphitryon de toute la peine qu’il a prise pour la mériter ?

 

Marcel Rouff, La vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet

Ch. 4 : Dodin-Bouffant, un pot-au-feu et une altesse

Dodin-Bouffant fut invité par le prince héritier d’Eurasie qui lui servit un repas à la française dont un officier de bouche annonçait les services et le plats les composant. Pour le 3ème service :

« Les desserts seront de quatre assiettes de compotes, pâtes et marmelades :

De compote de coings en gelée vermeille,
De compote grillée de pêches,
De pâtes d’avelines,
De marmelades de violettes.

Il y aura :

Des oranges douces et de poires à l’eau-de-vie,
Des candis de cannelle et de jonquille
Des gaufres au vin d’Espagne
Des cornets et des gimblettes
Des massepains en laps d’amour,
Des macarons au liquide
Des glaces de rose, d’épine-vinette et de grenade,
Des ouvrages d’amande,
Des fromages glacés
Et des eaux rafraîchissantes de fenouil, de pistache et d’orgeat.

Les vins de ce service seront :

Des champagnes rouges de Bouzy, de Verzenay et de Porto
Le café de Moka, Les ratafias blancs d’abricots de Grenoble, de muscat et d’anis."

 


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le 03.01.11 à 17:44 dans Nourriture et littérature
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