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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Les saveurs originelles de la cuisine chinoise

 

Dans l’article “Cuisiner ou faire à bouffer”, j’avais évoqué les saveurs de la cuisine chinoise. Il existe un livre” Printemps et Automne de Lü Buwei”, qui réunit toutes les Ecoles de pensée, et, dans un chapitre, traite des principes de base de la cuisine.

Voici donc dans les Huit Considérations, ch XIV, les saveurs originelles.

“… Lorsque Tang reçut Yi Yin (pour en faire son 1er ministre), il le présenta dans le Temple ancestral, il l’éclaira de la flamme sacrée et l’oignit du sang d’une victime. Le lendemain, il le reçut devant la Cour, où Yi Yin expliqua à Tang les qualités des saveurs parfaites. “Peut-on effectivement réaliser cela? demanda Tang.

- Le pays de votre Seigneurie est petit et ne continent pas tous les éléments nécessaires, mais cela deviendra possible dès que votre Seigneurie sera Fils du Ciel.

Il y a trois classes d’animaux: les habitants des eaux, qui ont une odeur fétide, les carnivores qui ont une odeur de viande crue, et les herbivores qui sentent le bouc. Qu’une mauvaise odeur devienne un bon goût, tout cela est l’affaire de la préparation.

A l’origine de la saveur, on trouve tout d’abord l’eau. Quand aux cinq saveurs (amer, acide, doux, âcre et salé), aux trois matériaux (l’eau, le bois et le feu), aux neuf bouillons et aux neuf modifications, c’est le feu qui est leur régulateur. D’une façon parfois rapide et parfois lente, on efface l’odeur fétide, on vient à bout de l’odeur de viande crue, on se débarasse de l’odeur de bouc. C’est sans laisser perdre le sens profond des choses qu’il faut les vaincre. Lorsqu’on mélange et qu’on harmonise, il faut savoir quand et comment utiliser le doux, l’amer, l’âcre et le salé. Leur équilibre est extrêmement délicat, et [il convient d’être attentif à ce qu’on met] avant, après, et en quelle quantité. Les transformations qui s’opèrent dans le chaudron sont subtiles, ténues, raffinées, impalpables. La bouche ne saurait mieux les décrire que l’esprit les expliquer, comme les subtilités de la conduite des chars (discipline rituelle, hautement prisée et spiritualisée), comme les transformations du yin et du yang, comme la succession des quatre saisons. Alors cela dure sans que rien ne se gâte, cela cuit sans brûler, et le doux n’y est pas écœurant, l’acide n’y est pas aigre, le salé n’y est pas envahissant, l’âcre n’emporte pas la bouche, le fade (qualité de la base) n’y est pas inexistant, le riche n’y est pas graisseux.

Les meilleurs plats de viande sont la lèvre de chimpanzé, le gigot de sanglier, la queue des grosses hirondelles, le dessous des pattes de l’animal appelé shutang, le mufle de taureau sauvage et la trompe d’éléphant. A l’ouest du Liusha et au sud du Danshan, il y a des œufs de phénix, que mangent les habitants du pays de Wo.

Les meilleurs plats de poissons proviennent d’une variété particulière du lac Dongting, d’une espèce provenant de la mer de l’Est, d’un animal aquatique de la rivière Li appelé tortue écarlate, qui a six pattes et comme des rangs de perles de jade, d’un habitant des eaux de la rivière Guan appelé yao, qui ressemble à une carpe ailée et qui durant la nuit vole de la mer de l’Ouest à la Mer de l’Est.

Les meilleurs légumes sont les grandes lentilles d’eau des Monts Kunlun; les fruits de l’arbre de longévité; les feuilles de l’arbre rouge et de l’arbre sombre qui se trouvent à l’est de Zhigu, au pays de Zhongrong; le légume qui pousse au sud de Yumao sur les pentes du Mont Nanji, qu’on appelle xishu et qui a la couleur bleu-vert de certaines néphrites; la plante parfumée yun de Yanghua; le cresson de Yunmeng; le chou fleuri du lac Juqu, et le plante de Jinyuan qu’on appelle “éclat-de -la-terre”(tuying). Les meilleurs condiments sont le gingembre de Yangpu, la cannelle de Zhaoyao, le champignon yün de Yueluo, la saumure d’esturgeon, le sel de Daxia, la rosée de Zijie, qui a la couleur du jade, et les œufs de Changze.

Les meilleures céréales sont les graines du Mont Xuan, le riz du Mont Buzhou, le millet du Mont Yang et le millet noir des bords de la Mer du Sud. Les eaux les meilleures proviennent de la rosée de Sanwei, des sources des Monts Kunlun, des collines qui bordent la rivière Ju et qu’on appelle “eaux frémissantes”, des eaux du Mont Yue, et des sources de Gaoquan qui alimentent en eau courante la province de Ji. Les meilleurs fruits sont ceux du poirier, au nord du Mont Chang, sur les escarpements des gorges de Tou, les cent fruits que mangeaient les Empereurs; les azeroles de Qingdao, à l’est du Mont Ji; les oranges des bords du Yangzi Jiang; les pamplemousses du Yunmeng et les “oreilles de pierre” qu’on trouve sur les bords de la Han.

Pour se procurer toutes ces merveilles, il faut un quadrige attelé de chevaux qu”on appele ” dragons bleu-vert” et qui vont comme le vent. Il n’est pas possible de rassembler tout cela avant d’être Fils du Ciel. Mais ce n’est point par la force que le Fils du Ciel y parviendra, et il lui faut d’abord connaître la Voie. C’est en soi-même que réside la Voie et il faut commencer par réussir à être soi-même pour réussir à être fils du Ciel. Lorsque le Fils du Ciel est accompli en tant que tel, il connait ces saveurs parfaites. Car c’est en observant le proche qu’on connait le lointain, et c’est en s’accomplissant soi-même qu’on permet aux autres de s’accomplir. Là est l’axe de la Voie du sage. Pourquoi aller chercher des complications?”

Bel exemple de philosophie appliquée à l’art culinaire qui a influencé le Taoïsme. Cela démontre l’importance de la connaissance des correspondances qui créera un système de codification de la cuisine tout à fait exemplaire et qui a permis à la cuisine chinoise de n’être pas seulement l’action de préparer les aliments mais aussi de garder le corps et l’esprit dans les meilleures dispositions. C’est aussi pour cela que la cuisine chinoise peut être d’un raffinement extrême et qu’elle a une place importante dans la vie quotidienne des hommes en tant que règle de vie.

       

 

 

 

 

 

 


Mots-clés : Technorati

le 20.02.07 à 16:48 dans Nourriture et littérature
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