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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Cuisiner ou faire à bouffer ?




1/ Pourquoi cuisine t'on tous les jours?

Pour ne pas mourir de faim, d’accord, mais ne pourrait-on pas manger cru ou jeter dans une casserole ce qui nous tombe sous la main ? Oui, bien sûr et il y en a qui le font, mais cette manière de faire risque d’entrainer une monotonie et une lassitude. D’ailleurs depuis que l’homme a maitrisé le feu, il n’a cessé d’inventer récipients et recettes pour améliorer sa manière de manger, de rendre sa nourriture appétissante et variée. Il mêle les saveurs,  les textures pour le bonheur des papilles, il crée de nouvelles présentations, de nouvelles techniques pour le plaisir des yeux, il ajoute condiments et aromates pour titiller les cellules olfactives. En matière de nourriture et d’excitation des sens, l’homme est passé maître. Et, de façon récurrente, on parle de nouvelle cuisine qui abolit l’ancienne, qui la débarrasse de ses affèteries, qui nous fait découvrir les vraies saveurs, les cuissons justes et les bons mariages. Ce qui fait qu’à intervalles réguliers les tenants de la nouveauté s’opposent aux amateurs de la tradition. Eternelle querelle des anciens et des modernes, comme pour la musique, les arts plastiques ou le théâtre, ce qui laisserait supposer aussi que la cuisine est un art.

Certainement, mais comme partout, il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. Dans toutes les disciplines artistiques, il faut un bon apprentissage et une longue pratique pour obtenir une bonne technique, base nécessaire pour ensuite laisser libre cours à son imagination qui est nourrie d’une vraie culture culinaire. Une dose de talent en plus et enfin on peut atteindre au génie. Rares sont les génies, mais beaucoup sont talentueux et possèdent une remarquable technique. Ces artistes-là nous font rêver, quand on s’assoit à leur table, ils nous emmènent dans les sphères les plus élevées de la gastronomie.

Et puis, il y a nous, les cuisiniers de tous les jours qui dans leur cuisine, comme les copistes du Louvre, essaient de faire comme… avec les moyens du bord, notre bonne volonté, et notre amour, à géométrie variable, de la cuisine quotidienne.

Revenons à notre propos initial. Nous avons l’ingrate et fascinante tâche de nourrir quotidiennement les membres de notre famille, parfois même deux fois par jour. Sans aide et face à la critique parfois plus cruelle que l’officielle critique gastronomique. Sans donner le choix de plats “à la carte” à des personnes qui sont obligés de manger tous les jours au même endroit une nourriture cuisinée par la même personne. Quelle gageure! Et même soyons modestes, quel exploit!

Oui quel exploit car en plus, il nous incombe une autre tâche: transmettre une tradition culinaire et le goût de la cuisine qui tiennent compte des goûts, des dégoûts et des tabous de chacun. Exercice périlleux sans filet de protection.

2/ Le repas quotidien comme moment de transmission

La première finalité de la cuisine quotidienne, nourrir les siens pour répondre à leurs besoins physiologiques et pour qu’ils soient en bonne santé. C’est à dire leur préparer des repas variées et appétissants, une nourriture équilibrée et non faire le plein de protéines, de lipides et de glucides. La nourriture n’est pas qu’un carburant. Nourrir pour leur faire découvrir les recettes familiales, qui font partie de ces recettes qui se transmettent de mère en fille, les recettes secrètes qui ne doivent pas sortir de la famille. Et les recettes régionales qui ont été inventées à partir des produits qui poussaient autour de chez soi, et qui représentent un patrimoine culturel et qui est une manière de découvrir sa région et de permettre à des producteurs de continuer à pratiquer une agriculture de qualité, avec des produits parfaitement adaptés à une  terre et de manger des produits de saison.

La deuxième finalité est l’éducation au goût des enfants. Ah, l’éducation au goût, que ne dit-on à ce sujet! C’est finalement tout simple et tout bête, faire découvrir, admettre et aimer nos quatre saveurs de base occidentales -le sucré, le salé, l’acide et l’amer- le sucré, ce n’est pas difficile, le salé, non plus, mais l’acide et l’amer,  qui ont quasiment disparu de notre palette gustative, c’est moins aisé. D’autant que nous avons intégré l’umami, saveur apatride et biface mi-salée, mi-sucrée, sorte de Janus censé acquérir l’unanimité ou l’unanimité. Nombre d’adultes ne savent pas reconnaitre l’acide de l’amer, à fortiori les enfants. Et pourtant l’amer ouvre des voies insoupçonnées dans la connaissance des saveurs et l’acide permet d’obtenir un équilibre, de donner de la vivacité comme on le voit dans le vin avec les moelleux et les liquoreux. Il faut ensuite éveiller leur curiosité et aller à la découverte d’autres saveurs. Car depuis l’Inde jusqu’à la Mer de Chine, il en existe beaucoup d’autres, l’astringent, le piquant, le brûlant, le fade….. La cuisine setchuanaise possède, par exemple, 8 saveurs de base et 23 saveurs composées. Cela laisse rêveur et ouvre des horizons. Leur faire aussi découvrir et reconnaitre les textures. Une enquête, dont le résultat est inquiétant, révèle que les jeunes n’aiment et ne connaissent plus que le mou, le croustillant et un peu le croquant. Quand on réalise des ateliers sur goût avec des enfants, on remarque la difficulté qu’ils ont à exprimer ce qu’ils ressentent. Ils entrent souvent dans des domaines inconnus d’eux. Ce qui veut dire que le travail de base d’éducation au goût n’a pas été fait dans leur famille.

Et si ce travail de base n’a pas été fait comment peut-on leur donner l’envie de se mettre aux fourneaux? De devenir eux-aussi des créateurs, des inventeurs, des chercheurs de goûts, de mets, de plats? Comment ne pas considérer la cuisine comme une corvée ou les courses comme la recherche de carburant le moins cher possible? Comment leur donner envie de partir à la découverte des bons produits, de les goûter, de découvrir de nouvelles manières de cuisiner pour partager?

le 15.02.07 à 16:52 dans Autour de la nourriture
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