S'identifier - S'inscrire - Contact

Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

Recherche

 

Tavernes


 Il y a quelques semaines j'avais écrit un court texte qui devait servir d'introduction à une histoire des tavernes, cabarets et guinguettes. Le temps passe, etc la patience est récompensée, voilà la suite dans le détail.

 

Rade, zinc, estaminet, caboulot, mastroquet ! Vous connaissez tous ces vocables désignant les endroits où l’on se retrouve pour boire, jouer ou discuter. Ce sont des noms modernes qui ont été donnés au XIXe siècle aux tavernes qui, elles, existaient à Paris depuis le XIIIe siècle.

Les premières tavernes gauloises

 



Les Gaulois exploitaient les vignes qu’ils avaient plantées dès le Ier siècle de notre ère. Bien que buveurs conséquents, ils n’arrivaient pas à tarir leurs tonneaux. Ils avaient besoin d’un débouché commercial pour écouler et vendre leur vin. A l’imitation des romains et en tant que gallo-romains, ils établirent des tavernes qui étaient des débits de boisson où les chalands se fournissaient en vin au jour le jour.

L’origine du mot vient de Taverniculae qui signifiepetites boutiques. Il s’agissait de cabanes primitivement indépendantes puis accolées à d'autres boutiques. A Rome, les tavernes étaient nombreuses et souvent tenues par des femmes, le plus souvent femmes de commerçants ou d'artisans. Lors des fouilles effectuées à Pompeï où les débits de boisson étaient, semble t’il, nombreux, on a retrouvé une fresque sur laquelle est dessinée une femme, nommée Valeria Hedone qui interpelle le passant en ces termes:" Beau militaire, on boit ici pour un as. Avec deux, on boit le meilleur. Avec quatre, du falerne."

Si vous passez par Dijon, ne manquez pas de vous arrêtez au musée archéologique. Vous pourrez y admirer un bas-relief gallo-romain de la fin du IIe siècle. Dans une rue pavée, un client botté et vêtu d'une cape tend au débitant de boissons une cruche à anse que le commerçant s'apprête à remplir au moyen d'un petit pot. Le tavernier est juché derrière un comptoir, assez haut, garni de coupes à pied sur la gauche, de louches et de deux écuelles. Au fronton, des cruches sont suspendues par ordre décroissant. Les coupes posées sur le comptoir laissent à penser que l'on pouvait consommer le vin debout au comptoir. En effet, une loi franque interdisait d'entrer dans une taverne et de s'asseoir pour consommer du vin. Les taverniers ne pouvaient vendre que du vin à emporter, seuls les cabaretiers et aubergistes pouvaient servir leurs clients assis à table.

 

Le goût du vin et le développement des tavernes

Durant tout le moyen-âge, le petit peuple des villes était presque essentiellement constitué de domestiques logés et nourris par le maître et des travailleurs manuels. Pour ces domestiques boire du vin était devenu une réalité quotidienne car la règle voulait que les serviteurs boivent un vin de même nature, sinon de même qualité que celle des maîtres. Avant le machinisme, les individus vivant en l'état de domesticité formaient une part importante de la population des villes et, pour eux, l'habitude de boire du vin était si fréquente que St Eloi, au VIIeme siècle parle de l'ivrognerie comme d'un vice assez ordinaire. Dans la plupart des jardins des hôtels ecclésiastiques, seigneuriaux et bourgeois on cultivait des vignes sur des treillages en berceau. Les vieilles expressions populaires de "jus de la treille" ou de " vin de la courtille" (ancien synonyme de jardin) nous rappellent à quel point cette modeste boisson était populaire. Lorsque le renouveau commercial des XIe et XIIe siècles eut permit à cette classe de sortir de l'état de domesticité pour une condition indépendante, elle refusât de retrancher de son ordinaire l'accessoire onéreux qu'était la ration quotidienne de vin.
Si une surabondance de vin ou une récolte de mauvaise qualité augmentaient les surplus de récolte, le propriétaire d'un hôtel faisait d'une des pièces qui ouvraient sur la rue une boutique où les passants, avertis par un signal placé au-dessus de la porte, pouvaient s'arrêter pour acheter du vin. Il pouvait aussi mettre son vin en dépôt chez un tavernier. Les édits médiévaux précisaient la manière dont devait être vendu le vin dans ces lieux : " à huis coupé et à pot renversé." Seul le volet supérieur de la porte, divisée en deux dans le sens de la hauteur est ouvert. Cela permet de verser le contenu d'un pot dans le récipient que tend l'acheteur resté dans la rue et qui ne peut entrer. Cette coutume survivra jusqu'au règne de Louis XV. La vente des surplus de récolte était considérée comme une opération noble que les personnages de haut rang pouvaient pratiquer sans déchoir. Les grands établissements religieux, les archevêques, les ducs, le roi lui-même usaient de ce droit. A la seule condition que la vente ne concerne que les vins récoltés par le propriétaire sur ses propres terres, ce ne devait, en aucun cas, être un trafic à fins lucratives.
Aller à la taverne constitue au M-A une distraction attrayante quoiqu’onéreuse. La plupart des parisiens et parisiennes fréquentaient régulièrement cabarets, tavernes et autres établissements servant de la nourriture et de la boisson. Les tavernes vendaient le vin à pot (en quantité) alors que le cabaret débitait de plus petite quantité. Les tavernes vendaient le vin des bourgeois; ce surplus de production était proposé par le crieur qui parcourait les rues, faisait goûter le vin et disait le prix de vente.

 

 



Femmes à la taverne, XIVe siècle

 

Les documents judiciaires brossent de ces établissements un tableau peu flatteur qu'il convient de nuancer. La taverne ou le cabaret ne sont pas seulement des lieux de délinquance où se rassemblent les mauvais garçons, où se déploie la violence, verbale d'abord par le blasphème puis souvent sanglante, et où fleurit la prostitution; ce n'est pas uniquement le "moutier du diable" comme le dit l'auteur du Mesnagier. En effet, la taverne est aussi un lieu accueillant pour d'honnêtes rencontres entre amis quand le logis est trop petit, l'endroit où se discute des affaires, où se célèbre un événement heureux. Ainsi les étudiants avaient leurs tavernes attitrées où se fêtait la réussite aux examens. La taverne joue un rôle majeur dans la sociabilité urbaine. 

La littérature fournit une image, elle aussi exagérée, de ces endroits: là se déchaîne une vie débridée, sans les contraintes de la morale, paradis des plaisirs défendus. Or la taverne n'est pas toujours l'endroit d'un défoulement sans aucune retenue, où tous les clients s'enivrent, où ils ne font que jouer et se battre, où ils ne viennent chercher que des fillettes ou des prostituées. Mais ces établissements concentrent une partie des tensions et des violences parce que, à l'instar de la rue, la taverne est un lieu public, qu'il s'y produit des rencontres, des confrontations, qu'on s'y lance des défis, la criminalité s'y manifeste visiblement; toutefois pas autant que le déplorent les moralisateurs de l'époque. Il existe des établissements paisibles à côté d'autres moins recommandables. Impossible de distinguer les lieux de distraction, d'identifier les honnêtes des malfamés. En dehors des poèmes et pièces satiriques, les tavernes sont mentionnées dans les sources foncières, quelquefois avec leur enseigne, mais ces indications n'éclairent pas sur le genre de fréquentations de l'établissement. En revanche, une chose est sûre: dès qu'on s'élève dans l'échelle sociale, on avait moins besoin de ces établissements, on recevait parents et amis dans sa maison. Dès lors, fréquenter la taverne revenait à rechercher les plaisirs défendus.


Fête à la taverne de Jan Steen

Le vin appartient à un courant d'échange, il voyage vers la ville proche. Les tavernes urbaines drainent une bonne part de la production des alentours pour une consommation populaire beaucoup plus fréquente qu'on ne l'a longtemps pensé, lorsqu'on assimilait le vin à un article de luxe. Même dans des régions éloignées des zones de production, comme le Nord et les Flandres, on buvait du vin à la maison et au cabaret. Près des zones de production, la consommation était courante. Les petites gens des villes consommaient, certainement des vins de médiocre qualité, sans rapport avec les fromentels blancs des jardins et vignes bourgeoises ou ecclésiastiques. Les marchés urbains n'ont cessé de se développer, au cours du XIIIe siècle, parce que la consommation de vin s'est popularisée.

Au fur et à mesure que grandissaient, dans les villes, le nombre des ouvriers, artisans indépendants et des gens qui ne possédaient pas de vigne, la vente "à huis coupé et à pot renversé" ne suffit plus. S'organise donc, dès la fin du Moyen-âge, un trafic mercantile dont les agents furent des commerçants en relation avec des vignerons producteurs.

Le tavernier distribuait à ses clients, par petites quantités, des vins de plusieurs sortes, tirés de futailles, entreposées chez lui et mises en perce. Une cave d'accès facile pouvait faire office de taverne. L’arrêt de Parlement de Paris, 1577, mentionne des "marchands ayant ouvert leurs caves pour faire tavernes",  cela permettait au client de voir à quel fût était pris le vin qu'il achetait selon un règlement du roi Jean de 1351 interdisant au tavernier de refuser, à ceux de ses clients qui le demandaient de " voir traire le vin qu'il leur vendait"

De la fin du règne de François Ier aux dernières années de celui de Louis XIII, la taverne prit un sens de plus en plus vulgaire ce qui entraînât leur suspension de la liste des "marchands, vivandiers et proviseurs" ayant mission de suivre la cour en tous ses déplacements. Les 25 "taverniers tenant assiette à boire et à manger" de l'édit royal du 19 mars 1544 sont devenus 25 cabaretiers dans le texte de l'arrêt de Conseil du 6 juillet 1634 concernant les mêmes fournisseurs suivant la Cour. La mauvaise réputation de la taverne tient plutôt à ce qu'on y jouait et, par conséquent, qu'on s'y bagarrait. On y jouait de tout: à la paume, à la boume, aux dés, aux quilles aux cartes….. On joue gros et on se retrouve sans rien sur le pavé.

 

 


 

 



François Villon : Ballade de bonne doctrine à ceux de mauvaise vie

 

" Car ou soies porteur de bulles,
Pipeur ou hasardeur de dés,
Tailleur de faux coins et te brûles
Comme ceux qui sont échaudés,
Traîtres parjurs, de foi vidés ;
Soies larron, ravis ou pilles :
Où s'en va l'acquêt, que cuidez ?
Tout aux tavernes et aux filles.

" Rime, raille, cymbale, luthes,
Comme fol feintif, éhontés ;
Farce, brouille, joue des flûtes ;
Fais, ès villes et ès cités,
Farces, jeux et moralités,
Gagne au berlan, au glic, aux quilles
Aussi bien va, or écoutez !
Tout aux tavernes et aux filles.

" De tels ordures te recules,
Laboure, fauche champs et prés,
Sers et panse chevaux et mules,
S'aucunement tu n'es lettrés ;
Assez auras, se prends en grés.
Mais, se chanvre broyes ou tilles,
Ne tends ton labour qu'as ouvrés
Tout aux tavernes et aux filles ?

" Chausses, pourpoints aiguilletés,
Robes, et toutes vos drapilles,
Ains que vous fassiez pis, portez
Tout aux tavernes et aux filles.


Mots-clés : Technorati

le 29.05.10 à 09:00 dans Vins
- Commenter -

Partagez cet article


Mon livre

L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

Tous les articles publiés

Parcourir la liste complète

Annonces

Inscrivez-vous à ma lettre d'informations

Inscription désinscription

J'en ai parlé

Archives par mois

Abonnez-vous

ABONNEZ VOUS SUR