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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Le Champagne et les femmes

 

En Champagne, les femmes furent des pionnières

Leur arrivée à la tête d’importants domaines est due aux aléas capricieux et parfois cruels de l’existence, le décès subi de leurs époux. Propulsées alors à la tête de vignobles ou d’importantes maisons de Champagne, elles surent relever les défis avec maestria, prenant audacieusement des décisions qui se révélèrent bienheureuses. Femmes d’exception, cultivées et instruites, elles ont repris les rênes, soutenues par de fidèles collaborateurs Ainsi elles ont su montrer de quoi des femmes pouvaient être capables.

Deux jeunes et entreprenantes veuves ont fait briller le mot Champagne à travers l’Europe. Jeunes et veuves, deux facteurs qui vont jouer dans leur sens. Veuves et donc émancipées, davantage maîtresses de leur destin puisque leur mari ne sont plus là. Dans l’urgence, au courant des affaires de leurs maris, elles foncèrent et réussirent. Si Dom Pérignon a inventé, dit-on, le champagne effervescent, le vin préféré des femmes, il devint aussi celui de tous les amateurs de bons vins, une boisson prestigieuse qui symbolisait la fête grâce à deux femmes qui ont eu assez de flair pour élaborer un grand vin satisfaisant les demandes des consommateurs européens, car très vite le succès du champagne dépassa les frontières. Mmes Clicquot et Pommery l’améliorèrent pour en faire un vin remarquable, célèbre dans le monde entier.

Et Barbe Nicole Clicquot créa Veuve Clicquot

Le siècle avait cinq ans lorsque Barbe Nicole Clicquot devint veuve, à la suite du décès accidentel de son mari écrasé par la chute d’un monte-charge. Elle a vingt sept ans et prend les rênes de maison de négoce familiale, la maison Clicquot&Fils. De fils point, le mariage fut si court qu’ils n’avaient eu le temps de concevoir qu’une petite fille, Clémentine. Son mari, de son vivant, l’avait initié aux affaires. De 1805 à 1810, elle dirige la maison Cliquot & Fils, sans cesser de parfaire l’apprentissage de son métier avec le collaborateur le plus proche de son mari. En 1810, elle est prête. La maison Clicquot&Fils devint Veuve Clicquot-Ponsardin. Motivée par une nécessité juridique, ce changement de nom signale à tous qui dirige la maison ! Une entreprise qui n’est plus seulement une maison de négoce mais qui devient aussi productrice de Champagne.



Les photos montrent un visage résolu. Le visage d’une femme de tête comme on dit, volontaire, mis aussi très dynamique et audacieuse qui a eu l’intelligence de s’appuyer sur des hommes sûrs et de travailler en collaboration avec eux. Elle va peu à peu acquérir les meilleures parcelles, améliorer la qualité des vins, construire des caves et satisfaire si bien ses clients que sa maison va devenir une des plus belles de Champagne.

Pour en arriver là, Mme veuve Clicquot a du prendre des risques. Les champagne Clicquot étaient exportés en majorité vers la Russie. Alors que l’Europe était sens dessus-dessous et les navires français immobilisés par le Blocus continental, elle prit la décision d’envoyer, malgré tout, ses vins et son meilleur vendeur en Russie car à la cour du tsar on raffole du Klikoskoïe, le nom russe du champagne. C’était un pari audacieux mais les bateaux parvinrent à bon port. Les clients russes, ravis, en redemandèrent et les commandes affluèrent. Tant et si bien que la production avait du mal à suivre. A cette époque, la finition du champagne posait un problème : un dépôt troublait le vin. Il fallait lui laisser le temps de se déposer dans le goulot pour pouvoir le dégorger. Mais le temps, Mme Clicquot en manquait. A force de tourner le problème dans tous les sens, elle eut l’idée, lumineuse, d’inventer et de faire construire la table de remuage, un pupitre pentu, percé de trous à la taille des goulots. La tête en bas et remuées régulièrement, le dépôt descendant plus rapidement dans le goulot, les bouteilles étaient dégorgées plus vite et les vins, clairs et limpides, plus rapidement prêts à être vendus. Les commandes étaient honorées et les clients satisfaits. Forte de ce premier succès, elle continua ses innovations. En 1810, elle crée le premier champagne millésimé et dix huit ans plus tard le premier rosé d’assemblage.


Fine mouche, elle utilisa avant l’heure, des techniques de marketing moderne, faisant inscrire sur les étiquettes des bouteilles une comète, l’année où une comète traversa le ciel champenois, augure d’une bonne récolte et de bons vins et cette comète devint l’emblème de la maison. Femme d’affaires avant tout, voyant que sa fille pas plus que son gendre n’avaient les dispositions nécessaires pour diriger l’entreprise, elle choisit Edouard Werte, son collaborateur le plus proche comme successeur lorsqu’elle décida de se retirer des affaires en 1841. Elle vécut alors dans son château de Boursault où elle mourut en 1866. Et d’où elle est, elle doit se réjouir de la présence une femme, Cécile Bonnefond, à la tête de sa chère maison et de contempler chaque année les lauréates du prix veuve Clicquot qui récompense des femmes qui entreprennent.

 

Madame Pommery

Avant de partir pour l’autre monde, Madame Clicquot put observer le début de l’ascension d’une autre veuve champenoise Madame Pommery qui allait aussi faire parler d’elle. En 1839, Louise Alexandrine Melin a vingt ans et elle épouse Alexandre Pommery qui travaillait, comme associé, dans une maison de négoce de champagne. En 1856, il en prend la direction et le renomme Maison Pommery. Hélas, un an plus tard, il décède subitement. A trente huit ans, Louise décide de reprendre la direction de cette maison qu’elle connait bien car son mari la tenait au courant de ses affaires. Un peu à l’étroit dans le négoce et pleine d’ambition, elle aussi, elle décide d’en faire une maison d’exception. Pendant vingt ans de 1868 à 1888, elle construit pas à pas son œuvre. Elle fait édifier dans Reims, un château élisabéthain, un style très en vogue à l’époque et surtout entreprend de faire creuser douze kilomètres de caves dans les crayères où le vin peut reposer à une température constante de 10°C.

Il était nécessaire en effet d’avoir un lieu adapté aux créations de Louise Pommery. Le champagne de cette époque était très dosé en sucre, pouvant aller jusqu’à 200 grammes par bouteille. C’était un vin de dessert. Ses clients britanniques buvaient de préférence des « dry » comme les Xérès. Pour les conquérir, à contre courant des modes, elle crée en 1874 Pommery Brut Nature, le premier Champagne Brut Cette création est d’une grande audace car le sucre ajouté dans le champagne permet de masquer quelques faiblesses du vin. Réduire le sucre signifie donc améliorer le vin. Et c’est le travail qu’elle entreprend avec beaucoup de succès car elle finira par imposer ce goût du Brut Nature. Il serait impensable maintenant de déguster les champagnes sucrés du XIXème siècle. A la fin du XXème siècle, la maison Pommery lui rend hommage en créant deux cuvées, la Cuvée Louise et la Cuvée Louise Rosé.

C’est aussi à la fin de ce siècle, qu’une femme donne son nom à une maison de Champagne qui deviendra prestigieuse. Mathilde Perrier dirige avec son mari Eugène Laurent le vignoble A. Pierlot et Cie. A la mort de son mari en 1887, Mathilde assure seule, la gestion du domaine, et crée la marque Veuve Laurent-Perrier. Elle mène avec talent le domaine qui, à la veille de la première guerre mondiale, produit 50 000 caisses, faisant connaitre son champagne outre Manche. Sa fille Eugénie lui succède mais le domaine en en perte de vitesse et Marie-Louise de Nonancourt lui rachète en 1939 et le dirigera jusqu’en 1949.

Une autre jeune veuve dirige les champagne Duval, Carole Duval qui elle aussi, améliora très nettement la qualité de son vin en créant la cuvée Fleur de Champagne.

Ces exemples très remarquables ont-ils donné un élan aux femmes? Elles ont certainement servi de modèle dans cette région viticole où les femmes ont été plus vite qu’ailleurs reconnues. Le destin de ces femmes d’exception leur a montré que faire du champagne, était très valorisant et beaucoup leur ont emboité le pas Marie-Laurence Mora chez Marne et Champagne, Béatrice Cointreau qui a fait progresser les champagnes Gosset, Virginie Taittinger qui, après s’être occupé du marketing de la maison familiale, a crée Virginie T, site internet de vente de champagne. C’est aussi dans les syndicats et les associations qu’elles jouent un rôle à l’image de ce qui se fait dans les autres régions.

 
 
 
 

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le 29.05.12 à 09:00 dans Vins
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