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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Mémoires de chefs


         Que voilà un livre joyeux, enrichissant et gourmant bien qu’on y trouve aucune recettes ni photos de plats. La gourmandise y est implicite, elle apparait à travers les récits que Nicolas Chatenier, qui vit parmi les chefs, réunit dans ce livre fort intéressant. De qui s’agit ‘il ? D’une génération de qui ont marqués leur époque et les suivantes. Comment ? En réveillant et ré-imaginant la gastronomie française. Nicolas Chatenier les a fait raconter une partie de leur vie professionnelle, de la fin des années 1960 aux années 1980, des années fastes durant lesquelles la gastronomie comme la société française se sont profondément modifiées. Des années charnières qui ont ouvert le chemin vers le XXIe siècle. Une société, figée dans ses traditions, ses habitudes, ses hiérarchies, a découvert ébahie, des trublions qui donnaient des coups de pieds dans la fourmilière, opérant dans la bonne humeur et la sérénité une évolution douce..

Qui étaient ces chefs révolutionnaires ?  Bocuse, Chapel, Guérard, Haeberlin, Lenôtre, Outhier, Pic, Senderens, Troisgros, Vergé, dont la majorité des chefs en activité revendique un héritage, une influence, une source d’inspiration.  Il y eut les discrets, Haeberlin, Pic et Chapel, les médiatiques Bocuse, Guérard, les frères Troisgros, Lenôtre et Vergé, l’ami des artistes et  ceux qui rendirent leurs étoiles, Outhier et Senderens (que l’on découvre avec plaisir dans des portfolios illustrant chaque témoignage). Rassurez-vous,  ce livre n’est pas un simple recueil de souvenirs, il dévoile plutôt « une explication d’une portée bien plus considérable : entre la fin des années 1960 et le début des années 1980, la scène culinaire  française, animée par des personnages exceptionnels, a connu des bouleversements majeurs », écrit Alain Ducasse dans sa préface, grâce à des « cuisiniers qui aimaient bien manger, qui aimaient bien vivre et qui aimaient partager » Un credo auquel il ajoute une note indispensable : « ils avaient du talent pour le bonheur. »

Ces chefs appartiennent à cette fameuse bande que deux journalistes- critiques gastronomiques, Gault et Millau, ont déclaré être les hérauts du concept de « Nouvelle Cuisine ».  Leur chef s’appelle Bocuse, montre un certain scepticisme vis à vis du nouveau credo de la « Nouvelle Cuisine » : « La règle, c’est la rigueur. Il faut arriver le premier et repartir le dernier. Il n’y a pas de secret. Le succès de Troisgros, c’est ça. Le succès d’Haeberlin, c’est ça. De Lasserre, c’est ça. La Nouvelle Cuisine n’a jamais été une histoire de plats. C’est une histoire de jeunes gars d’après guerre qui ont obtenu trois étoiles au Michelin. » Et il enfonce le clou : «L’histoire de la cuisine est retracée en peinture devant mon restaurant, Carême, Escoffier, Point. Alors parler d’allègement de la cuisine, mon Dieu… [...] Tu seras inventif », est-il catéchisé. Mais tu inventes quoi ? Il est tellement plus décisif et difficile de faire un excellent plat chaque jour. » Et Louis Outhier de renchérir : "Qu’est ce que cela pouvait bien dire, au juste, la Nouvelle Cuisine. Henri Gault l’avait décrétée un beau jour urbi et orbi. Cela tient à peu de chose, mais l’idée était dans l’air".  

La Nouvelle Cuisine serait une invention de journalistes ? Pas tout à fait dit Pierre Troisgros, elle s’inscrit aussi dans une évolution du journalisme inspirée par Gault et Millau, « deux compères inventent en fait un nouveau journalisme, truffé de dégustations comparatives, qui ringardise le journalisme gastronomique à l’ancienne. […] tout change, et la cuisine à l’unisson ne veut plus délayer mais aller à l’essentiel. « Copeaux », « éclats », beaucoup de mots sont introduits dans le vocabulaire gastronomique ces années-là. Nous croisons les domaines en parlant  d’ « escalope de saumon, alors que le terme était lié à la viande […] C’est cela aussi la Nouvelle Cuisine une façon de jouer avec les signifiés et les sonorités. »
     La nouvelle cuisine profite également des dernières inventions technologiques : les fours électriques, les poêles au revêtement antiadhésif, les cuissons vapeur et sous-vide, le papier absorbant. Tout cela permet une cuisine plus légère. « La farine fut abandonnée, les cuissons remaniées » explique simplement Mme Vergé. Car les corps libérés depuis mai 68, la mini-jupe et la nudité sur les plages obligent à exhiber des corps minces, fermes et lisses. Ces avancées technologiques permettent surtout des cuissons qui respectent le goût des produits.
         Car la nouvelle cuisine c’est le retour du produit dans les assiettes Les produits, la base de la cuisine que tous ces chefs vont mettre en valeur, des produits cultivés ou élevés par des petits producteurs locaux avec lesquels ils créent des liens remarquables, et ça c’est nouveau aussi, la mise en valeur des producteurs et des produits. C’est Alain Chapel qui était le plus près de ses fournisseurs « Chapel avait un grand respect pour les gens de la terre, avec qui il nourrissait des rapports plus simples et plus profonds qu’avec quiconque » dit de lui Philippe Jousse. « Il recevait la vingtaine de ses producteurs préférés, leur servait la rouelle de porc avec une bonne purée de pomme de terre » Et c’était la même chose avec les vignerons « Au fond, il essayait de rendre ce que les producteurs lui donnaient » conclut Philippe Jousse, son second et successeur à Mionnay. L’amour et le respect du produit unissaient ces chefs dans l’Association de la Grande Cuisine Française, créée en 1970 à l’initiative de Paul Bocuse qui enfonce le clou : « La cuisine, c’est un produit. La cuisine, c’est se mettre à table avec les copains et bon appétit, bonne soif ! C’est le partage. » Partage de bons moment et de conseils « Ils s’aidaient beaucoup » dit Mme Lenôtre

  « La génération de mon père ? » dit Anne-Sophie Pic, « Des mousquetaires. Sur les photos, on voit invariablement Pierre Troisgros, Paul Bocuse et mon père, toujours ensemble. Alain Chapel est là aussi, Roger Vergé et, plus rarement, Paul Haeberlin, dont l’importance dans la créativité de l’époque est capitale. » Et Pierre Troisgros de renchérir : « C’était une chouette époque, on était tous copains. A aucun moment, l’idée de concurrence ne nous effleurait […] Nous étions dans une émulation saine et joyeuse. » Une bande de copains qui montaient des canulars dont ils étaient friands et partaient ensemble aux Etats-Unis ou au Japon faire découvrir la gastronomie française, à Orlando au Disney World, à Osaka, Kobé ou Tokyo. D’où ils rapportaient des savoir-faire et des goûts nouveaux, ainsi en Chine et au Japon où ils découvrirent  « l’extraordinaire esthétique de la cuisine japonaise »  et où ils ont puisé « cette attention scrupuleuse au cru et au cuit » dixit Pierre Troisgros.

      N’oubliez pas de lire attentivement la très intéressante introduction que signe le talentueux Alain Ducasse qui a appris le métier dans quelques cuisines de cette bande d’inspirés qui malgré leurs différences, ont créé « une atmosphère, dans laquelle l’enthousiasme, l’appétit, la potacherie, la camaraderie étaient le sel et le poivre de l’existence » comme l’écrit Nicolas Chatenier. Nous laisserons le mot de la fin à Alain Senderens « Comme nous sommes partis de zéro, nous avons fait la nouvelle Cuisine sans le savoir […] Ce qu'on a inventé a fonctionné et avec le recul, il est frappant de voir comme nous avons été dans le bon timing. Nous n’avons pas à tirer gloire de cela. » A une époque de surmédiatisation de chefs au ego surdimensionné, qu'il est bon d'entendre cela!


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le 10.02.13 à 12:23 dans Livres
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Mon livre

L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

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