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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Le moyen-âge chrétien et le triomphe du poisson.

 

Après la chute de l’empire romain, les invasions barbares, l’Occident pansait ses plaies et  s’organisait. C’était un Occident chrétien qui se mettait en place, des sociétés où l’Eglise tenait un très grand rôle et impose aux hommes et aux femmes un grand nombre de jours maigres : 166 par an. Les poissons devinrent une ressource alimentaire primordiale pour ces populations chrétiennes, poissons de mer dans les régions côtières et poissons d’eau douce partout ailleurs, frais, fumés, salés, en saumure, séchés, les seuls moyens de conservation connus alors.

 

 
Carpe

La cuisine du poisson au Moyen-âge.

Parmi les recommandations que fait l’auteur du « Ménagier de Paris » à sa jeune épouse, il lui propose un dîner de poisson pour le carême :

  • Premier mets : pommes cuites, grosse figues de Provence rôties avec feuilles de laurier sur le dessus, le cresson et le soret (harengs saurs) au vinaigre, purée de pois, anguilles salées, harengs blancs, gravé (sorte de potage) sur friture de mer et d’eau douce.
  • Second mets : carpes, luz, soles, rougets, saumons, anguilles renversées « à la boue » (sauce au pain brûlé) et arboulaste (plat aux fines herbes)
  • Troisième mets : pimperneaux (anguilles) rôtis, merlans frits, marsouin poudré à l’eau et fromenté, crêpes et pâté norrois (de foie de morue).

Plus loin, il écrit les recettes de soringue d’anguilles, espimbêche de rougets et de chaudumée (ragoût) de brochet et quelques conseils concernant la manière de préparer les sardines : « vidées, cuites en eau et mangées à la moutarde » et le hareng qui était consommé tout au long de l’année : « Hareng nouveau commence en avril et dure jusqu’à la Saint Rémi, début de la saison des harengs frais ; on les cuit dans l’eau, dont on se sert ensuite pour faire la bonne grosse soupe que l’on mange avec du vieux verjus, mais avant, et aussitôt que le hareng est cuit et ôté de la bassine, on doit le mettre en belle eau fraîche, et il faut le nettoyer et ôter les écailles, la tête et la queue. »

Des conseils avisés pour une jeune femme qui doit tenir une maisonnée comprenant, outre le couple, des serviteurs et qui doit recevoir.

Hareng au milieu

Menus de jours maigres

Ce sont mœurs et recettes de bourgeois. Pour les princes et les hauts personnages, les jours maigres étaient tout autant observés et les cuisiniers des châteaux inventèrent maintes recettes pour satisfaire l’appétit des convives. Les écrits sont peu nombreux, mais il en est un qui pour enseigne de manière remarquable et détaillée sur la gastronomie médiévale, il s’agit « Du fait de cuisine » de Maitre Chiquart, cuisinier à la cour des ducs de Savoie au XVème siècle. Maitre Chiquart a dicté son traité de gastronomie qui nous renseigne dans les moindres détails de son travail : approvisionnement, gestion du personnel et du matériel, organisation des banquets. Il donne par exemple les menus pour trois jours de banquet au Château de Ripaille. Dans les menus ordinaires, les plats de poissons alternent avec ceux de viande, toutes sortes de poissons de mer et d’eau douce :
mulets,
brochets,
harengs,
carpes,
turbots,
saumons,
raies,
esturgeons,
sardines,
soles,
anguilles,
anchois,
lamproie,
dauphins,
en brouet, arboulaste, frits, en sauce et en tourte.

Pour les menus des dîners de poissons il donne les recettes suivantes :
brouet d’Allemagne au féra,
brouet de Savoie de plie,
lamproie grillée aux épices,
tartes de poisson aux fruits confits,
tourte parmesane au thon,
dauphin frais au vin clairet,
brouet camelin de lotte à la cannelle,
brouet gorgé,
gravé de poisson,
gelée de poisson au safran,
soringue d’anguille aux oignons,
bouilli de tanches lardées
saupiquet de poisson.

Recettes extrêmement intéressante qui nous apprennent beaucoup sur les goûts et les saveurs des plats de poisson. Les poissons étaient relevés avec des épices, beaucoup d’épices mélangées, et des herbes potagères, mêlés à des fruits frais ou confits, cuits dans le vin, servis avec des sauces aux amandes ou au verjus. Nous sommes très loin de nos manières de cuisiner les poissons.

Voici pour illustrer ce propos deux recettes de Maître Chiquart. La première nous semble étrange et bien loin de nos goûts, la seconde pourrait être encore cuisinée de nos jours.

Tartes de poisson aux fruits confits

  • Faites précuire vos poissons (thon, carpe et anguille), puis débarrassez-les de la peau, des arêtes et cartilages. Hachez le tout finement et réservez.
  • Prenez les fruits frais ou confits (figues, dattes, raisins, prunes, pignons) selon votre appétence pour le sucré et hachez le tout très fin. Ajoutez le vin blanc et laissez infuser quelques minutes puis passez le tout sans trop presser afin de garder un peu de vin dans la préparation.
  • Faites cuire votre pâte (brisée) à blanc et réservez.
  • Mélangez vos fruits et les chairs de poisson, puis versez dans une poêle contenant de l’huile d’olive.
  • Ajoutez les épices de votre choix (cumin, gingembre, cannelle, girofle, macis, galanga…). Faites cuire quelques secondes à feu très doux.
  • Remplissez votre moule à tarte de chair de poissons aux fruits confits.
  • Parsemez de pignons, recouvrez de pâte et remettez à cuire jusqu’à coloration.

Soringue d’anguille aux oignons

  • Echaudez, pelez, videz et rincez votre anguille et coupez-la en tronçons égaux.
  • Pelez et coupez vos poignons en rondelles.
  • Cuisez vos pois (blancs) dans l’eau et passez-les au mortier pour en faire de la purée.
  • Faites roussir vos tranches de pain blanc. Mettez-les dans un pot en grès. Ajoutez votre purée de pois, le vin clairet, le vinaigre, les épices.
  • Filtrez le tout et réservez.
  • Faites frire vos rondelles d’oignons dans l’huile d’olive.
  • Ajoutez votre anguille sur vos oignons et ajoutez la sauce au vin clairet.
  • Laissez réduire, rectifiez l’assaisonnement et servez dans un beau plat.

Cette recette est plus sophistiquée que la soringue de l’auteur du Ménagier : "dépouillez à la vapeur ou écorchez, puis tronçonnez vos anguilles ; ayez alors des oignons cuits, en tranches rondes, et du persil effeuillé ; mettez le tout à frire dans l’huile ; puis broyez du gingembre, de la cannelle, du girofle, de la graine (de paradis) et du safran, délayez de verjus, et ôtez cela du mortier. Puis, prenez du pain grillé et broyé et délayé de bouillon, et passez-le à l’étamine, puis mettez dedans du bouillon, et faites tout bouillir ensemble, et relevez-le de vin, de verjus et de vinaigre, et que ce soit clairet."


saumon
Les jours de jeûne si nombreux n'étaient pas pour les populations aisées toujours des jours de pénitence et les recettes qui furent mises au pont sont les premières d'une belle tradition de la cuisne des poissons dans notre pays.

Les reproductions de poissons viennent du fond de la BnF 


le 06.01.12 à 09:00 dans Histoire des aliments
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