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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Safran

 


Saffran qui porte un nom arabe
Fait que mieux on rit et se gabe.
N’en prends par pourtant par excez,
Car il causeroit ton decez ;
Tout en riant t’en irois boire
Du Styx infernal l’onde noire.
Le saffran réjouit le cœur,
Et aux membres donne vigueur.
Raffermit les viscères et repose le foie.
Ecole de Salerne, IX-XIIIème siècle.

 

D’où vient cette fleur étonnante ? Très certainement du plateau irano-afghan. Un village des bords de l’Euphrate portait il y a 4500 ans le nom de Azupirano que les hommes de l’époque traduisait par « la ville du safran » ; Le nom même « safran » vient du mot perse zafarani qui veut dire jaune et qui donnera za’fran en arabe, azafran en Espagne,  safran en France et Allemagne, saffron en Grande-Bretagne, zafferano en Italie. Alors que les grecs le nomment crocos signifiant poil, filament, et les hébreux carcom. Le safran a évidement une origine divine racontée par les grecs, grands inventeurs de mythes divins : «  Le jeune Crocos et son ami Hermès, dieu des marchands et des voleurs,   jouaient ensemble à lancer le disque. Crocos reçut en plaine tête le disque lancé par Hermès, blessé son sang coula par terre. Là où le sang avait coulé sorti de terre une belle fleur qui devint symbole de la vie et de la résurrection ». Symbole de pureté chez les assyriens qui faisaient cueillir les fleurs par de jeunes vierges, objet de culte chez les phéniciens et fleur sacrée pour les bouddhistes. Très répandu, grâce aux marchands phéniciens sur tout le pourtour de la Méditerranée, les fresques du palais de Knossos en témoignent qui nous montrent des jeunes gens en train de cueillir du safran et des singes arrachant les pistils, mais aussi des jeunes femmes aux seins dénudés décorés avec du safran. Maintenant le safran atteint de tels prix que seuls les bonzes l’utilisent encore  pour teindre leur robe. C’est la crocine, puissante substance colorante contenue dans les stigmates,  qui donne cette belle couleur jaune et il suffit d’un gramme pour cent litre d’eau.

Le safran en France

Le Crocus sativus cultivé se propagea  du plateau irano-afghan à toute la zone méditerranéenne. En Europe, il fut cultivé, en France dans le Comtat Venaissin où il y avait une tradition provençale du Safran, le comptoir d’Avignon ayant été bien plus important que celui du  Gâtinais, qui est venu en Provence chercher ses bulbes et a fini par détrôner son rival.  Sa production était si importante que l’on venait de l’Europe entière à Beaune et de Boynes, au 16ème siècle,  lors des foires de la St Martin pour se procurer ces précieux filaments. Au 18 et 19ème siècle, le safran français était exporté dans le monde entier, puis sa production diminua au profit du safran espagnol, moins cher. Dans le Gâtinais, sous l’impulsion du négociant Thiercelin, il est de nouveau cultivé depuis les années 80 et le safran produit est d‘une très belle qualité.

Le safran en Europe
En Espagne ce furent les arabes qui introduisirent le safran qui pousse un peu partout à Saragosse, Alicante, Valence et en Andalousie et aux Baléares, le meilleur pousse dans la Mancha (qui a droit à une AOC avec 2 ou 3 producteurs) au sud de Madrid et à Jiloca dans la  province de Teruel.
En Angleterre, on pense que ce sont les phéniciens qui l’échangèrent contre de l’étain et les romains continuèrent à en faire commerce, sa culture cependant ne se développa vraiment qu’après l’époque normande dans le Sussex où une petite ville porte encore le nom charmant de Saffron-Walden et une rue de Londres, dans Finsbury, Saffron Street témoigne encore de la popularité. Et c’est le 16ème siècle qui fut comme en France l’époque de son apogée. Le safran était à cette époque très utilisé par les apothicaires qui le vendait à prix d’or.
Comme dans tous les pays européen, le safran laisse des traces durables dans la gastronomie nationale des pays où il fut cultivé,  les petits pains au safran sont toujours le plat préféré des habitants du Susses, en France on trouve le safran dans la cuisine de Carême, et dans la cuisine provençale, en Espagne dans le arroz de Huerta, sorte d’ancêtre de la paella, la tortilla a la espagnola, la morue au safran et la crème catalane, en Arménie dans le riz de Noël. 

Le retour du safran

Après un désintérêt marqué pour cette épice à partir du 18ème siècle quand son parfum puissant choquait les odorats sensibles et délicats, il revient en force dans la cuisine, parfumant viandes et poissons, fruits et légumes, riz et pâtes et même les crustacés. Il est très intéressant en pâtisserie où il relève agréablement la saveur des pâtes à pain et à gâteaux. Il faut toujours le faire infuser au moins une demi-heure avant de l’utiliser afin qu’il développe au maximum ses arômes et un ou deux filaments par convives suffisent (quand le safran est de bonne qualité). Il faut dire que les qualités aromatiques du safran sont absolument exceptionnelles, en plus de son parfum iodé on décèle des notes herbes (menthe) et de foin, de cèdre et de tabac,  des senteurs de poivre d’agrumes et de fleurs. Elles diffèrent selon les provenances de même que leur couleur et leur aspect. D’un jaune orangé à un rouge vif, les stigmates plus ou moins souples et pleins. Car le vrai safran est bien rouge, les stigmates doivent porter une sorte de petit entonnoir au sommet. Choisissez-le toujours en petits filaments, et achetez-le en petite quantité pour qu’il ne perde pas ses qualités aromatiques et conservez-le à l’abri de la lumière et de la chaleur. Autrefois, les femmes le conservaient dans de très jolies boîtes (qu’on peut encore voir au Musée du Safran), souvent dissimulées derrière des piles de linge de maison, il parfumait le linge et il était de ce fait bien protégé de la lumière et des convoitises. Car son prix faisait commettre des folies, vols bien évidement mais surtout falsifications par les marchands et parfois les producteurs.  Tout était bon : on le mélangeait à des fleurs de souci, d’arnica et de carthame, à des brins d’autres crocus, à du curcuma quand il était en poudre (c’est encore utilisé dans certains mélanges vendues broyés). Les guildes étant soucieuses de leur réputation, on utilisait toutes sortes de moyens pour détecter les fraudes qui furent très sévèrement punies ; un des moyens consistait à peser les crocus et ensuite les cendres, si le poids ne correspondait pas à celui des vrais crocus brûlés, le contrevenant pouvait être brûlé vif ou enterré vivant. Plus tard, on se contenta de confisquer biens et épices et de brûler le safran frelaté. La fraude peut encore existé en mêlant pistils et stigmates ou en diminuant le temps de séchage qui permet d’augmenter le poids des stigmates malgré le risque de moisissure.

La culture du safran
C’était bien tentant de tricher car il faut environ 200,000 fleurs pour un kilo de safran, donc le rendement est de 10 kg/ha ou de 1g par mètre carré.  La densité de plantation est de  20 à 60 bulbes au mètre carré, on plante des bulbes à 15 cm de distance, des rangées à 15cm d’espacement, et toutes les 4 rangées on saute une pour laisser passer les ramasseurs…), et chaque bulbe produisant entre 3 et 10 fleurs (tout dépend des conditions, des pluies de printemps, et surtout de la taille du bulbe), en moyenne on obtient 200 fleurs au mètre carre, et donc 2 million de fleurs par hectare. En moyenne bien sur. Et, de plus,  la culture et l’émondage se font manuellement. Au printemps,  on creuse dans la terre des petits sillons dans lesquels on pose les bulbes de crocus, on recommence à creuser un autre sillon à côté dont la terre va recouvrir les bulbes. Tous les détails de plantations et de rendements sont dans les décrets des appellations d’origine italiennes. Tout au long de l’année, il faut désherber à la main, pour éviter les désherbants chimiques, c’est un travail monstre.  La floraison  a lieu en général au mois d’octobre et  dure deux semaines au plus. Les bulbes les plus anciens fleurissent les premiers. Les bulbes ne donnent des fleurs qu’au bout de deux ans et 2 ans plus tard, ils sont arrachés, nettoyés et replantés. La floraison arrive d’un seul coup et selon la légende, ce phénomène freina Alexandre Le Grand dans ses conquêtes. Alexandre et son armée avaient planté leur campement un soir, sur une plaine dénudé du Cachemire, le lendemain matin ils se réveillèrent au milieu d’un océan de fleurs mauve. Alexandre et ses soldats, peu férus en botanique, crurent à un sortilège et rebroussèrent chemin.
Il faut faire vite car la fleur ne dure que 48 heures. On cueille les fleurs vers 11 heures du matin après que la rosée soit tombée et quand les fleurs sont bien épanouies. On les sectionne d’un coup d’ongle à la base de la fleur. L’émondage se fait sur une table, on extrait les pistils à la base des 3 filaments rouges sans cueillir les pistils jaunes. Les filaments sont ensuite étalés sur des claies et mises à sécher. Ce séchage s’effectue actuellement dans des fours la plupart du temps,  autrefois on séchait le safran sur du charbon de bois, méthode toujours de rigueur encore maintenant en Espagne. C’est un travail extrêmement délicat car les pistils doivent être séchés ni trop, car ils brulent et perdre leur parfum, ni trop peu car ils risquent de moisir. Le séchage est une étape indispensable  car le safran ne devient aromatique que s’il est séché. Il parait qu’au Cachemire, on trempe les filaments dans de l’eau pour les séparer selon leur qualité. Le maximum que peut produire une personne est d’environ 400 grammes (400 mètres carrés donc
Tout ceci vous montre pourquoi le safran est l’épice la plus chère du monde !

Cher safran !

Justement, parlons gros sous : le prix de gros du safran est de 25.000 €/kilo, le rendement est d’environ 250.000 €/hectare, ce qui est comparable a la viticulture moyenne (sur la même surface, on produit 50 hl de vin), mais avec des couts de production bien supérieurs, ce qui rend la culture en Europe peu rentable, sauf si le producteur utilise des désherbants chimiques.
En Italie il y a 25 hectares, dont 20 en Sardaigne, et cela rend l’Italie presque autosuffisante, l’importation ne représentant que 10% des besoins du pays.  En France donc on pourrait probablement combler la demande nationale avec une vingtaine d’hectares.
 

Depuis quelques années, le safran est réintroduit en Afghanistan à l’initiative des producteurs du Gâtinais qui veulent remplacer la culture du pavot par celle du safran. C’est une culture de substitution comme l’a quasiment toujours été la culture du safran, appelé l’or des pauvres, c’était le matelas des paysans. Les résultats sont déjà prometteurs, puisque environ 100 hectares sont actuellement cultivés qui produisent une tonne de safran. Des centres de formation ont été créés. D’autres plantations sont en cours sur les plateaux autour de Kaboul et du Vardak dans le but de créer un commerce équitable. Le safran est revenu sur sa terre natale.


Mots-clés : Technorati

le 19.11.05 à 15:59 dans Histoire des aliments
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Commentaires

Safran

 Cher Safran!

Euro 250,000.- p/ha comme rendement c'est pas maldu tout malgré le travail.
Mais la comparaison avec le rendement par ha du vin, là! Je crois qu'il y à erreur de math. 50hl d'un vin moyen ne donne jamais un rendement économique brut de Euro 250,000.- p/h  à moins de parler d'un Romané Conti.

worldmidom - 01.09.11 à 21:18 - # - Répondre -

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