S'identifier - S'inscrire - Contact

Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

Recherche

 

Une Renaissance innovatrice

 Durant la Renaissance le monde occidental tourna son regard sur le vaste monde. L’Italie, au centre de la Méditerranée, contrôlait le commerce des épices, et s’ouvrait au monde asiatique et à ses produits, en particulier les épices et le sucre de canne, grâce à ses caravanes et à ses navires. Des marchands audacieux découvraient une partie ignorée du monde, Marco Polo en est l’exemple le plus connu. Pour contrer la suprématie italienne, et prendre le contrôle de ce commerce, le Portugal et l’Espagne armèrent des navires censés atteindre les Indes par la route de l’Ouest et s’accaparer de la sorte une partie de cette manne économique. La découverte du continent américain et des nouvelles routes du sud découvertes par les navigateurs changèrent la donne. Les produits américains vont donner l’occasion aux cuisiniers de montrer leur créativité et l’italien Platine, qui n’était pas un cuisinier, conçut une nouvelle diététique, qui modifia le regard de ses contemporains sur l’alimentation.


Une Renaissance inventive

L’Italie était à cette époque le pays où l’art de la table était le plus consommé. C’est dans ce domaine et celui de  la pâtisserie que son influence fut la plus importante. On prête également aux reines françaises venues d’Italie, les deux Médicis, Catherine et plus tard Marie d’avoir apporté dans les corbeilles de mariage le savoir-faire culinaires italiens et des produits nouveaux.  On ne prête qu’aux riches, c’est bien connu !

Civilité, pâtisseries et Platine

Ce qui est certain est qu’elles firent connaitre une nouvelle civilité, un art de se tenir à table plus raffiné avec l’usage de la fourchette et l’utilisation d’une belle vaisselle de faïence. Cette « science de gueule » qu’évoque Montaigne, ce grand voyageur curieux et à l’esprit ouvert, dans ses Essais, étonné par l’importance qu’elle prenait dans ce pays. 

D’Italie et cela est certain, nous est venue le goût des pâtisseries : massepains, gelées, pain d’épices et nougats que les pâtissiers français apprirent à fabriquer et l’art des confitures que Nostradamus, un médecin, codifia dans son Traité des confitures.  Le sucre était produit et utilisé couramment en Italie, il offrait aux cuisiniers des possibilités nouvelles dans le domaine de la pâtisserie et aussi de la conservation. On pouvait ainsi conserver dans le sucre, outre les fruits sous forme de confitures et de fruits confits, des légumes comme l’écrit Olivier de Serres dans Le Théâtre des champs. Le sucre était devenu une folie, un goût à la mode qui peu à peu fit oublier aux palais occidentaux celui de l’acide. C’est alors qu’apparut la confiserie.

L’apport le plus intéressant venu d’Italie, ne concerne pas la cuisine à proprement parlé mais influença cependant cette dernière, je veux parler d’un livre De l’honnête volupté  écrit par un certain Platine de Crémone. Si Platine affirma dans ce livre qu’il n’est rien dont le sucre ne puisse améliorer le goût, l’Honnête volupté n’est pas une apologie du sucre. Il s’agit plutôt d’un ouvrage de morale humaniste, retrouver la sagesse des anciens et donc leur savoir sur la nourriture qui mêle gastronomie et santé. Il réintroduit la diététique qui unit cuisine et santé,  le corps et l’esprit et fait de la cuisine un sujet de réflexion, d’étude. Les italiens pratiquaient quotidiennement une diète différente de la nôtre, une alimentation plus végétarienne qui surprit agréablement Montaigne lors de son séjour en Italie, un Montaigne qui prisait pourtant fort les nourritures carnées. Les recettes de légumes, de fruits faisaient partie du patrimoine culinaire italien.

Les découvertes du Nouveau monde

Lorsque les conquistadors partis découvrir une nouvelle route des Indes revinrent d’Amérique avec dans les cales de leurs navires une foule d’aliments nouveaux, la cuisine, les goûts et les habitudes alimentaires des  occidentaux furent totalement bouleversés. Qu’avaient-ils ramené d’Amérique ? Le topinambour et le haricot américain, le potiron et de nouvelles courges, la tomate, le piment et la pomme de terre, le maïs, la dinde et la chocolat qui avec le café venu d’Afrique changea les manières de boire des Français allant jusqu’à la création de nouveaux lieux pour les déguster.

Les légumes nouveaux ont inspiré une nouvelle gastronomie. Imagine-t-on la cuisine paysanne sans le haricot ? Ce dernier, immortalisé par Annibal Carrache, peintre italien, a évincé, peu à peu, fèves et pois. Peut-on imaginer la cuisine européenne sans la pomme de terre ? L’italienne sans la tomate ? Certains furent plébiscités d’emblée avec des destins remarquables ou très modestes, alors que d’autres eurent davantage de difficultés pour faire l’unanimité, mais ensuite ce fut une gloire universelle !

Commençons par les plus modestes. Le topinambour et la citrouille ne provoquèrent pas de grande surprise. Les français, grands amateurs d’artichauts, retrouvèrent dans le topinambour une saveur familière et l’adoptèrent du moins momentanément car ils le délaissèrent plus tard au profit de la pomme de terre. Le topinambour resta un peu en marge des consommations jusqu’à ce qu’on le réhabilite récemment. Par ailleurs, tous les européens connaissant déjà les courges et les calebasses ne furent choqués ni par la forme, ni par le goût des citrouilles qui  restèrent assez marginales, associées à des plats rustiques, paysans, indignes d’estomacs raffinés. Le piment, à la saveur piquante et chaude tant aimée des palais médiévaux, fut très vite adopté, acclimaté et cuisiné en Espagne où il concurrença le poivre dans la cuisine.  En version piquante, il a conquis le pays basque et devint la spécialité du petit village d’Espelette. Dans sa version améliorée et douce, le poivron connut un vrai succès en Italie, sur les pourtours de la méditerranée et surtout en Hongrie qui est devenue la patrie du paprika, lequel a donné une couleur et une saveur particulière aux plats traditionnels de ce pays.

Mais revenons sur le haricot. Il ne surprenait personne, puisque déjà, les populations étaient habituées à manger les faséoles. Le haricot a tranquillement détrôné la fève de culture plus délicate. Il donna au cassoulet ainsi qu’à la garbure une saveur et un fondant nouveau, il apporta du moelleux à toutes les soupes paysannes régionales, pistou, minestrone, potée, et il devint l’irremplaçable compagnon de l’agneau pascal et des ovins. Il connut une gloire jamais démentie car il pouvait être mangé frais, demi-sec à l’automne ou sec, plus tard dans la saison. Pour toutes ces raisons auxquelles il faut ajouter ses qualités nutritives et roboratives, il devint le légume indispensable dans les campagnes, apprécié pour sa saveur fine mais assez neutre qui autorisait toutes sortes d’accommodements. Le maïs tout de suite adopté dans le sud-ouest de la France contribua à l’extension de l’élevage de volaille et au gavage des oies et des canards, plante compagne du haricot et de la citrouille qui poussaient dans tous les potagers et étaient cuisiné dans toutes les fermes et les maisons des villes et villages.

Le café et le chocolat dont l’usage fit gloser les grands esprits contribuèrent à doucement modifier le premier repas de la journée, le petit déjeuner. Dans les villes, ils y remplacèrent les soupes et les infusions de plantes, mais on continua à y tremper les tartines de pain.

Lancelot de Casteau écrivit le premier livre de cuisine à s’occuper de poids et de mesures et à traiter les viandes de manières différenciée et spécifique.

Des cuisines de plus en plus perfectionnées

Bartolomeo Scappi, le plus grand chef italien de la Renaissance, cuisinier particulier du pape PieV, a publié son grand ouvrage « l‘Opera (l’Œuvre) di Bartolomeo Scappi ». En plus des recettes, il y livre un témoignage sur la vie de cuisinier à la Renaissance et illustre son ouvrage de vignettes qui montrent comment étaient agencées les cuisines. « La cuisine doit être placée, de préférence, dans un endroit éloigné et préservé du public. Elle doit être édifiée sur un terrain plat et, surtout, elle doit être gaie, aérée et bien distribuée, avec des cheminées hautes et larges. », écrit’ il.

Sur l’illustration, on remarque la cheminée centrale, feu ouvert assez grand pour y rôtir un cochon entier et équipé d’un pare-feu qui protège le tourneur de broches de la chaleur des flammes. Au-dessus est installée la crémaillère où les chaudrons sont suspendus. Le long du mur de la cuisine a été construite une rangée de fourneaux creusés de cavités dans lesquelles on apportait les braises prélevées dans le foyer. Elles sont recouvertes de grilles sur lesquelles sont posées des marmites. Un billot pour découper les viandes, diverses tables à tréteaux à usage divers. Des jambons  et des poissons fumés sont suspendus au plafond, au-dessus des fourneaux des couteaux, prêts à l’usage, sont plantés dans un sac rembourré. Chaque espace de travail est bien séparé des autres. Détail amusant des alcôves recouvertes d’une paillasse sont installées en hauteur, s’y reposaient et y dormaient des garçons de cuisine, chargés de surveiller les cuisines des deux grands fléaux que tout le monde redoutait, le feu et les vols.


Un évier dans lequel coule une au fraîche en permanence, ne cheminée surélevée, un four, des cuisiniers au travail, il ne manque que le mortier, indispensable dans toute cuisine.

B. Scappi préconise l’installation d’une pièce fraîche où l’on pouvait conserver le lait, le beurre, la  crème, le saindoux, le lard et tout ce qui risquait de se corrompre rapidement à la chaleur, ancêtre des chambres froides.



La couverture du livre montre un monumental tournebroche « automatique » qui fonctionnait avec un remontoir, simplifiant le travail du tourneur de broche qui se contentait de surveiller les cuissons, d’arroser les viandes et de remonter le tournebroche.

Ce perfectionnement des cuisines, la possibilité de faire des cuissons séparées, de rôtir d’un côté les viandes et d’apprêter d’un autre les légumes et les garnitures, ont permis aux recettes de se perfectionner et aux cuisiniers de puiser une inspiration nouvelle auprès des produits nouveaux qui étaient à leur disposition. Des nouveautés mais les plats sont encore très inspirés de la cuisine médiévale. La grande cuisine française n’était pas encore née, les changements ne sont que les prémices des véritables bouleversements des siècles suivants.

 
 

Mots-clés : Technorati

le 28.04.13 à 09:00 dans Autour de la nourriture
- Commenter -

Partagez cet article


Mon livre

L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

Tous les articles publiés

Parcourir la liste complète

Annonces

Inscrivez-vous à ma lettre d'informations

Inscription désinscription

J'en ai parlé

Archives par mois

Abonnez-vous

ABONNEZ VOUS SUR