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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Vins de Xérès


A l’extrême pointe au sud de l’Espagne, tournée vers l’Atlantique la province de Cadix est la province la plus méridionale de l’Andalousie. L’Andalousie est célèbre par ses chevaux et ses toros bravos, ses corridas, le flamenco et les belles andalouses en robe à volants. Et aussi par la Feria de Abril de Séville, Ronda et le fantôme de Carmen, et évidement Cadix et sa belle aux yeux de velours comme le roucoulait si bien Luis Mariano. L’Andalousie a donné aux beaux-arts, à la littérature, la poésie, la politique et la philosophie un nombre impressionnant de grands noms qui ont dépassé les frontières de la province et de l’Espagne. Mais l’Andalousie c’est surtout le Xérès, un vin étonnant, admirable, un de mes préférés.


Le célèbre agronome romain, Columelle, originaire de Cadix parle du vin ibérique issu des vignes implantées par les phéniciens via les Carthaginois, bien connu à Rome. Généralement de qualité moyenne, considéré à l’égal des vins ordinaires, à l’exception d’un seul, le ceretanum, le préféré du poète Martial. Le ceretanum, provenait de la ville de Ceret, qui s’appela Seret, puis Seris du temps des arabes, nom qui donna le sherry, et serait l’ancêtre du Xérès, de Jérès de la Frontera.

 
Aux origines du Xérès

Dans le sud de l’Espagne, climat oblige, les raisins étaient vendangés bien mûrs, puis étendus sur des nattes de paille en plein soleil durant une semaine. Le temps pour le sucre de se concentrer. Cette concentration en sucre était nécessaire et permettait aux vins de mieux se conserver. Le problème des vins de l’Antiquité était, en effet, la conservation. En Campanie comme à Xérès, on laissait ensuite le vin s’oxyder naturellement en le faisant vieillir dehors exposés au soleil, au vent, à la pluie et au vent. Le vieillissement était accéléré par les changements de température. Durant ce vieillissement, il se formait un voile laiteux, appelé "flor", d’après l’expression du poète lesbien Archestrate parlant de jarres dont « le liquide parait recouvert de fleurs blanches » qui permet aux vins de s’oxyder et de se conserver. Ces vins continuaient leur vieillissement dans les cales des bateaux dont le tangage accélérait le vieillissement.

La conquête de l’Espagne par les arabes n’a pas diminué la culture de la vigne et la fabrication d’un vin chanté par les poètes maures. Mais il est vrai qu’après la Reconquista, cette culture augmenta considérablement, car le vin fait faisait partie de l’alimentation quotidienne des civilisations occidentales. Cultivé autour de Jérès de la Frontera, ce vin appelé alors « saca » était vieilli en fûts et se bonifiait dans les cales des navires. C’était un Xérès sec, une manzanilla qui vieillissait dans des entrepôts très surveillés. Ce vin fit parti des provisions de bouche de l’expédition de Magellan car le port de Cadix jouait un rôle important dans le développement du commerce du vin de Xérès : tous les navires espagnols naviguant sur l’Océan Atlantique vers l’Amérique et l’Europe du nord partaient de Cadix. Ce commerce vers l’Europe du nord et en particulier vers les Pays-Bas et l’Angleterre étaient primordial pour la viticulture car ces pays étaient très demandeurs de vins. L’Angleterre importait sous le nom de sherry-sack des milliers de barriques. Ces importations généraient un commerce extrêmement lucratif. L’amiral de la flotte, lui-même, Medina Sidonia, était l’un des plus gros producteurs de vins de Xérès, un commerce qui fut, hélas,  empêché durant la guerre entre l’Espagne et l’Angleterre. Mais les pirates d’Elisabeth I et particulièrement Drake, le corsaire de la reine, veillait à approvisionner les anglais en sherry-sack. Après avoir défait l’Invincible Armada, Drake s’empara de 2900 barriques entreposées à Cadix. Ce fut le début d’un commerce très régulier organisé par les amateurs anglais.

 
Les anglais et l’amour du Xérès

 «  Un bon sherri-sack possède une double vertu : il vous monte au cerveau, vous sèche les sottes et les mornes vapeurs qui l’enveloppent de leur crudité ; vous rend l’entendement prompt, vif, ingénieux, riche d’une fantaisie pleine de subtilité, de feu, de charme ; laquelle, par l’instrument de la langue et de la voix donne naissance aux traits d’esprit les meilleurs qui soient. Seconde vertu de notre excellent sherri : il vous réchauffe le sang ; lequel étant auparavant tout froid et rassis vous communiquait au foie cette blancheur, cette pâleur qui est l’emblème de pusillanimité et de couardise ; mais le sherris, lui, le réchauffe et le fait circuler de l’intérieur jusqu’aux extrémités. Il vous éclaire le visage, et celui-ci comme un fanal, sonne le tocsin pour tous les citoyens de ce minuscule royaume qu’est l’homme ; sur quoi les troupes vitales et les petits esprits de l’intérieur se portent vers leur capitaine, le cœur ; lequel, grossi et grandi d’une telle escorte accomplit tous les actes de bravoure : c’est du sherri que lui vient cette vaillance. Ainsi l’habilité aux armes n’est rien sans le sack, car c’est lui qui la met en branle ; et le savoir n’est qu’un tas d’or gardé par le Malin jusqu’à ce que le sack lui donne licence d’entrer en action et usage… Si j’avais mille fils, le premier principe humain que je leur enseignerais serait d’abjurer toute boisson légère et de s’adonner au Jérès »

Ainsi Shakespeare fait parler Falstaff, un amoureux du sack-sherry auquel il dédie un véritable panégyrique dans la 2ème partie d’Henri IV, acte II, scène 3.  
Henri IV qui fustige Falstaff par ses mots : « Tu as l’esprit si fort épaissi à force de t’enivrer de vieux sack… » Le sack-sherry titrait 16° quand même. J’en viens à me demander même si Le Cid n’était pas lui aussi un buveur de sherry-sack dans lequel il aurait trouvé son audace et son courage !

Le sack du XVIème siècle était plus proche du Xérès Oloroso, plus corsé que le Xérès qu’on connait actuellement, un vin naturellement sec qui développait ses qualités au bout de quelques années.

 

Le Xérès à la conquête de l’Europe

Durant le XVIIème siècle le Xérès, conquit toute l’Europe et si au siècle suivant, la guerre de succession d’Espagne entraina une baisse des échanges commerciaux et que la région subit un véritable marasme économique, le Xérès garda toujours ses aficionados.
Ne dit-on pas qu’à toute choses malheur est bon ? Dans le cas du Xérès, cette baisse notable des ventes est à l’origine à la fin du XVIIème, d’une idée nouvelle : le vieillissement par solera qui fut inventée pour écouler les stocks de vins invendus. Car les sols crayeux, les alarias, des environs de Jérès de la Frontera et de Sanlucar donnaient des vins avec des structures leur permettant de vieillir. C‘est pour cela qu’au XIXème siècle on pouvait boire de remarquables Xérès comme celui dont parle Karen Blixen dans le Diner de Babette 
: « Le familier de Babette remplit les verres. Les hôtes les portèrent gravement à leurs lèvres pour confirmer leur résolution. Le général Lowenhielm, qui se méfiait un peu de ce vin, en prit une gorgée, s’arrêta, éleva son verre jusqu’à son nez, puis à ses yeux : il était stupéfait. « Ceci est fort étrange, pensa t-il, voila de l’Amontillado, et le meilleur Amontillado que j’aie dégusté de ma vie. »

Cette gloire des vins rejaillit sur les villes de la province de Cadix, Jérès de la Frontera était dans les années 1830, la ville la plus riche d’Espagne. D’immenses bodegas cachaient dans leurs chais des barriques de vins admirables, une vraie fortune pour les propriétaires de bodegas. Les exportations de Xérès, un vin que l’on buvait à table, vers l’Europe du nord, dont 90% partaient vers la Grande-Bretagne, étaient considérables. Les chiffres parlent d’eux-mêmes

1810 : 50 000 hl
1840 : + de 40 000 hl
1860 : + de 200 000 hl
1873 : + de 300 000 hl

 
Le Gremio et la naissance des bodegas

Nous l’avons vu, les exportations de Xérès étaient importantes et dépendaient beaucoup de la politique extérieure de l’Espagne. Il existait une guilde de producteurs qui régulait le marché du Xérès en contrôlant le commerce du vin, en fixant les prix et en réglementant la constitution des stocks. Cette guilde était appelée le Gremio. Tous les producteurs y étaient représentés, mais le travail du Gremio consistait essentiellement à  protéger le commerce du Xérès et ses producteurs et à limiter les droits des négociants. Par exemple, les producteurs des alentours de Jérès pouvaient conserver les quantités de vins qu’ils désiraient vins chez eux et grâce au Gremio avaient accès au marché du vin tout comme les négociants. Ces derniers étaient par contre limités dans leurs stocks et leurs achats.

Il y avait donc une sorte de guerre latente entre le Gremio et les négociants. Les espagnols avaient compris depuis longtemps l’intérêt de fonder des maisons de négoce : Rivaro et sa marque C.Z, fut fondée en 1650, Vinicola HiddalgoYCia en 1792. Comme à Bordeaux, les Britanniques créèrent leurs maisons de négoce qui étaient très actives. Ce fut un négociant français Haurie qui lança le pavé dans la mare en demandant au Gremio les mêmes droits que les producteurs : faire, élever, stocker et vendre son vin lui-même à ses clients. Il obtint gain de cause en 1772 et créa une bodega qui fut la première à s’occuper du vin de la vigne à l’exportation. Un de ses neveux créa la bodega Gonzales Byess Domecq, très célèbre encore actuellement. Il ouvrit la voie à bien d’autres et les bodegas se multiplièrent, maisons où les noms britanniques et espagnols se mêlent. Les bodegas britanniques commercialisaient les Xérès retour des Indes qu’ils bonifiaient dans les cales des navires anglais qui commerçaient avec les Indes en faisant une halte à Cadix.

 
Et maintenant

Le Xérès est toujours l’objet d’un marché important bien qu’en déclin. 25% des xérès sont vendus en Espagne et le reste, 100 millions de litres, sont exportés vers l’Union Européenne. L’Angleterre capte toujours 29% de ces exportations, privilégiant le fino, manzanilla et cream.

Depuis 1933, le xérès a reçu la première Denominacion de Origen, précisée en 1977 en 2 appellations : Jérès-Xérès-Sherry et Manzanilla-Sanlucar de Barrameda.Un cahier des charges exigeant le vieillissement en fûts durant 3 ans et le signalement de la mention, VOS pour les xérès ayant 20 ans d’élevage et VORS pour 30 ans d’élevage.

Les zones de production et d’élevage du Xérès doit appartenir au territoire viticole de Marcos de Xérès qui regroupent Jérès de la Frontera, Sanlucar de Barrameda, El Puerto de Santa Maria, un triangle de 10 750 hectares.

Des règles d’encépagement, de vinification et d’élevage donnant certains types de vins ont été érigées. Dont nous reparlerons plus tard.

A partir du Xérès est fabriqué un superbe vinaigre : le vinaigre de Xérès que la grande gastronomie a fait connaitre et qui fait merveille en cuisine. Un vinaigre qui a obtenu une Denominacion de Origen: Vinaigre de Xérès DO.


Mots-clés : Technorati

le 16.03.11 à 09:00 dans Vins
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Commentaires

vin de xéres

et bien, moi qui pensais en connaitre un rayon sur le vin, je vois que vous n'êtes pas ingrate dans ce domaine là également.
bravo pour ce bel article

vin - 22.03.11 à 15:16 - # - Répondre -

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