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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Les poissons ont la côte

Au risque de faire un très mauvais jeu de mots, il est vrai qu’à partir des deux siècles qui précédèrent la révolution les poissons étaient friands de poissons et en devinrent de grands consommateurs. Faire maigre le vendredi n’était pas une punition.
Ecoutons à ce propos, un gastronome du XIXème siècle parlant du Carême :

« Le joyeux carnaval a déjà fui d’une aile rapide ; les funérailles du mardi gras sont achevées, et le mercredi des cendres, triste précurseur du Carême dont il fait partie, a déjà étendu ses voiles funèbres sur l’horizon des gourmands.  Son apparition est le signal auquel tout le poil et toute la plume s’envolent […]
Mais rassurez-vous, Gourmands mes confrères ; l’Eglise ne demande point la mort du pêcheur ; elle ne veut  que son amendement […] Si elle nous défend le déjeuner, elle nous permet la collation, et cette collation se composant de tous les mets froids, qui ne sont ni oiseaux, ni quadrupèdes, on peut y faire intervenir en toute sûreté de conscience les pâtés de thon, d’esturgeon, de rouget et d’anguille, les sardines confites, les anchois de Fréjus, les huîtres marinées de Granville. »

 
Les pratiques restent pourtant assez semblables qu’aux siècles précédents. Les poissons frais sont toujours mangés par les habitants des bords de mers et de lacs ou de rivières.  Ailleurs, pour des raisons de conservation, les poissons salés, séchés et fumés sont beaucoup plus consommés. Le poisson salé le plus populaire est la morue pêchée dans l’Atlantique nord mais qui fut très vire adoptée par les populations des  bords de méditerranée à tel point que la brandade et ses variantes sont des plats du patrimoine provençal et languedocien. Mais nous reviendrons sur le cas spécifique de la morue
 
Des préférences qui évoluèrent
La morue salée et le hareng en caques restent des plats populaires pour les plus riches, il en est autrement. On remarque de nombreuses recettes de poissons frais dans les livres de cuisine à l’usage des cuisiniers, comme les profiteroles de poissons de Pierre de Lune dans « Le Cuisinier », publié en 1656.
Une chose très significative est l’abandon progressif de la consommation des grands mammifères marins : baleine, phoque, marsouin et dauphin disparaissent des livres de cuisine à partir du XVIIIème siècle. A cette époque si les anglais boudaient le poisson, les français l’appréciaient et la considéraient comme plus fin et plus délicat que la viande, même si la consommation moyenne de poisson au milieu du XVIIIème siècle n’est que de 2, 5 kg/pers/an, un chiffre qui restera constant jusqu’au milieu du siècle suivant. Ensuite elle augmentera : 6 kg/an/pers en 1913, puis 10 kg avant la 1ère guerre mondiale.
La cuisine du poisson s’affine et s’améliore, les poissons étaient très souvent cuits au court-bouillon et accompagnés de beurre et de crème et souvent noyés de sauce, en particulier au XIXème siècle.
Voyons ce qu’en dit notre gastronome qui à l’(occasion nous offre un panorama des recettes de poissons les plus prisées:

«  Les habitants de l’élément humide sont de leur nature la plupart inodores et fades, et pour paraitre avec éclat sur une table splendide, pour être reçus avec complaisance dans le palais d’un gourmand, et traverser avec gloire son œsophage, ils ont besoin de subir une foule de préparations savantes dont le vulgaire ne se doute seulement pas […]
Si m’on en excepte les fritures, qui même exigent, pour être bonnes et croquantes, un degré de savoir et d’habitude qui n’est pas très commun, toutes les autres préparations auxquelles le poisson est appelé réclament une longue expérience, et un »e connaissance approfondie des plus hautes secrets de la cuisine ; et, pour nous borner à un seul exemple, un court-bouillon bien fait est l’écueil du talent d’un artiste ordinaire ; les Robert, les Véry, les Morillon, les Baleine même ne sont pas trop bons pour en faire un sans faute.
Et si du court-bouillon nous passons aux béchamels, aux filets roulés, aux quenelles aériennes, au godiveau maigre, aux paupiettes de merlans, aux rissolles, aux terrines et aux timbales de soles, aux macreuses à la braise, aux turbotins farcis, à l’esturgeon à la Sainte-Menehould, aux filets de barbue glacés au vert-pré, à l’esturgeon grillé en gribelettes, aux hatelettes d’anguille, à la blanquette de lottes, aux brochetons aux fines herbes, aux lamproies à la provençale, ç l’anguille en boudin blanc, aux darnes de bécart grillés, etc.etc. […] et telle anguille, tels brochets, piqués de truffes er d’anchois, à la broche valent bien un gigot… »


Des progrès techniques et une hausse de la consommation de poisson.
Si les français consommèrent davantage de poissons à partir de la 2ème moitié du XIXème siècle, ce fut grâce aux  progrès techniques. Jusqu’alors les techniques de pêche n’avaient guère évoluées et pour simplifier on peut dire qu’on pêchait au XVIIIème siècle comme 2 siècles auparavant. Les flottilles de pêche étaient importantes, mais les petites embarcations pour une pêche côtière dominaient. Certes les marins basques, bretons et normands bravaient les eaux glacées et les tempêtes d’hiver pour aller pêcher dans l’atlantique nord mais leur pêche étaient salée et ramener à terre pour être séchée. L’arrivée du chalut et surtout du moteur va considérablement modifier les choses. Des navires plus rapides, puis dotés de chambres glacières pouvaient pratiquer une pêche hauturière et ramener des poissons encore frais pour être vendus à la criée.
C’est à cette époque que les conserveries de poissons se développèrent, grâce à Mr Appert  et à l’invention de la boite de conserve en métal, les poissons qui étaient mis en saumure, fumés, séchés etc.  sont mis en conserve et surtout prêts à l’emploi. Les sardines, maquereaux, anchois, chinchards et thons sont alors les fleurons des conserveries qui se développèrent tout  le long de la côte atlantique.
Mais c’est surtout le chemin de fer et la réfrigération puis la congélation qui permirent à la consommation des poissons de décoller. Les villes sont ravitaillées rapidement en poissons frais et les étals des poissonniers offraient un une grande variété de poissons aux clients.

« Lorsque le carême est arrivé, l’on a repris peu à peu l’habitude des jeûnes et de l’abstinence, et l’on a renouvelé connaissance avec les marchandes de salines, de marée et de poissons d’eau douce […]
Ces marchandes sont en grand nombre à la Halle : les unes, comme mesdames Penrey et Jacob, ne vendent que de la morue salée et dessalée ; les autres, comme madame George, n’étalent que du poisson de mer, ; celles-ci, comme madame Dieu, n’ont de commerce qu’avec les montres, et leurs boutiques sont toujours entourées d’esturgeons, de saumons, de turbots d’une grosseur démesurée, et dignes, lorsqu’ils sont frais (ce qui, à la vérité n’arrive pas toujours), de parer la table des immortels. Toutes ces dames sont plus ou moins traitables selon que le thermomètre est plus ou moins élevé.
Quant aux marchandes de poisson d’eau douce, dont la plus considérable est madame Desnoeuds, qui en revend à toutes les autres, leurs manières sont beaucoup plus soumises aux influences de l’atmosphère et à l’état de sa température. Leur marchandise vivante se joue dans des baquets d’eau claire des besoins de l’acheteur. Les brochets le mordent vigoureusement ; l’anguille glisse de la main de celui qui ne veut pas y mettre le prix ; la carpe, en se débattant, fait mille sauts pour s’en moquer ; et l’écrevisse, tout en reculant, le pince jusqu’au sang. Il en résulte que le poisson d’eau douce est toujours inabordable à Paris, et que la marée ne l’est guère moins. Il est vrai que cette dernière n’est pas toujours intraitable, et qu’elle se laisse autant plus facilement aborder, qu’elle est moins digne de l’être : c’est une coquette sur le retour, qui se montre avenante lorsqu’elle sait que son règne commence à passer ; qui devient d’autant plus facile, qu’elle voit diminuer le nombre de ses adorateurs, et qui s’offre à tout le monde lorsque chacun s’en éloigne. »

Moralité : la fraicheur du poisson n’était pas toujours au rendez-vous et leur prix augmentait quand la demande était grande. Cette tendance n’est donc pas d’aujourd’hui !!!

Plus tard,  les bateaux de pêches, équipés de chaluts, peuvent directement transformer et congeler les poisons pêchés sans avoir besoin de revenir au port. Ces bateaux-usines fournissent directement les marques de produits surgelés et les bacs des grandes surfaces. Les filets frais et morceaux panés ont certainement contribué à la hausse de la consommation de poisson en raison de leur facilité de préparation et de leur distribution en grande surface où la majorité des gens font (hélas) maintenant leur course.
On remarque qu’entre la conserve et le poisson pané surgelé les préférences des consommateurs ne vont pas vers le qualitatif (même s’il existe d’exquises conserves de sardines en boite) mais vers ce qui n’a pas besoin de cuisine et de préparation. Nous sommes bien loin du repas gastronomique qui fait, parait-il, la gloire de la France !  

Tous les textes sont extraits de « Le Gastronome Français ou l’Art de bien vivre », recueil de textes émanant des plus illustres auteurs du Journal des Gourmands, publié à Paris en 1828.

le 03.02.12 à 17:51 dans Histoire des aliments
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