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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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La vie et la passion de Dodin Bouffant


Dans la série des grands gastronomes du monde, après Zhu Ziye, voici Dodin-Bouffant.

Marcel Rouff, grand ami de Curnonsky, a publié ce livre qu’il dédie à Brillat-Savarin, en 1924. Il ose, après la grande boucherie qui a décimé la fine fleur de la gent masculine des grands pays européens, écrire : “…l’ art gastronomique, comme tout autre art, comporte une philosophie et une éthique, (qu’)il est partie intégrante de la pensée universelle, (qu’)il est lié à la civilisation de notre terre, à la culture de notre goût et, par là, à l’ essence supérieure de l’ humanité..” et pour cela met en scène Dodin-Bouffant, gourmet, représentant d’ un art que la France a élevé aux plus hautes sphères. Dodin-Bouffant consacre sa vie, après avoir été magistrat, à sa table, garnie par une remarquable cuisinière : Eugénie Chatagne et à laquelle il convie, chaque mardi, quatre amis, authentiques gourmets et remarquables gastronomes triés sur la volet.

Eugénie Chatagne décède dès le premier chapitre et c’est l’occasion pour un Dodin-Bouffant, désolé, de prononcer sur sa tombe une remarquable oraison funèbre vantant les qualités hors du commun de son génie culinaire. Dès lors, il se met en chasse d’une digne remplaçante de l’incomparable Eugénie. L’examen consiste en une observation détaillée du physique de la candidate sur lequel il doit distinguer “une physionomie de gourmande”. Ensuite a lieu un “entretien d’embauche” au cours duquel Dodin-Bouffant émet des vérités et des contre vérités culinaires permettant de reconnaître les qualités nécessaires à l’exercice de ce grand art. Pour terminer, il propose une visite aux deux pièces les plus importantes de sa demeure : la salle à manger dont l’agencement et la décoration doivent permettre que “les sens soient amusés et reposés… et demeurent consacrés au principal” et l’immense cuisine contenant tous les ustensiles, outils et meubles indispensables à la réalisation des chefs d’œuvre. Les essais culinaires des prétendantes à la succession d’Eugénie Chatagne mirent Dodin-Bouffant au supplice. Jusqu’à ce qu’Adèle Pidou fasse son apparition, passe avec succès l’épreuve imposée et s’installe pour régner sur la cuisine. C’est cette admirable Adèle Pidou qui réalisa le remarquable souper qu’offrit Dodin-Bouffant au prince d’Eurasie en remerciement de son invitation et pour lui montrer ce qu‘est la vraie cuisine gastronomique française. Le prince, séduit par cette chère succulente, entrepris de circonvenir cette extraordinaire cuisinière afin d’accaparer ses talents à son seul profit. Cette idée, odieuse, gâchait la vie de Dodin-Bouffant qui en conçut une autre excellente pour s’attacher définitivement les services d’Adèle. C’est ainsi qu’Adèle Pidou devint madame Dodin-Bouffant. A sa femme, dont l’âge, le physique et l’intelligence ne montraient rien d’exceptionnel, Dodin-Bouffant fut d’une fidélité conjugale fut sans faille même lorsqu’ une jeune et fort belle femme, au demeurant admirable cuisinière, Pauline d’Aizery, le convie à un sensuel tête à tête gastronomique où les plats somptueux sont accompagnés de vins si bien choisis qu‘ils rehaussaient chaque mets.

Une crise de goutte pour Dodin-Bouffant et de colique néphrétique pour Adèle les contraignirent à partir en cure à Baden-Baden. Las, la cuisine de cette région consternait nos deux gourmets, accablés de surcroît par le discours acadabrantesque d’un médecin, professeur de métaphysique de la cuisine. C’est avec un plaisir non dissimulé qu’ils reprennent le chemin du retour. Enfin chez eux, après un magnifique souper préparé par une Adèle si heureuse de retrouver sa cuisine qu’elle s’y précipite à peine descendue de la diligence, Dodin-Bouffant lui fait ce serment solennel : ” Adèle, tu viens en quelques heures d’effacer jusqu’au souvenir de longues épreuves. Nous avons acquis l’ expérience cruelle qu’ il n’ est point de crises, de maladies, de morts même qui vaillent en souffrances et en horreur les semaines que les médicastres nous ont imposées, ces abominables cures qui vous laissent affaiblis, écœurés et pantelants. Quelles que soient les épreuves qui nous attendent, nous sommes désormais suffisamment éclairés sur la valeur et la perfidie des régimes. Reprenons, pour ne plus la quitter, notre bonne vie et notre bonne cuisine d’autrefois et, dans la paix ou la souffrance, suivant ce qu’il plaira à Dieu de nous envoyer, achevons nos existences dans le culte de la chère et dans la joie de notre foyer.”

Ce livre, très bien écrit, laisse entrevoir l’humour et l’étonnante culture gastronomique de l’auteur. Il célèbre les bienfaits d’une cuisine respectueuse des produits et les accommodements discrets qui les mettent en valeur. C’est un hymne à une cuisine traditionnelle et moderne, à une époque où les soucis de conserver une sveltesse de silhouette n’encombraient pas le cerveau des amateurs de bonne chère.
 

La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet.

Marcel Rouff

Le Serpent à Plumes

le 11.02.06 à 22:10 dans Livres
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Mon livre

L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

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