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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Le parfum des épices

 Le parfum exhalé par les épices est celui des contrées lointaines souvent inconnues et inaccessibles pour les Occidentaux. Le parfum des épices les enivra à tel point que leur recherche bouleversa la face du monde.

Pourquoi des hommes intrépides entreprirent de vastes expéditions maritimes au XVème siècle ? Pourquoi Magellan, Colomb et d’autres marins et tant d’autres entrainèrent-ils des souverains dans leurs rêves chimériques ?
Parce que ces derniers voulaient découvrir et conquérir les îles des épices, afin de ne plus dépendre dans leurs approvisionnements d’autres pays, d’autres peuples. Et surtout pour mettre la main sur une source de revenus fantastiques qui faisaient la richesse de ceux qui détenaient le monopole de leur commerce. Pour cela les occidentaux étaient prêts à tout et ils ont menti, volé, pillé, tué pour ramener dans les cales de leurs navires ces précieuses épices.

Poivre, cannelle, muscade, girofle, cardamome, gingembre… que de crimes ont été commis en leur nom ! Mais aussi quelle audace et quel courage ont-elles inspirés pour oser défier tempêtes et moult périls.

A l’heure où d’enivrantes fragrances parfument les plats des plus grands chefs comme ceux des simples cuisinières, savons-nous seulement depuis combien de temps les épices ont investi les cuisines du Vieux Continent ?

 

Les épices dans l’antiquité.

C’est l’esprit entreprenant des Grecs d’Asie qui permit la création d’un commerce international entre les grandes monarchies et les cités libres. La plaque tournante de ce commerce fut, durant quarante siècles, la Mésopotamie. Le poivre, la muscade et la girofle provenaient des vallées de l’Indus et du Gange, la cardamome, la cannelle et la myrrhe de Malabar et de Ceylan traversaient les montagnes de l’actuel Afghanistan pour descendre vers les plaines de Mésopotamie. De là, ils atteignaient Tyr, port phénicien, duquel partaient des navires chargés de « marchandises phéniciennes », terme désignant les épices, pour les ports méditerranéens : Alexandrie, Pergame et Antioche.

Deux routes acheminaient ces précieuses denrées : celles de la route de la soie venant de la Chine, la route terrestre qu’emprunta plus tard Marco Polo qui partait de Mésopotamie pour rallier Samarkand d’où elle se scindait en deux, longeant soit le Pamir, soit l’Himalaya, évitant les déserts mortels et se rejoignant sur le rives du Fleuve Jaune. Route éprouvante pour les hommes et les bêtes qui devaient craindre autant les dangers provoqués par l’état des chemins que ceux causés par les bandits avides de délester les marchands de leurs inestimables ballots.



Les routes commerciales antiques

Le route maritime suivait les conseils de « Périple de la mer Erythrée » et profitait des vents porteurs de la mousson. Partant du Golfe Persique ou de la Mer Rouge, elle ralliait les côtes de l’Inde, de Ceylan ou de l’Insulinde. Une fois franchi le détroit de Malacca, les navires faisaient voile vers les ports de Cochinchine et de Chine.

 

Découverte des épices en Occident

Tous les marchands arabes et persans qui fréquentaient les ports de Canton, Sumatra, Java, Ceylan et des Indes s’y approvisionnaient en denrées précieuses pour leur propre marché et pour les revendre dans les pays chrétiens. Les épices étaient utilisées pour les parfums, comme ajouts culinaires et comme substances médicinales. Ce commerce considérable concernait surtout le poivre, la cannelle, le gingembre, le clou de girofle et la noix de muscade. Les Sassanides conquérants étaient les fournisseurs de l’Europe en épices, jusqu’au XVIème siècle, via les ports méditerranéens d’où partaient les épices vers les foires et marchés de l’Europe occidentale et au-delà sur les étagères des épiciers et des apothicaires.




Mélange de poivres


Cependant ce furent en Espagne et en Sicile, longtemps terres maures, que les épices et autres denrées venant du Moyen-Orient influencèrent le plus les cuisines locales. La canne à sucre et le riz prirent racine dans les mêmes terres occidentales que le safran. Les traditions culinaires persanes avaient profondément marquées la cuisine arabe et apportaient aux espagnols et aux siciliens le goût du sucre, des marinades à base d’épices, l’art de l’assaisonnement qui modifièrent la saveur et l’aspect des aliments, selon des principes bien définis : « la connaissance des épices est la base de l’art culinaire ». Elles permettent de différencier les mets, de leur donner de la saveur, d’élever leur goût. Elles « apportent le bien et permettent d’éviter ce qui est nuisible » selon l’auteur andalou et anonyme d’un livre de cuisine. Les épices telles le clou de girofle, la noix muscade, le macis, la cardamome, le galanga, le poivre, le cumin, les grains de coriandre, le carvi et le gingembre sont les plus répandues, le musc et l’ambre étant réservés en raison de leur prix astronomique à une élite.
Beaucoup de recettes trouvées dans les livres de cuisine des XIIIe et XIVe siècles ont des noms typiquement arabes : la romania, poulet à la grenade, (rummân en arabe), la somacchia, au sumac, la lomonia, au citron, de même pour les desserts et douceurs utilisant du lait d’amande aromatisé aux épices : cannelle, sumac, galanga… Ces épices se sont largement diffusées en Europe où d’objets de grands luxe elles sont devenues plus courantes et accessibles.


 Muscade et macis

 

Les guerres pour les épices

A partir du XIVe siècle jusqu‘à la fin du XIXe siècle, les pays européens reprenant les vieilles routes maritimes de l’Océan Indien par le Cap de Bonne Espérance, se trahirent et s‘entretuèrent pour conquérir le monopole du commerce des épices. Portugais et hollandais, anglais et français usèrent de tous les moyens officiels ou non, pour se ravir mutuellement cette manne précieuse et tellement rémunératrice. Ils ramenèrent dans les ports de Lisbonne, de Lorient, de Londres et d’Amsterdam des tonnes de poivre, de gingembre, de cannelle, de noix de muscade, de girofle, de cardamome et de safran qui rapportèrent aux marchands et aux états des profits énormes et immédiats. De l’autre côté de l’Atlantique arrivait le piment que les navigateurs acclimatèrent en Extrême Asie, ces piments de toutes couleurs et de saveurs diverses enflammèrent les palais occidentaux et orientaux. Que serait la cuisine thaïlandaise et indonésienne sans les piments apportés par les colonisateurs. D’autres navigateurs, tel Pierre Poivre, firent transporter clandestinement graines et boutures de girofliers et muscadiers des îles de la Sonde aux îles de France et de Bourbon, et delà à Madagascar, aux Seychelles et même aux Antilles. Ces voyages des épices sont des exemples d’une très ancienne mondialisation.

Boite d'épices indonésienne XVIIe siècle


Mots-clés : Technorati

le 21.10.18 à 17:06 dans Histoire des aliments
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