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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Le Testament d’un agronome

La lecture dans la revue Slow de divers articles se référant à l’ouvrage d’un agronome anglais Sir Albert Howard (1873-1947): An Agricultural Testament paru en 1940 montrent à quel point certaines personnes peuvent être des visionnaires et que leur œuvre reste longtemps des ouvrages de référence. Dans ce livre A. Howard décrit le rapport entre la santé de la terre et celle des plantes et des animaux, ainsi que les méthodes grâce auxquelles la fertilité du sol a pu être conservée au fil des siècles dans certaines régions de l’Inde.

Albert Howard était un ingénieur agronome qui vécut en Inde à partir de 1905 où il travailla comme chercheur et botaniste d’abord pour finir comme directeur de l’Institute of Plant Industry d’Indore. Je vous livre les dernières lignes de la conclusion de cet ouvrage:

“Le capital des nations qui est réel, permanent et indépendant de toute autre chose, à part un marché pour les produits de l’agriculture, est la terre. Pout utiliser mais aussi pour sauvegarder cette importante richesse, il est essentiel d’en conserver la fertilité. Quand on prend en considération la fertilité des sols, il faut tenir compte de beaucoup d’autres facteurs outre l’agriculture proprement dite: finance, industrie, santé publique, efficacité de la population, futur de la civilisation. Dans ce livre, nous avons tenté de considérer la terre dans son sens le plus large tout en prêtant l’attention nécessaire à l’aspect technique de la question.

La révolution industrielle, en créant une nouvelle faim - celle de la machine - et une augmentation énorme de la population urbaine, a sérieusement entamé les réserves de fertilité du monde. Un transfert rapide du capital de la terre est en train de se produire. Cette expansion de la production et de la population n’aurait pas fait de grosses différences si  les déchets de la ferme et de la ville avaient été dûment restitués à la terre. Mais tel n’a pas été le cas. Au lieu de cela, on a ignoré le principe premier de l’agriculture : la croissance a été accélérée mais rien rien n’a été fait pour accélérer la décomposition.  L’agriculture a perdu son équilibre.  L’écart entre les deux moitiés de la roue de la vie n’a pas été comblé ou a été surmonté par un succédané  sous forme d’engrais artificiels.  Les sols du monde entier ont été épuisés et laissés à l’abandon ou sont lentement empoisonnés. Notre capital est dilapidé dans le monde entier. Le rétablissement et la sauvegarde de la fertilité des sols sont devenus des problèmes universels.

Le signe extérieur et visible de la destruction des sols est la vitesse avec laquelle la menace de l’érosion augmente. Le transfert de capital, en termes de fertilité de sols, sur le compte de pertes et profits de l’agriculture est suivi par la banqueroute de la terre.  La seule façon d’arrêter ce processus de destruction est de rétablir la fertilité de tous les champs du bassin hydrographique des fleuves affectés par ce mal de la civilisation….

Le lent empoisonnement de la vie des sols, provoqué  par les engrais artificiels est l’une des plus graves calamités qui aient frappé l’agriculture et l’humanité. La responsabilité de ce désastre doit être prise équitablement par les disciples de Liebig et le système économique dans lequel ils vivent. Les expérimentations du champ de Broadbalk ont montré que l’on pouvait obtenir des meilleures récoltes par une utilisation avisée des produits chimiques. Immédiatement, l’industrie s’est mise à les produire et à en organiser la vente.

Le flot des denrées économiques, produites partout et n’importe comment, qui a envahi le marché anglais a obligé les agriculteurs de ce pays à jeter aux quatre vents les vieux principes éprouvés de la culture mixte et à se sauver de la banqueroute en réduisant les coûts de production. Mais ce salut temporaire a été payé de retour par une perte de fertilité. Notre mère la terre a exprimé sa désapprobation par une augmentation régulière des maladies des cultures, des animaux et des êtres humains. On a eu recours aux pulvérisateurs pour protéger les plantes; aux vaccins et aux sérums pour les animaux; en dernière ressource le bétail a été abattu et brûlé. Cette politique est en train d’échouer sous nos yeux. La population, nourrie avec des aliments improprement produits, doit être secourue par un système onéreux de spécialités pharmaceutiques, médecins conventionnés, dispensaires, hôpitaux et maisons de repos.

La situation ne peut être sauvée que par l’ensemble de la communauté. La première étape est de la convaincre du danger et lui indiquer le chemin pour sortir de cette impasse. Il faut faire connaître le plus possible le lien existant entre un sol fertile et des cultures saines, des animaux sains et, en dernier mais non par ordre d’importance, la santé des êtres humains. Il faut convaincre le plus grand nombre possible de communautés résidentes, disposant de suffisamment de terre pour produire les légumes, les fruits, le lait et les laitages, les céréales et la viande qu’ils consomment, de s’alimenter par elles-mêmes et de montrer les résultats que donne la production d’aliments frais sur des sols fertiles.  Un aspect important de l’éducation, tant chez soi qu’à l’école, doit être la prise de conscience de la supériorité du goût, de la qualité et de la capacité de conservation d’aliments (tels que les fruits et légumes) cultivés avec de l’humus par rapport à ceux cultivés avec des produits artificiels. Les femmes d’Angleterre - les mères des futures générations - exerceront ainsi leur influence sur la réforme de l’alimentation. Les denrées alimentaires seront cataloguées, commercialisées et vendues au détail en fonction de la façon dont la terre a été fertilisée. Les communautés urbaines (qui ont prospéré par le passé au dépens de la terre) devront s’unir à l’Angleterre rurale (qui a été victime de l’exploitation) pour rendre possible la restitution des ses droits de fertilisation  à la campagne. Tous ceux qui ont à voir avec la terre - propriétaires, agriculteurs, ouvriers agricoles - doivent être aidés financièrement à rétablir la fertilité perdue. Il faut intervenir pour sauvegarder la terre des opérations financières. C’est essentiel parce que nous sommes notre plus grande richesse et qu’une campagne prospère et satisfaite est notre plus grand soutien dans la sauvegarde de l’avenir du pays. L’impossibilité de trouver un compromis entre les intérêts des personnes et de la finance ne peut mener qu’à la perte de chacune d’entre elles. Il faut éviter les erreurs de la Rome antique. ”

A l’Institute of Plant Industry à Indore, A. Howard élabora une méthode de culture: contrôle et augmentation de la fertilité des sols par  l’emploi d’humus utilisant les savoirs et pratiques traditionnels, c’est une méthode qui prône une approche de l’homme face à l’activité agricole et à la terre, basée sur l’observation de la nature et l’imitation de ces procédés: 
- coexistence de nombreuses espèces végétales et animales dans les divers écosystèmes, 
- logique économique rigoureuse, 
- échange constant entre les divers éléments naturels - sols, sous-sol, flore, faune -, 
- capacité d’élaborer des autodéfenses vis à vis des maladies et mauvaises conditions climatiques. 

C’est à dire ne pas faire plier la nature mais la travailler sans l’outrager. A. Howard a une attitude humaniste qui garde toujours en mémoire que la terre doit fournir de la nourriture pour que les hommes puissent vivre et prospérer de génération en génération.

 On peut livre la version anglaise et les autres œuvres d’Albert Howard sur le site :  http://journeytoforever.org/farm_library/howard.html

 


Mots-clés : Technorati

le 22.02.06 à 19:26 dans Agriculture
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