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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Le riz conquiert l'Occident

Le riz devient une culture européenne

 

La Route de la Soie qui reliait l’Orient et l’Occident fut aussi une route de commerce, d’échanges d’idées et de produits, de cultures de toutes sortes dont la cuisine et la gastronomie font partie. Le riz, transporté dans des sacs et des ballots et s’est peu à peu installé sur le chemin qui allait de la Chine au Moyen Orient, dans les champs et dans la cuisine. Sur les plus basses pentes du Népal, dans la vallée de l’Indus au Pakistan, sur les bords de la mer d’Oman, de la Caspienne, du golfe Persique, dans les deltas du Tigre et de l’Euphrate, il est cultivé dès l’Antiquité. Ces peuples introduisirent donc le riz dans leur cuisine, ne copiant pas la cuisine chinoise, mais l’adaptant à leurs coutumes alimentaires et aux productions déjà existantes : en le mélangeant à de l’agneau ou du mouton, en le faisant frire dans l’huile. De la Perse, ces manières de faire nous sont parvenues par le Maghreb et l’Espagne surtout et la Sicile. En effet, ce sont les arabes de Sicile, point de contact de l’Italie et de l’Espagne avec le monde arabe, qui ont introduit le riz en Europe. Le riz avait une grande place dans les cuisines arabes où il servait à épaissir les soupes, cuit dans le lait ou le bouillon et agrémenté d’épices, ou cuit dans le lait, mélangé à des œufs et frits. Le riz se dit mamon en arabe et de nombreuses recettes, qui ont connu un grand succès dans la cuisine européenne et surtout anglaise jusqu’aux 14et 15ème siècles, gardent le trace de ce nom, tel la mamonia qui est du riz cuit dans du lait d’amandes. Le riz est bien connu au Moyen Age et apprécié des élites sociales car c’était une denrée chère. Des essais d’acclimatation furent faits dans la plaine du Pô, dans le Levant espagnol et même en France, en Camargue, prés de La Rochelle et dans le Bassin d’Arcachon sous l’impulsion d’Henri IV, de Sully et de l’agronome Olivier de Serres, à la fin du 15ème et au début du 16ème siècle. Si ces essais ne furent pas significatifs, les échanges commerciaux nombreux entre les pays bordant la Méditerranée développèrent la connaissance du riz, en particulier grâce aux marins dont les rations quotidiennes contenaient 40 gr de riz.


Cependant, dans la province de Venise, dans les alentours de Grumolo, une variété de riz, le Nostrale, a été cultivée sans interruption depuis le 16 ème siècle. L’histoire commence en l’an 1000 lorsque l’évêque de Vicence offrit aux religieuses bénédictines les territoires de Grumolo, Camisano, Lerino et Sarmego, elles administrèrent ces terres jusqu’à la fin du 19ème siècle. Au 16ème, elles firent drainer et construire des canaux pour irriguer les champs afin de cultiver le riz. Elles avaient fait preuve d’une grande perspicacité car aux siècles suivants le riz, considéré comme une denrée exotique, chic et chère, fut très demandé notamment par les allemands et les autrichiens qui en importaient de grande quantité, ce qui étaient très avantageux pour elles, libres comme tous les ordres religieux des taxes commerciales. Ce fut Napoléon qui en 1806 signa leur arrêt de mort en supprimant certains ordres religieux dont les Bénédictins, leurs biens furent donc divisés en petites propriétés et vendus. Mais leur exemple avait fait des adeptes chez les riches vénitiens qui se tournèrent vers la riziculture et l’agriculture quand les relations commerciales avec les pays de l’est de la Méditerranée furent devenues précaires, mettant en valeur leurs propriétés et construisant les superbes villas que nous pouvons encore admirer de nos jours. Au siècle dernier, la superficie des rizières cultivées diminua progressivement pour atteindre les dimensions actuelles. Au début du 20ème siècle, on remplaça le Nostrale par une variété locale: le Vialone Nano et puis le Canaroli, riz recommandés pour le risotto et très demandés sur les marchés. Au 19ème  siècle puis au 20ème, on remarque un essor très rapide de la consommation de riz, en Italie, la ration quotidienne d’un soldat comprenait 150 gr de riz ou de pâtes en 1880. En Espagne, en particulier dans le delta de l’Ebre, la riziculture garde encore un caractère traditionnel, elle produit un riz qui participe à la renommée du plat traditionnel espagnol : la paella. En France (Camargue) et en Italie (Plaine du Pô) la riziculture est très évoluée et même industrialisée. Le riz camarguais a conquis un label de qualité, mais a diminué sa production qui était de 90 000 tonnes en 1960 et qui stagne maintenant à 25 000 tonnes par an. La riziculture a permis d’assainir les marécages du delta du Rhône. Au 19ème siècle, sous l’impulsion d’un certain Camillo Benso di Cavour et des moines cisterciens de l’abbaye Badia di Santa Maria di Lucedio qui apportèrent de nombreuses améliorations techniques, mais surtout d’un missionnaire, le frère Calleri qui, en 1839, ramena, des Philippines 43 variétés de riz chinois, le riz se développa en Italie. Puis, en 1925, on introduisit la variété Balilla, en 1931 le Roma, et en 1945 le Canaroli. De ces petits grains sont nés les 180 variétés de riz italiens dont 9 couvrent 90% des rizières italiennes. Les rizières du Pô, produisant entre autres, le célèbre Arborio, indispensable pour cuisiner le risotto, furent rendues célèbres par les jambes magnifiques de Silvana Magnano dans le non moins célèbre film « Riz Amer ».. Maintenant l’Italie est le premier pays producteur de riz en Europe et 90% du riz est produit à l’intérieur d’un triangle Novarra-Vercelli-Pavie. Jusqu’aux années trente, le riz était cultivé de manière traditionnelle, la politique d’autarcie du gouvernement de Mussolini transforma la riziculture : les machines agricoles et les produits chimiques entrèrent dans les champs et là où il fallait compter 1028 heures de travail pour 1 hectare, il n’en faut plus maintenant que 50. Le riz prit alors une position de leader pour remplacer le blé importé. Un Bureau national du Riz (Ente Nationale Risi) fut alors créé qui sélectionna des variétés de riz : Maratello, Carolina, Vialone, Originario et en fit la promotion en éditant des livrets de recettes de cuisine du riz. Considéré comme une nourriture pour les enfants et les malades, le riz eut des difficultés à devenir populaire. En effet, le gouvernement le rendit obligatoire dans les écoles, les hôpitaux et dans l’armée, et les cuisines de ces endroits étant rarement remarquées des critiques gastronomiques, les souvenirs gustatifs que les italiens conservaient du riz devait être pour beaucoup dans leur peu d’enthousiasme pour ce produit. Il fallut attendre la publication dans les années 50 de recettes régionales de riz comme alla bolognese, alla fiorentina… qui n’avaient de régionales que leur nom puisque aucune n’avait de tradition historique ou culinaire et était greffée sur des préparations déjà existantes de pâtes. Il n’en reste pas moins que le riz, hormis dans les régions de Piémont et de Lombardie, est considéré comme une nourriture peu consistante, peu nourrissante et par conséquent ne fait pas partie de l’alimentation quotidienne des italiens, il est utilisé surtout pour des soupes et des desserts. D’ailleurs 35% des siciliens avouent n’avoir jamais essayé d’en manger, les raisons invoquées sont qu’il n’a pas de goût, qu’il ne remplit pas l’estomac et qu’il est seulement un stimulateur d’appétit, et qu’il est très cher car sa cuisine nécessite des rajouts importants de sauces et d’ingrédients pour qu’il soit bon. Le riz reste toujours derrière la pasta dans le hit parade des plats préférés des italiens. Les salades de riz de l’été et les plats d’hiver servis avec des poissons ou des fruits de mer, ou des légumes restent assez populaires, utilisant des variétés long-grain cuits al dente. Comme dans notre pays, le renouveau du riz est lié à la découverte de la cuisine asiatique d’autant que le riz arborio se prête bien à la préparation cette cuisine.


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le 02.04.05 à 15:40 dans Histoire des aliments
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