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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Pibale et civelle

La pêche à la pibale appelée civelle sous d’autres cieux s’achevant très bientôt, il me parait bienvenu de parler de ce minuscule alevin dont certains personnes raffolent et qui par conséquent s’arrache à prix d’or. L’augmentation des cours des prix de ce petit de l’anguille est inversement proportionnelle la vitesse de sa diminution dans les rivières. L’appétit des uns provoquant la ruine des autres, les génies des eaux n’ayant pu modifier ce qui est la loi sur terre.


Source:Ifremer

Pibale et civelle

Chaque année depuis que les hommes ont remarqué leur présence dans les estuaires, les cours d’eau et les marais, les hommes ont pêché les civelles ou pibales. Vu leur très petite taille, elles furent pêchées avec des nasses ou des filets à mailles très serrées. Les civelles ou pibales furent traditionnellement pêchées à pied jusqu’en 1967 et on pêchait à l’époque environ 500 tonnes de civelles par saison. Armé d’une lampe frontale et d’un filet, la pêche à la civelle restait une activité familiale destinée à une consommation personnelle et à une vente locale. Le jour où la pêche fut motorisée tout changea.  Les quantités de civelles pêchées augmentèrent à un tel point- jusqu’à 4000 tonnes par saison ! - que l’espèce fait maintenant partie des espèces en voie d’extinction Sachant qu’il faut 2700 civelles pour faire un kilogramme, calculez combien de civelles ont été prélevées ?

Des bateaux munies de 2 filets appelés pibalous situés de chaque côté de la coque écument des estuaires et les zones marécageuses jour et nuit, la nuit les bateaux sont équipés de lampes qui rendent les pibales phosphorescentes. Les filets ne remontent pas seulement des pibales mais toutes sortes de jeunes poissons qui sont rejetés à la mer morts et les civelles survivantes (près de la moitié périssent écrasées dans les filets) prennent le chemin du commerce de gros. D’une part, cette pêche « à l’aveugle » met en péril les autres espèces pêchées et rejetées mais elle a décimé les populations de civelles à tel point que l’espèce est menacée de disparition.

L’étrange et mystérieuse vie des pibales ou civelles

Les petites pibales qui sont pêchées dans les estuaires ou les marais de la côte atlantique viennent d’effectuer un très long voyage. Et le lieu de leur naissance reste encore un mystère. Où les anguilles pondent-elles ? Mystère. La seule chose que l’on sait est que dans la mer des Sargasses, une mer chaude et calme, les larves de 7 mm y grouillent par millions. Portées par le Gulf Stream, les larves âgées de 2 mois et mesurant 2,5 cm partent vers l’est pour un grand voyage qu’une partie d’entre elles boucleront parfois quinze ans plus tard. Elles arrivent à l’automne sur les côtes de l’Atlantique sud et au printemps dans l’Atlantique nord. Quand elles atteignent les rivières et les marais, leur taille a augmenté et elles sont devenues des pibales ou civelles, elles sont toujours transparentes. Celles qui ont échappé au filet vont grossir, à 5 ans elles mesureront 17-19 cm.  En eau douce, elles grossissent et prennent une couleur jaune. A leur maturité sexuelle, à 12 ans,  les pibales ou civelles sont devenues des anguilles. Elles ont ris une belle teinte argentées. Les mâles, plus petits mesurent entre 30 et 50 cm et pèsent 1,5 kg, les femelles peuvent mesurer jusqu’à 1m et peser 3 kg. (Un couple d’anguilles ressemble un peu à un couple à la Dubout !) C’est à ce moment qu’elles prennent le large pour naviguer vers leur zone de frai, quelque part dans l’Atlantique Ouest. Et le cycle est bouclé. Mais en rivière comme en mer, elles sont traquées par les pêcheurs.

Le marché de la civelle et de la pibale

Jusqu’aux années 60, le marché de la civelle était un marché local près des estuaires de la Loire et de la Gironde, celui de l’Adour et de la Charente. Tous les petits cours d’eau même les plus fangeux voyaient des escouades de pêcheurs, leur tamis à la main, venir pêcher de quoi régaler la famille et se faire quelques sous au marché. Le prix à l’achat était peu cher (l’équivalent de 5 € environ) et chacun pouvait s’acheter son bol de civelles aux marchandes à la criée dans les rues.
Dans les années 90, les civelles se vendaient déjà 88 F/100 gr et entre 340 et 500 F/kg, les pêcheurs les vendaient jusqu’à 750F/kg. Une grande partie était vendue en Espagne où on les vendait plus cher que la langouste.

Si l’on voit de moins en moins de pibales ou de civelles dans les restaurants et sur les marchés - à 300 €/kg quand même !-  c’est que la majorité d’entre elles continuent d’être vendues en l’Espagne, et d’autres pays demandeurs comme les pays d’Extrême Orient qui les achètent pour l’élevage. En 2008, la France a exporté 37 tonnes de civelles vivantes à 514 €/kg. 90% des civelles partent vers la Chine où elles sont élevées en bassins. Les anguilles chinoises sont ensuite exportées vers le Japon qui en importe plus de 200 000 tonnes/an qui peuvent se revendre jusqu’à 40€/kg chez le poissonnier !  Quelques tonnes partent vers les Pays-Bas et le Danemark pour l’élevage. Le reste est vendu en France et en Espagne pour la revente aux particuliers et aux restaurants et de 1 à 10% va servir au repeuplement des sites.
Achetées entre150 et 200 €/kg aux pêcheurs, les civelles sont revendues ensuite entre 300 et 400€/kg quand elles mesurent 3 cm et entre 700 et 1000 € à 10 cm.  

Les pêcheurs français pêchent 80% de la production européenne de civelles, cette activité occupe 1100 pêcheurs à qui elle procure entre 50 et 100% de leurs revenus.

En raison du prélèvement énorme de civelles, la rance a importé 90 tonnes d'anguilles vivantes et fumées.  Cherchez l’erreur ! L’Europe a produit en 2008 5000 tonnes d’anguilles d’élevage dont la moitié aux Pays-Bas et le resta au Danemark et en Suède.

Espèce en danger

Depuis quelques années les pêcheurs d’anguilles comme les chercheurs ont remarqué la rareté des populations d’anguilles. Il remonte 100 fois moins de civelles actuellement que dans les années70. Si la pêche intensive que nous avons citée est une des raisons de cette disparition, elle n’est pas la seule. Le braconnage et la pêche illégale y ont leur part. Les prix de la civelle ont tellement augmenté et la demande est tellement forte que la tentation est forte de passer outre aux recommandations. Sont en cause également la dégradation des cours d’eaux : pollution des eaux et disparition des zones de marais, et les aménagements des cours d’eau comme les barrages qui empêchent les civelles de remonter les rivières. A cela s’ajoute le réchauffement des eaux et les modifications que subissent les courants maritimes. L’homme est une fois de plus responsable de la quasi extinction d’une espèce. Saura t-il la sauver ?

Des efforts sont faits pour la protéger dans un premier temps. La Commission européenne ayant déclarée en 2003 que le stock d’anguilles et de civelles « ne se situe plus à l’heure actuelle dans les limites biologiques de sécurité » car « l’intensité des prélèvements met en cause la durabilité de la pêche et que d’autres activités humaines retentissent sur les habitats et les schémas migratoires », elle a pris des mesures de restrictions de pêche – une licence de pêche est nécessaire et des dates d’ouverture et de fermeture de pêche sont instaurées-   et de restauration des habitats et des voies de migrations (comme l’installation d’échelle à poissons sur les barrages).

En 2007 et 2008, l’UE a instauré un plan de gestion pour reconstituer le stock d’anguilles et la biomasse de géniteurs, pour réduire la mortalité de 30% en 3 ans et permettre à 40% des géniteurs de s’échapper vers la mer. La dernière mesure incite les pêcheurs à prélever 35% de leur pêche pour l’alevinage. Car si on sait très bien élever les civelles dans des bassins pour obtenir des anguilles, ces dernières ne se reproduisent pas en captivité.

Il y aurait une solution de bon sens qui consisterait à interdire la pêche en automne lorsque les anguilles matures retournent vers la mer et les Sargasses aussi bien en eau douce qu’en mer. Par conséquent la pêche d’automne des civelles  n’existerait plus, elles ne seraient pêchées qu’à la fin de l’hiver et au début du printemps de février au 15 avril.

Si les pêcheurs se souviennent que dans les années 60, on pouvait « ramasser » les civelles à la fourche tellement il en avait, on peut raisonnablement penser que nos petits enfants n’en verront jamais dans les rivières. Le prix de vente est devenu trop élevé pour que les restrictions ou même l’interdiction de la pêche soit respectée. N’accusons pas seulement les pêcheurs, il est insensé que des ingénieurs n’aient pas pensé à installer les échelles à poissons lorsqu’ils construisirent des barrages, pas plus que l’on continue à polluer les cours d’eau et à empiéter sur les milieux humides pour construire des lotissements. Les espèces sauvages vivant dans des milieux fragiles nous font prendre conscience de notre folie.

 
 
 
 
 
 

Mots-clés : Technorati, Technorati, Technorati

le 06.04.12 à 17:47 dans Histoire des aliments
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Commentaires

A propos de votre article Pibales et civelles

Bonjour,

votre article sur la pibale et la civelle est interressant. La question de l'anguille est très complexe ; dans les causes de raréfaction du stock, il y a aussi un virus qui affaiblit les anguilles matures et entrave leur retour dans la Mer des Sargasses. Il y a un film intéressant sur le sujet : « Anguille sous roche » : un témoin dérangeant – Film de Jean-Roch Meslin, 2009 (cf article dans l'encre de mer).

Sur l'implication des différents acteurs dans ce processus de raréfaction, les pêcheurs sont souvent mis en cause par les médias, et de façon généraliste mais les spécialistes s'accordent à dire que l'entrave à la circulation dans les cours d'eau joue un rôle très important.

De plus, la situation diffère beaucoup d'une région à l'autre, les pêcheurs méditerranéens se sont toujours refusés à pêcher les civelles et ne ciblent que les anguilles vertes ou matures. En Atlantique, la pêche des civelles est parfois très artisanale ou, au contraire, plus mécanisée.

Quant aux solutions, là encore, elles ne peuvent être simples et généralisées. La Prud'homie de Gruissan qui est exemplaire dans la gestion de ces étangs et de la pêche de l'anguille s'accomode très mal des mesures européennes. Les mesures concernant les pêches artisanales, territorialisées par définition, ne peuvent être que territoriales et prises en concertation avec les pêcheurs, des acteurs de terrain qui vivent avec leurs écosystèmes.

Cf. notamment :

Aucun lien institutionnel entre les Prud’homies qui gèrent sur le terrain et les organisations professionnelles chargées de la gestion aux niveaux régional,

Un sens collectif pour une pêche écologique

Merci pour votre attention.

Encredemer - 07.04.12 à 16:25 - # - Répondre -

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