S'identifier - S'inscrire - Contact

Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

Recherche

 

Tavernes

Rade, zinc, estaminet, caboulot, mastroquet, tavernes, cabaret… Ces noms et d’autres encore désignent dans le vocabulaire populaire des endroits où le chaland peut aller étancher sa soif. Il existe depuis que les hommes fabriquent des boissons et que les sociétés sont organisées et que la monnaie circule.

 

 

Là où l’on vend le vin, il se passe de drôles de choses !

Si l’on en croit les auteurs et les lois des plus anciennes civilisations occidentales de notre planète, les lieux où les hommes vont se désaltérer offrent aussi d’autres réconforts que la boisson.

En Egypte, les propriétaires de tavernes y employaient des hôtesses très accueillantes et la rumeur disait que leurs commerces pouvaient se transformer en lieux de prostitution. En offrant ce double réconfort à leurs concitoyens, ils étaient très estimés des classes populaires.  

Mais c’est à Babylone que les cabarets sont les mieux organisés. Tenus, le plus souvent, par des femmes même si ce métier n’avait rien de recommandable si on en croit le Code d’Hammourabi. A Babylone, les maisons de vin étaient situées sur les bords de la rivière ou du canal. Les personnes respectables considéraient ces lieux infréquentables car considérés comme des lieux de prostitution. Le métier de cabaretière était strictement réglementé par le code d'Hammourabi (1792-1750 avant JC) qui contenait quatre paragraphes concernant les cabarets. Il est interdit à certaines prêtresses d’y entrer pour des raisons de pureté rituelle. Les cabaretières sont responsables des propos « politiques » tenus dans leur taverne autant que des pratiques commerciales. Toute attitude contrevenante à cette loi est punie de mort pour les fautes les plus graves ou de sévères amendes. Cependant ces lois concernaient seulement la moralité, la paix politique, le respect des traditions religieuses et des règles de pureté rituelle, mais absolument pas le fait que la cabaretière puisse s’enivrer, ni que ses clients troublent l’ordre public.

-         § 110 : Si une prêtresse naditum ou une prêtresse non cloîtrée a ouvert la porte d’un cabaret ou y est entrée pour prendre de la bière, on brûlera cette femme.

-         § 109 : Si une cabaretière dans la maison de qui des fauteurs de trouble ont comploté n’a pas saisi ces fauteurs de trouble et ne les pas conduit au palais, cette cabaretière sera tuée.

-         § 108 : Si une cabaretière n’a pas voulu recevoir d’orge en paiement de bière, mais de l’argent au plus haut cours, ou si elle a réduit la quantité de bière par rapport à la quantité d’orge, cette cabaretière, on la convaincra et on la jettera à l’eau.

-         § 111 : Si une cabaretière a livré une cruche de bière à crédit, elle pourra réclamer 50 litres d’orge à la moisson.

Une caractéristique frappante de ce Code est qu’il n’y parait que des femmes- taverniers, est-ce parce que le Code ne recensait que les  établissements considérés comme des bordels et évidement tenus par des femmes ? Rien n’est sûr, cependant des sources écrites, des incantations chantées par des adoratrices d'Ishtar confirment ce fait, ce sont des chants d’amour destinés à faire revenir un amoureux absent de l’auberge : 

 « O Ishtar, pénètre ma parole et cette taverne sera ta taverne »

« Viens, entres dans notre maison, ta belle compagne de lit peut entrer avec toi, et ton amoureux …».

De même qu’une sculpture très ancienne représente une scène de beuverie au cours de laquelle des hommes et des femmes aspirent à l’aide d’une paille une boisson versée dans un grand chaudron, leur attitude, sans aucun doute, montre que les personnes des deux sexes qui se rendaient à la taverne y allaient pour boire et se faire plaisir. Cependant, nous n’avons aucune information sur les qualités sociales des ces buveuses là, étaient-elles des prostituées ou d'honnêtes femmes ? Rien ne permet de le dire, nous ne pouvons que le supputer à la lumière des textes.

La tenancière, à force d’observation de sa clientèle, acquérait une profonde expérience de la nature humaine, elle pouvait donc tenir un établissement, considéré comme un haut lieu de sociabilité. Les rituels de purification, appelés namburbû, utilisaient la taverne comme étape de réintégration dans la société : tout individu ayant subi une cérémonie d’exorcisme pour se délivrer d’une impureté physique ou morale devait passer par le cabaret et y adresser la parole aux clients qui s’y trouvaient avant de regagner son domicile.


taverne de Beycesultan, IVèmeavant J.C

 

 A Rome et en Gaule, les origines de la taverne

Si dans la Grèce antique, nous ne connaissons aucun exemple de tavernes, en Asie Mineure, actuelle Turquie, des fouilles ont mis au jour une sorte de taverne, une salle avec une sorte de comptoir dans laquelle des clients pouvaient venir se désaltérer et jouer aux dés et aux osselets.

C’est à Rome que naquirent les tavernes telles qu’elles existèrent en Gaule. Appelées taverniculae, ce sont de petites boutiques où l’on vient acheter son vin, certaines évolueront vers un commerce où l’on peut s’installer autour d’une table pour boire.

En Gaule, la vigne fut vite cultivée et les gaulois et gallo-romains créeront des tavernes, un débit de boisson où les chalands se fournissaient en vin au jour le jour.

Taverne gallo-romaine, II-IIIème siècle, musée de Dijon

Il existe au musée de Dijon, un bas-relief gallo-romain du II-IIIème siècle. Dans une rue pavée, un client vêtu d’une cape, tend au marchand une cruche à anse que le commerçant remplit à l’aide d’un petit pot. Ce dernier se tient derrière un comptoir assez haut, garni de coupes à pied et de louches les clients pouvaient aussi consommer le vin au comptoir, c’était même la seule façon de faire autorisée par la loi franque qui interdisait d’entrer dans une taverne et s’assoir pour bore du vin. Le tavernier ne vendait que du vin à emporter ou à consommer sur place contrairement aux cabaretiers et aubergistes qui servaient leurs clients assis à table.

D’ailleurs les édits des villes à l’époque médiévale précisaient que le vin devait être vendu «  à huis ouvert et à pot renversé ». Seul le volet supérieur de la porte, divisé en deux dans le sens de la hauteur est ouvert, cela permet de verser le contenu d’un pot dans le récipient que tend l’acheteur resté dans la rue. Ce privilège fut maintenu par des déclarations royales jusqu’à l’édit de septembre 1789 qui abolit les privilèges fiscaux dont bénéficiaient les propriétaires de vignes pour vendre les vins de leurs crus.

 
Des tavernes pour couler le surplus des récoltes.

Les récoltes de vins pouvaient certaines années être surabondantes, le propriétaires des vignes souvent un aristocrate possédant un hôtel particulier en ville faisait ouvrir une des pièces donnant sur la rue et la transformait en une taverne où les passants pouvaient s’arrêter pour acheter leur vin. A cette fin, une enseigne, placée au dessus de la porte, signalait la boutique. Ce même propriétaire pouvait aussi, si ne voulait pas faire les frais de l’installation d’une boutique chez lui, mettre son vin en dépôt chez un tavernier. Cette coutume qui remonte à l’époque  romaine survivra jusqu’au règne de Louis XV  et les grands établissements religieux, les archevêques, les ducs et même le roi usaient de ce droit.

La vente du surplus de récolte était considérée comme une activité noble que les personnages de haut rang pouvaient exercer sans déchoir à condition que la vente de vins ne concerne que les vins récoltés par le propriétaire sur ses propres terres et en aucun ca à des fins lucratives. Ils devaient produire « un certificat, signé par eux, contenant le dénombrement par tenants et aboutissants des vignes dont ils sont propriétaires et la quantité de vin qu’ils y ont recueilli avec déclaration qu’ils font façonner à leurs dépens »

. Les grands seigneurs laïcs ou religieux, les couvent voire même le roi possédaient des tavernes qui « ne pouvant garder de caractère aristocratique que si elle n’avait rien d’un commerce lucratif, restait un moyen d’écouler le surplus de vin récolté par le vendeur sur ses propres terres. » La taverne était, à ce titre, exempte des impôts, le quart et le huitième, frappant les cabarets.


L’exemple des taverniers de Bordeaux

Dans la ville de Bordeaux, on comptait 626 tavernes à la fin du XVIIème siècle. Les taverniers, « officiers de la ville destinés pour mesurer le vin de ceux qui débitent en taverne à pot ou à pinte. Ils crient le dit vin par la ville, le percent et sont assidus pour le tirer et le vendre à tous surmenants et ont leurs droits et statuts qu’ils sont tenus d’observer », ils doivent donc répondre à certaines conditions.

-         justifier d’une bonne conduite

-         ne pas avoir de maladies contagieuses

-         payer annuellement 20 sols bordelais à la Ville

-         ne pas vendre de vins prohibés

-         ne pas mêler vins vieux et vins jeunes

-         ne pas ajouter de l’eau, ni autre substance

-         ne pas commencer un tonneau avant d’avoir terminé un tonneau entamé

-         ne tenir et souffrir aucun jeu de cartes, ni gens blasphémateurs, querelleurs et suspects vagabonds

-         ne pas recevoir des gens mariés qui délaissent femmes, enfants et famille en voie de mendier

-         ne pas tenir taverne après la cloche de la retraite sonnée avec gens attablés

Chaque année, lors d’une cérémonie, les taverniers juraient de respecter certaines conditions, à défaut de les tenir, ils risquaient le bannissement de la ville

-         d’obéir au maire, sous-maire et jurats

-         de ne vendre pendant toute l’année que les vins des bourgeois et habitants de la ville

-         de ne vendre le mieux possible le vin de Bordeaux

-         de fourniture ce qu’il faut aux propriétaires pour vendre leur vin et leur rendre autant de francs par tonneau que le carton de vin se vendra de denier

-         de faire bonne mesure tant aux vendeurs qu’aux acheteurs

-         de n’exiger que 15 ou 20 sous par tonneau selon la qualité des vins

 
Cornelis Dusart, taverne, 17ème siècle

Donnez-nous notre vin quotidien

Dans les régions viticoles particulièrement, les tavernes étaient nombreuses dans les villes où la demande de vin était forte. La population des villes avait l’habitude de boire fréquemment du vin à tel point qu’au VIème siècle, St Eloi parle de l’ivrognerie comme un vice ordinaire. Le désir de boire du vin ne diminua pas lorsqu’aux XI et XIIème siècles, les villes connurent une extension liée à un renouveau commercial. Les villes abritaient des commerçants, artisans et leurs employés qui ne renoncèrent jamais à sa ration quotidienne de vin. Les tavernes urbaines drainaient une bonne part de la production de vin même dans des villes éloignées des zones de production pour une consommation populaire beaucoup plus importante qu’on l’a longtemps pensé, tant qu’on a considérée le vin comme un article de luxe.  Aller à la taverne constituait au Moyen-âge une distraction attrayante quoiqu’onéreuse. Les petites gens des villes y buvaient des vins de médiocre qualité sans doute, sans rapporta avec ceux provenant des meilleurs vignes aristocratiques et bourgeoises.  

Les documents judiciaires brossent de ces lieux un tableau peu flatteur qu’il convient de nuancer. Ce n’étaient pas uniquement des lieux de délinquance où se rassemblent les mauvais garçons de la ville, pas plus que de violence verbale ou physique. Ce n’était pas le moutier du diable comme l’écrit le rédacteur du Ménagier de Paris, où fleurit la prostitution. Certes les jeux de cartes, bien qu’interdits, entrainaient des querelles et des bagarres, et certains venaient y chercher des jeunes filles. Mais elle était surtout un lieu accueillant pour d’honnêtes rencontres entre amis lorsque le logis se révèle trop étroit. C’était aussi un endroit où se discutait des affaires, où se célébraient des évènements heureux. Les escoliers des universités s’y retrouvaient et y fêtaient leur réussite aux examens. Les tavernes jouaient un rôle majeur dans la sociabilité urbaine.

Ces établissements concentraient aussi une grande partie des tensions et des violences parce qu’à l’instar de la rue, c’étaient des lieux publics, qu’on s’y rencontrait, qu’on s’y confrontait, qu’on s’y lançait des défis et que manifestement la criminalité s’y manifestait assez régulièrement, du moins dans certaines d’entre elles. Mais certes pas autant que les moralisateurs se plaisaient à le dire et le répéter. Il existait des tavernes mal famées et peu recommandables et d’autres fort paisibles où jamais la maréchaussée n’intervenait.

En revanche, une chose est certaine : au fur et à mesure que l’on s’élève dans l’échelle sociale et que le logement s’agrandit, on n’avait moins besoin de se rendre dans ces établissements car on recevait parentèle et amis chez soi. A partir de ce moment, fréquenter la taverne revenait à s’encanailler, à rechercher des plaisirs défendus.

le 31.10.09 à 09:00 dans Autour de la nourriture
- Commenter -

Partagez cet article


Mon livre

L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

Tous les articles publiés

Parcourir la liste complète

Annonces

Inscrivez-vous à ma lettre d'informations

Inscription désinscription

J'en ai parlé

Archives par mois

Abonnez-vous

ABONNEZ VOUS SUR