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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Le succès du café

"Quand vous buvez une tasse de café, les idées se mettent en marche comme une armée" Balzac
C’est sans doute pour cette raison que la majorité d’entre nous ne peuvent commencer la journée sans avoir ingéré une tasse de café bien serré. Mais cette mode est tout compte fait assez récente en Occident et le café n’est devenu populaire qu’après bien des réticences.

 
 
à gauche, le mahométan buvant le café, au centre l'asiatique, son thé et à droite, l'indien son chocolat
 
La noire liqueur des mahométans

Au XIVe siècle, les soufis utilisèrent les vertus excitantes du café lors de leurs rites nocturnes. Très vite, l’absorption de ce breuvage s’étendît hors des cercles très fermés des soufis pour conquérir les villes sacrées de l’Islam. Le café provenait originellement de la région de Kaffa en Ethiopie, puis dans la, première moitié du XIVe siècle, le Yémen commença à produire du café. Très vite, il va conquérir la péninsule arabique et le Moyen-Orient,  et très vite également des maisons publiques de café ouvrirent leurs portes à La Mecque en 1430, à Bagdad, Damas, Alexandrie puis Constantinople en 1554. L’Europe succomba ensuite à ce délicieux breuvage. Venise d’abord en 1570, puis Marseille en 1664, Vienne en 1683.

Comme nombre de boissons, le café fut l’objet de controverses et de phantasmes. Son goût et son arôme séduisants, ses propriétés en sont-elles les causes ? En 1430 à La Mecque, les maisons de café étaient plus fréquentées que les mosquées. Cette fréquentation fut la cause de la relégation du café dans cette ville, sa consommation y fut interdite en 1510 sur ordre du gouverneur de la ville pour un an seulement. Pour faire bonne mesure, les maisons de café étaient considérées comme des lieux de débauche et en 1523 elles fermèrent leurs portes. A Constantinople, Soliman, lui-même, pourtant grand amateur de café, fit interdire un temps le café. Alors qu’en Occident, le pape Clément VIII l’appréciait tellement que la noire liqueur des mahométans fut considérée comme une excellente boisson pour les chrétienset fut fort prisée en Europe.

 

Boucher, Le Déjeuner qui montre le service du café
 
En France, noir ou au lait et sucré

Le café fit son apparition à Paris sous le règne de Louis XIV. Un ambassadeur de l’Empire Ottoman vint présenter au Roi Soleil les hommages de son sultan. Il arrivait avec tout son apparat et faisait servir aux dames de la cour une boisson « infernale » dans des petites tasses en porcelaine par de superbes serviteurs à la tête enturbannée. Cette boisson à l’aspect boueux et plutôt amère eut davantage de succès lorsque cet ambassadeur décida de la sucrer. Le café turc avait conquis Paris. Enfin conquis, pas vraiment car très vite le café eut ses supporters et ses contradicteurs. Si Mazarin et Colbert, dont on dit qu’il était mort d’une consommation excessive de café, raffolaient de ce breuvage, l’opinion générale marquait davantage de doute face à cette boisson nouvelle. Doute exprimé par la marquise de Sévigné dans une lettre à sa fille : 
« 
Ah ! Ma fille, que puis-je dire là-dessus ? Et que sais-je ce que je dis ? On blâme quelquefois ce qui serait bon, on choisit ce qui est mauvais, on marche en aveugle. J’ai sur le cœur que le café ne vous a point fait de bien le temps que vous en avez pris ; est ce qu’il faut avoir l’intention de la prendre comme un remède. Caderousse s’en loue toujours. Le café engraisse l’un, amaigrit l’autre ; voilà toutes les extravagances du monde. Je ne crois pas que l’on puisse parler le plus positivement d’une chose où il y a tant d’expériences contraires. »

En effet, très vite lé faculté s’est ému des effets de ce breuvage, considérant qu’il échauffait le corps et l’esprit:
« Je vous ai mandé que le café est tout à fait en mal à notre cour, mais par la même raison, il pourrait revenir en grâce. »
Eelle avoue un peu plus loin : « je me garde le café pour cet hiver. »
On considérait que la chaleur de l’été ajoutée à celle du café risquait de brûler l’organisme. Il est vrai qu’un certain Claude Colomb, médecin de son état avait soutenu le 21 février1679 pour son agrégation au collège des médecins de Marseille, la thèse suivante : Le café était-il nuisible aux habitants de Marseille ? Réponse : oui pour les marseillais bilieux et mélancoliques car « il brûle les gens étant fort sec et chaud » Donc, pas de café pour les gens du sud, mais pas non plus pour les gens du nord. Que faire ? Garder raison et consommer avec modération. Fontenelle, grand amateur de café mourut centenaire, n’est ce pas la preuve que cette boisson n’est pas aussi terrible qu’on le dit. Laissant les ecclésiastiques gloser sur le fait que l’absorption de café rompt ou non le jeûne, des esprits plus éclairés ou des amoureux du café pensèrent qu’adouci de lait et de sucre le café serait plus agréable à boire. C’est du moins l’avis du docteur Dubois, médecin de Mme de Lafayette. Ainsi, le lait cafeté ou le café laité devint « la plus jolie chose du monde » selon la plus célèbre épistolière de France.

A la fin du XVIIe siècle, le café est rentré en grâce, considéré comme une sorte de panacée et le rituel du café est devenu un plaisir raffiné que l’on se partage entre gens de bonne compagnie.


Moulin à café, musée du Louvre

Comment il faut préparer le café.

« Un litre de café en fèves, épluchez-le, mettez-le dans une poêle à fricasser qui soit bien récurée ou dans une poêle à confitures, terrine ou plat d‘argent. Vous le ferez ensuite bien fricasser sur le feu, et le remuez souvent afin qu’il grille également partout jusqu’à ce qu’il soit noir ou couleur de fer, et prenez bien grade qu’il ne soit brûlé ni réduit en charbon. Cela fait, vous le pilerez dans un mortier, et le passerez au travers d’un tamis. Si vous avez un moulin, vous l’y ferez moudre. Etant moulu et voulant vous en servir, vous ferez bouillir un pinte d’eau dans une cafetière, dans laquelle bouillant vous la retirez du feu, mettre deux cuillerées de café, un demi quarteron pour une pinte et une once par chopine lequel vous mêlerez bien avec de l’eau ; puis remettez la cafetière auprès du feu, le ferez bouillir et lorsqu’il voudra monter l’en empêcher en le retirant un peu du feu et faites en sorte qu’il bouille doucement dix à douze bouillons ; ayant ainsi bouilli, vous y mettrez un verre d’eau pour faire tomber le marc au fond ; cela fait, vous le laisserez reposer, le tirerez au clair et le servirez avec des pourcelaines et du sucre en poudre, pour en y mettre suivant qu’on l’aime. Le café est une graine qui vient de Perse et autres pays du Levant. Ses qualités sont de rafraîchir le sang, de dissiper et abaisser les vapeurs et fumées du vin, d’aider à la digestion, de réveiller les esprits et d’empêcher de trop dormir ceux qui ont beaucoup d’affaires. »


« La France, ton café fout le camp »

Cette célèbre apostrophe que l’on prête à Mme du Barry s’adressant à Louis XV un jour qu’il faisait lui-même son café, à moins qu’elle se soit adressé à un valet du roi nommé La France montre qu’au XVIIIe siècle le café avait conquis les palais. La belle maitresse du roi possédait un serviteur noir, Zamor, chargé du service du café. Sur un plateau appelé cabaret, il posait sa tasse de café et un petit pot de miel de Narbonne avec lequel le roi et Mme du Barry sucraient leurs cafés. Le café faisait fureur à Paris et il était du dernier chic d’en boire.

L’exemple était donné par le roi, grand amateur de café qui l’aimait fraîchement moulu et torréfié. On le consommait beaucoup moins fort que maintenant. En raison de son prix élevé, on versait la poudre de café dans une chaussette sur laquelle on versait de l’eau très chaude à plusieurs reprises d’où l’expression « un jus de chaussette ».

En effet, il fallut attendre que les plants de caféiers produisent du café dans les colonies où ils avaient été plantés pour que le prix du café soit vendu à un prix raisonnable. Auparavant, le pouvoir gardait un monopole sur le commerce du café par le système de l’affermage qui lui permettait de lever des taxes qui augmentait le prix du café provenant du Levant. Par exemple, lorsque François Damame achète le privilège de la vente du café à paris, il coûte 80 sous la livre, ce qui est un prix exorbitant. Lorsque la Compagnie des Indes reprend la vente en 1723, il lui est impossible de vendre le café à un prix qui puisse concurrencer les boissons nationales, telle la chicorée, du fait de l’affermage.

Plus tard, Brillat-Savarin écrit dans la Physiologie du Goût :
« Les turcs qui sont maîtres en cette partie, n’emploient point le moulin pour triturer le café ; ils le pilent dans un mortier et avec des pilons de bois… »
Et en maitre gastronome, il teste les différentes manières de faire le café : 
«  Il m’appartient à plusieurs titres, de vérifier si, en résultat, il y avait quelque différence, et laquelle des deux méthodes est préférable. En conséquence, j’ai torréfié avec soin un livre de bon moka ; je l’ai séparé en deux portions égales, dont l’une a été moulue, et l’autre pilée à la manière des turcs. J’ai fait du café avec l’une et l’autre des poudres ; j’en ai pris de chaque pareil poids, et j’y ai versé pareil poids d’eau bouillante, agissant en tout avec une égalité parfaite. J’ai goûté ce café et l’ai fait déguster par les plus gros bonnets. L’opinion unanime a été que celui qui résultait de la poudre pilée était évidement supérieur à celui provenant de la poudre moulue. »

 
Boilly, 3 manières de boire le café, à la cuiller ou dans la soucoupe pour le refroidir, ou sucré
 
Le café viennois et la cantate du café

1683, les Turcs encerclaient Vienne. Un soldat polonais, Franz George Kolschityzky, réussit à percer les lignes ennemies. Les turcs furent défaits et s’enfuirent en laissant derrière eux des sacs de café. Ce jeune Kolschityzky connaissait l’usage du café, il empêcha que l’on brûlât ce que l’on prenait pour de la nourriture pour les chameaux et se fit attribuer les sacs de grains de café en récompense de son exploit. Il les fit griller et ouvrit une maison de café. La saveur amère et l’aspect boueux du café n’étaient pas au goût des viennois qui boudèrent rapidement son établissement. Kolschityzky eut alors l’idée de filtrer le café, de le sucrer et d’y ajouter de la crème. Le café viennois était né qui fait encore la gloire de la capitale de l’Autriche avec les croissants qu’un boulanger inventa à la même époque.

La folie du café s’étendit à l’Allemagne et contamina un musicien aussi sérieux que Bach. La ville de Leipzig comptait comme d’autres villes allemandes de nombreux cafés, 8 exactement ce qui pour l’époque était important. Le café y était cher et était réservé à la bourgeoisie. L’un de ces cafés, sis Rue Ste Catherine, le café Zimmerman était fréquenté par Jean-Sébastien Bach et ses amis musiciens qui venaient s’y détendre après le travail et y déguster leur boisson favorite. Peut-être ont-ils joué la « Cantate du café » chez leur ami Zimmerman. Cette œuvre montre bien l’attrait irrésistible de cette boisson en Europe et ses vertus inspiratrices pour Bach mais aussi pour Beethoven qui en consommait quotidiennement et tant d’autres esprits éclairés qui trouvaient dans le café un goût délicieux et une vertu excitante propice au travail intellectuel.

 
A suivre

 

 

Mots-clés : Technorati

le 06.09.10 à 09:00 dans Histoire des aliments
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