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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Une histoire de cèpes

Où que l’on habite à chaque automne plus particulièrement, on attend avec impatience l’arrivée des champignons. Chez nous, dans le Sud-ouest, le roi des champignons, celui dont on guette la venue avec une ferveur quasi religieuse, c’est le cèpe. Quand la saison arrive, on pose des congés ou on se fait porter pâle. On part dès potron-minet et en catimini vers des endroits secrets où l’on est sûr de  remplir son panier de superbes cèpes. On torturerait bien son voisin pour qu’il avoue ses lieux de ramassages miraculeux, le cèpe rend presque autant fiévreux que le « mal bleu » j’ai nommé la chasse à la palombe.
Hélas, cette année, ce n’est vraiment pas fameux. C’est le dérèglement climatique, vous dis-je, tout est déréglé. Après un été trop frais, septembre a donné quelques espoirs, mais pfft, vite ternis. La nouvelle lune et quelques pluies firent croire que ça y était, on pourra retourner cueillir le cèpe. Mais hélas, le vrai cèpe de Bordeaux n’est pas au rendez-vous, il se fait désirer comme une diva.  

Le CV du bolet
Qu’il se nomme cèpe de bordeaux, tête de nègre, bolet Satan, bolet réticulé, bolet edulis,  bolet odorant ou bolet royal (et la famille est très nombreuse), ce sont tous des Bolétacées de l’ordre des Bolétales qui appartient  à la classe des Basidiomycètes (qui possèdent des spores externes).
Parmi tous ces bolets, il y en a quatre dits nobles : le cèpe de Bordeaux, le cèpe bronzé ou tête de nègre, le cèpe d’été ou réticulé et le cèpe acajou.
Leurs chapeaux sont ronds comme un bouchon de champagne lorsqu’ils sont très jeunes et  s’évasent peu à peu au fur et à mesure de leur croissance pour finir par se creuser au centre quand ils sont devenus trop vieux pour être bons à manger.  Leurs couleurs se déclinent du brun chocolat au brun jaune en passant pour de superbes roux. Sous le chapeau se cachent les spores formant une couche légèrement spongieuse, composée d’une multitude de petits tubes, qui se détache aisément du chapeau et dont la couleur évolue avec la croissance du blanc au vert olive (5 à 6 jours) et c’est lorsqu’elle tourne au jaune verdâtre qu’il faut l’ôter.  La chair du chapeau est blanche et très ferme. Le pied des cèpes est très charnu et tout ventru  chez les jeunes cèpes, il tend à s’allonger et à s’amenuiser en vieillissant. D’un beau blanc crémeux,  il  semble gravé d’un fin réseau de lignes comme un filet.
Lorsqu’on cueille un cèpe, on est séduit par sa bonne odeur de sous bois, sa chair dégage une délicate odeur de noisette, fort appétissante, elle contient des protéines, des vitamines et des acides aminés. N’imaginez pas cependant vous soigner avec des cèpes, il vous en faudrait une telle quantité que vous risquez surtout une indigestion.

Quelques conseils de préparation
Epluchez toujours la base du pied avec un couteau que ce soit au moment où vous le ramassez ou après l’avoir acheté. Le chapeau se nettoie délicatement avec un linge humide ou une petite brosse dédiée à cet usage. Si vous trempez le cèpe dans l’eau, il va devenir spongieux. On peut passer très vite le chapeau sous l’eau claire sans mouiller le dessous.
Il faut  saisir les cèpes, coupés en lamelles pas trop fines, très rapidement dans de l’huile  d’olive ou du beurre, de la graisse d’oie, si vous en avez. La cuisson doit être courte et faite sur feu vif afin que les cèpes restent fermes et gardent leur saveur. S’ils rendent beaucoup d’eau à la cuisson, gardez-la pour aromatiser un risotto ou préparer une sauce. Personnellement, je me contente de les saler et les poivrer mais n’ajoute jamais d’ail qui tue le goût du cèpe. Un ajout  de persil plat est intéressant et donne de la vivacité. Pour les conserver, je préfère les confire dans de l’huile d’olive.
 

Pourquoi y a-t-il des coins à cèpes ?
Parce que le cèpe vit en symbiose mycorhizienne avec certaines espèces d’arbres. Il tisse en effet, une relation très particulière avec des hêtres, des châtaigniers, des chênes, des épicéas, des sapins et même certains pins. Il lui faut aussi, pour qu’il puisse se développer dans les meilleures conditions, des sous-bois moussus, et des ronces, des fougères et des bruyères qui le dissimuleront du regard fureteur du ramasseur de champignons. Evidement, certaines conditions géologiques sont indispensables, une terre pauvre et plutôt acide, et pour qu’il pousse de l’humidité et de la chaleur qui provoqueront le choc thermique nécessaire à une nouvelle fructification.
En quoi consiste cette symbiose mycorhizienne ?  C’est un peu comme la truffe et le chêne. Les racines de l’arbre nourrissent le mycélium des champignons lui apportant une nourriture, glucides principalement, nécessaire à sa croissance. En échange, le mycélium, qui entoure les racines à la manière d’une gaine,  va capter les minéraux et les transmettre aux racines de l’arbre. Le cèpe aide l’arbre à absorber l’eau et les micro-éléments qui sont utiles à son développement.
C’est pour cela qu’il faut éplucher le pied du cèpe à l’endroit même où on le cueille, de cette manière on ensemence le sol, comme pour les chênes truffiers.
Et voila, vous savez suffisamment de choses sur le cèpe pour aller en acheter sur le marché et les préparer avec amour.

On dit qu’il y a de moins en moins de champignons et de cèpes dans les bois. Certainement, il faut savoir qu’il y a des années à champignons puisque leur fructification et leur pousse dépendant étroitement du climat. Mais surtout, les champignons sont à la mode et de plus en plus de ramasseurs occasionnels parcourent les forêts, labourant les sols et détruisant l’habitat des champignons par cupidité et méconnaissance du système de reproduction desdits champignons. C’est comme pour la pêche à pied, à force de bouleverser les lieux de vie de ce que l’on veut pêcher et ramasser, ces lieux deviennent stériles. Cette passion des champignons est récente. Autrefois, mets de gueux, les champignons, et même les truffes et les cèpes, étaient délaissés des nobles et amélioraient l’ordinaire du paysan qui trouva longtemps dans la nature par la cueillette, un substitut - plaisant, il faut le dire - aux manques chroniques de nourriture et une agréable manière d’agrémenter le brouet quotidien. Jamais un homme civilisé  n’aurait eu l’idée saugrenue de battre la campagne, un panier à la main à la recherche de champignons. Les forêts étaient de plus des lieux mal famés, repaires de brigands et de détrousseurs. Les champignons bénéficiaient dans nos sociétés occidentales d’un rejet en raison du fait qu’ils semblaient le résultat d’une putréfaction et non d’une reproduction comme les fruits et les légumes. L’idée de se nourrir de tels aliments était proprement répulsive à quoi s’ajoutait une prohibition, plus raisonnable celle-là, provoquée par les risques d’empoisonnement. Les champignons restèrent longtemps ignorés des botanistes et le premier ouvrage français consacré aux champignons est du à un Mr Bulliard qui consacra la 2ème partie de son “Herbier de la France” aux champignons : “Histoire des champignons de la France” écrit à partir de 1780.

C’est au 19ème siècle que la cuisine bourgeoise donna ses lettres de noblesse aux champignons, surtout aux champignons nobles, truffes, cèpes, girolles et morilles. Leur succès puis une demande plus forte que l’offre faisant grimper les prix fit  que peu à peu les citadins commencèrent à se hasarder dans les bois. La science progressait aussi et les publications mycologiques se multiplièrent au rythme où les champignons se raréfiaient.

Si bien, que comme pour les poissons, on trouve délicieux des espèces de champignons que l’on délaissait il y a peu encore.

Vive le progrès!

 


Mots-clés : Technorati

le 17.10.07 à 18:18 dans Histoire des aliments
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