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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Découverte de la cuisine chinoise



Un livre incontournable!

La découverte de la cuisine d’un autre pays est le prétexte à connaître sa civilisation. A travers la cuisine et la gastronomie se laissent entrevoir l’agriculture, les beaux arts, les techniques d’un pays, les espèces cultivées et les races animales élevées, les manières d’accommoder les produits et de les manger. Nous avons tout ceci dans Vie et passion d’un gastronome chinois. Et en plus un magnifique duel entre deux personnages, Zhu Ziye, gastronome chinois tenant d’une tradition culinaire et Gao Xiaoting, révolutionnaire pur et dur, moraliste rigide qui cherche à imposer de nouvelles manières de manger. C’est pour une héroïne hors du commun qu’ils se battent : la gastronomie qui est au centre du roman.

Racontée par Gao Xiaoting, révolutionnaire chinois peu épris de gastronomie, la vie de Zhu Ziye ressemble à une initiation à la civilisation et surtout à la gastronomie chinoise. Quarante années de la vie de Zhu Ziye servent de toile de fond à une découverte des traditions culinaires d’un pays qui résistent aux turbulences politiques. Le roman commence par un petit déjeuner à base de nouilles de première cuisson « al dente » qui sert de prétexte à un inventaire des multiples manières de les cuisiner et de les servir :

Zhu Ziye était un homme du matin. La grasse matinée n’avait aucun charme à ses yeux, car son estomac, tel un réveil, l’appelait à heure fixe : il fallait sans tarder filer chez Zhu Hongxing prendre les nouilles de « première cuisson » ! Ceci demande des explications, sinon on peut craindre que seuls les habitants se Suzhou, et encore ceux d’un certain âge en saisisse le sel.
Chez Zhu Hongxing était alors un restaurant de nouilles très célèbre. Le restaurant existe toujours ; il est situé en face du jardin de
la Tranquillité. Je ne vais pas m’étendre sur la variété, la saveur des nouilles servies chez Zhu Hongxing ; il suffit de consulter le menu, qui du reste ne comporte rien d’exceptionnel. Je voudrais plutôt parler des rites accompagnant ces nouilles. Parce qu’il y avait des rites ? Oui, c’est vrai, pour un même bol de nouilles, chacun avait ses habitudes. Les gastronomes avaient les leurs, bien établies. Un exemple : on s’asseyait à une table et on appelait le serveur : « Hep ! (à l’époque, on ne disait pas « Camarade ! ».) Un bol de nouilles de… ! » Au bout d’un instant, le garçon répondait d’une voix forte : « Voilà, j’arrive ! Un bol de nouilles de… » Pourquoi ne venait-il pas immédiatement ? Parce qu’il attendait que le client ait précisé : nouilles al dente ou bien cuites, nature ou avec bouillon ; vertes ou blanches (avec ou sans ciboule) ; riches (bien grasses) ou légères (sans graisse) ; sauce longue (avec plus de sauce que de nouilles) ou sauce courte (avec plus de nouilles que de sauce) ; nouilles sur l’autre rive : la sauce, au lieu d’être versée sur les nouilles, est présentée à part sur une assiette et l’on doit faire le pont entre le bol et l’assiette. Quand c’était Zhu Ziye qui arrivait dans le restaurant, on entendait le serveur prendre son souffle et lancer : « Un bol de crevettes sautées en accompagnement, nouilles sur l’autre rive, beaucoup de bouillon, vertes, sauce longue, al dente. »
Toutes ces façons d’accommoder les nouilles ont de quoi étonner. L’essentiel n’était pourtant pas là pour Zhu Ziye, qui jugeait encore plus important de pouvoir déguster les nouilles de « première cuisson ». La même eau de cuisson servait à faire un millier de bols ; à la fin, c’était un véritable empois et les nouilles n’avaient plus aucune fraîcheur ; elles se mettaient en paquet et prenaient un goût de farine crue. Si Zhu Ziye avait dû en avaler un bol, il en aurait été alourdi pour touts la journée ? Un jour de gâché ! Pas question pour lui de rester dans son lit comme Oblomov. Il lui fallait, avant le lever du soleil, bien vite se débarbouiller pour courir chez Zhu Hongxing prendre ce premier bol de nouilles. L’art de la table, comme toutes les autres formes d’art , exige une maîtrise parfaite du temps et de l’espace.

Le talent du narrateur est de faire découvrir avec chaque plat les habitudes culinaires d’une région, les manières de manger au restaurant, les dilemmes posés par des désirs de réformes qui vont à contre courant des traditions culinaires. Maisons de thé, restaurants, repas chez soi tout est prétexte à l’exposition du combat entre le tenant de la modernité et le tenant de la tradition gastronomique. Et Gao qui abhorre les habitudes de Zhu Ziye les décrit avec un art consommé qui réjouit l’œil et l’imagination. Exemple les jarrets de porc confits au sucre candi que le héros achète au restaurant du narrateur :

Zhu Ziye acheta un jour deux jarrets de porc confits au sucre candi – l’assiette valait vingt yuans - qu’il mit dans deux gamelles…
- Hum ! Et pourquoi ne les manges-tu pas chauds ? Tu les emportes pour l’enfant ?
- Non ! Votre cuisson n’est pas parfaite, les jarrets manquent de goût. On les fera recuire à la maison, en les mettant sur un petit coussin de jeunes brocolis : du rouge vif sur du vert jade. On les servira dans une assiette de porcelaine blanche comme
la neige. Et là, tout y sera : la couleur, le parfum et le goût. Vous ne savez pas y faire.

Gao nous tient en haleine jusqu’au repas final que Zhu Ziye et sa femme offre chez eux et auquel est convié Gao. C’est un morceau d’anthologie, un cours de raffinement et de gastronomie chinoise. Cette dernière passe d’armes entre le gastronome et le non gastronome est un feu d’artifice !

Vie et passion d’un gastronome chinois 
De LU WENFU
aux éditions Philippe Picquier


Mots-clés : Technorati

le 22.03.05 à 12:47 dans Livres
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L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

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