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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Transmissions et échanges des savoir-faire

Lundi 22 octobre 2007, vers 18 h à la librairie Mollat, au 91 de la rue Porte Dijeaux dans cette salle où nous réunissons rituellement tous les deux mois autour d’un thème de réflexion, nous étions, une fois de plus nombreux, pour venir écouter 5 vignerons nous parler de leur expérience dans ce domaine et échanger les points de vue avec eux. 

 « Autres temps, autres mœurs » dit ce vieil adage populaire. Peut-on dire cela des savoir-faire?  Pourquoi pas, tant il est vrai qu’ils oscillent sans cesse entre tradition et innovation.
La tradition est une valeur refuge quand on perd ses repères, mais elle ne doit pas être une dictature, ni un immobilisme qui la conduirait au musée. Les transmissions sont des concentrés d’expériences toujours renouvelées car reprendre un domaine viticole, une exploitation agricole, une entreprise artisanale n’implique pas une obéissance servile aux traditions mais l’adaptation de celle-ci aux changements.
Pour acquérir des savoir-faire et être capable plus tard de les transmettre, il est indispensable de connaitre ses fondamentaux c’est-à-dire, son patrimoine  - les modes de production, les influences diverses et les marchés -  les savoir-faire, les pratiques, les concepts, les comportements d’un métier, d’un domaine pour garantir une continuité entre passé et présent. Il faut garder la tradition comme possibilité de s’ouvrir sur son temps.


Qu’est ce que la tradition ?  

C’est ce qui est transmis d’une génération à une autre sans intervention, sans changement. La génération qui reçoit fait sienne ce qui est transmis et conserve  les règles et les pratiques pour les transmettre à la génération future.
Mais cette définition n’admet pas le changement, l’innovation, elle présente donc un risque de fossilisation, les pratiques risquent de finir dans un musée ou de disparaitre. Le changement et l’adaptation étant le propre de l’homme, la transmission d’un savoir-faire impose, à mon avis, à celui qui reçoit un rôle actif dans le choix des éléments à conserver et des innovations à apporter permettant  d’effectuer une continuité entre passé et présent. Respecter la tradition n’empêche pas d’accepter le changement et l’innovation ce qui va permettre de créer une nouvelle identité, une nouvelle signification car les traditions se construisent conformément à des réalités.
Le vin, par exemple, est l’image d’un terroir - qui inclut la géographie, le climat et les sols-,  de la culture et des pratiques viticoles, qui évoluent sans cesse, d’une communauté. Les vignerons bâtissent leur savoir et leur savoir-faire sur leurs prédécesseurs et les analysent à travers leurs influences culturelles en l’adaptant aux évolutions techniques, aux équipements et à l’environnement.
« Le passé est une terre étrangère » disent les anglais, en partie seulement, il faut s’y retrouver dans cette terre car si tous les métiers profitent des innovations ils doivent conserver les valeurs du passé qui constituent la raison d’être des pratiques traditionnelles.
En résumé la transmission c’est une part de tradition + une part d’interprétation + une part d’innovation.
 
Les cinq vignerons qui avaient répondu présent à mon invitation étaient

  • Florence Lafragette, Domaine de Loudenne en Médoc
  • Stéphanie Michaud, Domaine du Clos Roca à Nizas, près de Pézenas
  • Benoît Trocard, Domaine Trocard à Artigues
  • Cyril Laudet, Château Laballe en Armagnac
  • Magali Tissot, remplacée par son compagnon Ludovic Bonnelle,  Domaine de Pech en Buzet.


Comment sont-ils venus au métier du vin ?

Florence Lafragette
Je suis la 6ème génération de vignerons. Mais j’ai fait des études de droit, les vignes et le vin ne m’intéressait pas vraiment, je n’envisageais pas d’en faire mon métier. Lors d’un stage dans la Napa Valley en 2001, j’ai ressenti un vrai choc pour le vin. Ce fut une véritable ouverture pour moi, j’ai découvert à travers un autre vignoble, beaucoup de  possibilités de créations. J’entrevoyais une ouverture des vignobles vers le public par le biais d’ateliers didactiques, de l’oenotourisme. Revenue en France, j’ai eu envie de m’occuper des domaines de la famille. Maintenant je m’occupe  de Château Loudenne (100 hectares) plus particulièrement mais aussi des autres domaines familiaux : Rouillac et  l’Hospital, situés tous les deux en Graves.

Stéphanie Michaud
Totalement étrangère au monde du vin au départ, la passion du vin m’a été transmise par mon mari Jean-Christophe, parisien d’origine, qui avait depuis très jeune une vraie passion pour le vin. Après des études classiques, il se tourne vers des études viti-vinicoles et fait des stages dans de grands domaine du Languedoc. Nous acquérons tous les deux Clos Roca en 2003 après avoir éprouvé un  vrai coup de foudre pour le terroir de ce domaine de 17 hectares. Pour le seconder,  J’obtiens un master en commerce du vin et m’occupe plutôt de la communication et de la vente des vins c’est à dire des salons. Je travaille aussi sur le domaine et apprend avec lui le travail de la vigne qui est en  bio et l’observe dans les chais. Un vrai travail à 4 mains avec l’aide active de Marc,  employé très compétent et expérimenté. En juin,  Jean-Christophe s’en va, écrasé par son tracteur, je continue seule ce que nous avions entrepris à deux, entouré et aidé d’amis vignerons.

Cyril Laudet

Je suis né dans ce métier en Armagnac où la propriété appartient à la famille depuis le début du 19ème siècle, je ne comptais pas reprendre le domaine et avais entrepris des études de commerce que je mettais en pratique en tant que responsable export d’un domaine du Languedoc. A 27 ans, il y a deux ans, en raison des sérieux problèmes de santé de mon grand-père, je prends les rênes du domaine familial pour le remplacer J’apprends avec lui le domaine et le métier. Après un an d’apprentissage j’éprouve une grande joie à parcourir et à travailler les vignes, à m’occuper des vinifications des vins blancs et de l’élaboration des armagnacs. Je découvre avec bonheur une vie dans un domaine isolé  ce qui m’avait fait au départ fuir la région.

Benoit Trocard
Je représente la 13ème génération de vignerons. J’avais toujours vu les miens vivre au rythme des travaux de la vigne, dans l’odeur du vin, celle que je trouvais écœurante des fermentations et je ne voulais pas suivre cette voie. . Je décide d’intégrer une grande école de commerce dans l’idée de travailler dans le monde des produits de luxe. Mais peu à peu, je suis repris par le désir de continuer la tradition familiale et , à la fin de mes études, je viens travailler au domaine. Un domaine important 100 hectares au sein duquel je prends une part active, en collaboration avec mes parents et pas seulement dans la tradition familiale.

 Ludovic Bonnelle

Je suis le compagnon de Magali Tissot, fille d’un viticulteur près d’Agen  qui possédait 17 hectares d’un vignoble cultivé de manière traditionnelle. En 2000, le Mr Tissot disparait brusquement lorsque son tracteur se retourne sur lui dans les vignes. C’est à la veille des vendanges, Magali et moi qui ne connais que le côté commercial du métier du vin,  n’hésitons pas. Nous décidons de faire les vendanges, de mener à bien la vinification et de reprendre le domaine utilisant nos  connaissances et avec l’aide des ouvriers.  Tranquillement, nous  apprenons le métier et observons le domaine pendant deux ans,  en continuant ce qui avait été fait.


  L’intégration des savoir-faire et les innovations
Tous reconnaissent qu’il leur a fallu apprendre le métier auprès de ceux qui savaient. Tout le métier qui est vaste : travail de la vigne, celui qui prend le plus de temps, la vinification et la vente des vins. Et quand tout est assimilé et compris, ils ont pu passer à la phase de réflexion et de critique de ce qu’il avait intégré. Tous sont très jeunes, entre 29 et 34 ans, tous ont eu une autre expérience professionnelle, ont étudié le marketing et la vente. D’où une vision totalement différente du métier, une approche personnelle qui est le fruit des traditions du domaine et de leur perception du métier. Les cinq vignerons présents ce soir ont repris ou acheté leur domaine en pleine crise du vin, ils considèrent tous que ce fut quelque part un atout les obligeant d’emblée à se dépasser.


 FL : il faut s’appuyer sur ce qui fonctionne. J’ai très vite eu une vraie passion pour le vin qui me pousse à toujours faire plus pour faire partager cette passion. Dans le domaine de l’élaboration des vins et du design des bouteilles, on est limité par l’image de Bordeaux qui est très forte à l’étranger. On ne peut pas changer les étiquettes par exemple, pour les premiers vins, par contre concernant les deuxièmes vins, on peut s’amuser comme avec l’étiquette du rosé PINK, toute rose comme mon château. Par contre, j’ai pu innover dans l’ouverture du domaine au public, grâce à ce que j’avais vu dans la Napa Valley. Avec 3 autres jeunes femmes, propriétaires en Médoc, nous avons crée « Les Médocaines » qui innovent beaucoup dans le domaine de l’oenotourisme. Ateliers didactiques, visites organisées des domaines, participation des clients aux vendanges, aux assemblages qui leur font comprendre d’où vient le vin et comment il est fait. 

BT : Je continue à travailler avec mon père, j’innove par la qualité du produit. Je confronte le passé à la théorie et à mon approche du vin. Je pousse le domaine vers le haut en faisant des vins de très bonne qualité. J’ai acquis quelques arpents sur lesquels je fais des vins superbes, dans l’esprit des vins de niche. La confrontation avec mon père est parfois difficile, mais chacun respecte l’autre et finalement tout se passe bien. J’ai appris à aimer ce qui me rebutait autrefois et j’ai une vraie passion pour mon métier. Avec d’autres jeunes vignerons du Bordelais, nous avons crée Bordeaux Oxygène, dont le titre est évocateur et qui, par le biais des échanges, nous permet de confronter et d’échanger nos points de vue.

CL : Je n’ai pas encore assez de recul pour parler d’innovations réelles. J’ai pris mes marques et je vois ce que j’aimerai faire, il me faut maintenant le tenter. Ce que j’ai apporté de nouveau, c’est une ouverture du domaine sur le monde et d’autres manières de consommer l’armagnac en participant avec d’autres propriétaires en Armagnac au Tropheo Habano à la Havane l’hiver dernier. Il faut aussi que je connaisse les autres vignerons de ma région et que j’intègre les pratiques de l’appellation.


SM : Je me pose la question : travaille t-on pour soi ? On est vigneron par passion, je ne vois pas d’autres motivations pour ce métier difficile. Cette passion et le métier m’ont été transmis par mon mari. Je me suis longtemps posé ela question de savoir si je devais la transmettre à mes 3 enfants (qui ont 2 et 1 ans). Maintenant je  sais que oui et je me sens comme un lien entre mon mari et nos enfants. Il faut simplement que je tienne pour y arriver.  Ce que j’ai fait de nouveau par rapport à ce qui existait ? Du rosé que Jean-Christophe n’aimait pas et ne voulait donc pas faire et qu’il aurait mal fait car on ne fait bien que ce qu’on aime vraiment. J’ai aussi ouvert les ventes de vins à l’étranger.


LB : La manière de mener la vigne ne convenait pas à nos idées. Après 2 ans en lutte raisonnée et en réintroduisant des vendanges manuelles,  nous avons fait le grand plongeon en 2003 en passant en biodynamie. C’est une rupture totale qui est possible car nous sommes tout neuf et sans entrave. Nous faisons les vins que nous aimons. Nous avons gardé le domaine et nous continuons une tradition familiale en y apportant notre façon de considérer la nature. Nous voulons nous aussi transmettre à nos enfants un domaine en y intégrant l’idée que la terre leur appartient déjà et que nous n’en sommes que les locataires.
 Tous les cinq insistent pour terminer de l’importance croissante de faire le commis voyageur en France et par le monde pour aller à la rencontre des consommateurs et acheteurs pour qui il est important d’identifier le vin à un vigneron. Ils pensent aussi que les nouvelles manières de consommer le vin au verre, dans les bars à vins et les restaurants entraine une approche sensorielle du vin et une démarche plus curieuse de la part des amateurs qui désirent de plus en plus connaitre la dégustation du vin. 
 

 

 

  

   

     

        

            

 


Mots-clés : Technorati

le 12.05.08 à 16:32 dans Autour de la nourriture
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L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

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