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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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La truffe de Brillat-Savarin

Il est impossible d'évoquer la truffe sans citer l'homme qui a le premier écrit sur la gastronomie et le goût : Brillat-Savarin. Je vous propose un extrait de la Physiologie du Goût, la Méditation VII, sur les truffes.

 

 

VII. Des truffes. 43

Qui dit truffe prononce un grand mot qui réveille des souvenirs érotiques et gourmands chez le sexe portant jupe, et des souvenirs gourmands et érotiques chez le sexe portant barbe.

Cette duplication honorable vient de ce que cet éminent tubercule passe non seulement pour délicieux au goût, mais encore parce qu'on croit qu'il élève une puissance dont l'exercice est accompagné des plus doux plaisirs.

L'origine de la truffe est inconnue ; on la trouve, mais on ne sait ni comment elle naît, ni comment elle végète. Les hommes les plus habiles s'en sont occupés : on a cru en reconnaitre les graines, on a promis qu'on en sèmerait à volonté. Efforts inutiles ! promesses mensongères ! jamais la plantation n'a été suivie de la récolte, et ce n'est peut-être pas un grand malheur ; car, comme le prix des truffes tient un peu au caprice, peut-être les estimerait-on moins si on les avait en quantité et à bon marché...

De la vertu érotique des truffes. 44

Les romains ont connu la truffe mais il ne paraît pas que l'espèce française soit parvenue jusqu'à eux. Celles dont ils faisaient leurs délices venaient de Grèce, d'Afrique, et principalement de Lybie ; la substance en était blanche ou rougeâtre, et les truffes de Lybie étaient les plus recherchées, comme à la fois plus délicates et plus parfumées.

Des romains jusqu'à nous il y a eu un long interrègne, et la résurrection des truffes est assez récente ; car j'ai lu plusieurs anciens dispensaires où il n'en est pas fait mention ; on peut même dire que la génération qui s'écoule au moment où j'écris en a été presque témoin.

Vers 1780, les truffes étaient rares à Paris ; on n'en trouvait, et seulement en petite quantité, qu'à l'hôtel de Provence, et une dinde truffée était objet de luxe, qu'on ne voyait qu'à la table des plus grands seigneurs, ou chez les filles entretenues.

Nous devons leur multiplication aux marchands de comestibles, dont le nombre s'est fort accru, et qui, voyant que cette marchandise prenait faveur, en ont fait demander dans tout le royaume, et qui, les payant bien et les faisant arriver par les courriers de la malle et par la diligence, en ont rendu la recherche générale ; car, puisqu'on ne peut pas les planter, ce n'est qu'en les recherchant avec soin qu'on peut en augmenter la consommation.

On peut dire qu'au moment où j'écris (1825) la gloire de la truffe est à son apogée. On n'ose pas dire qu'on s'est trouvé à un repas où il n'y aurait pas eu une pièce truffée. Quelque bonne en soi que puisse être une entrée, elle présente mal si elle n'est pas enrichie de truffes. Qui n'a pas senti sa bouche se mouiller en entendant parler de truffes à la provençale ?

Le sauté aux truffes est un plat dont la maîtresse de maison se réserve de faire les honneurs ; bref, la truffe est le diamant de la cuisine.

J'ai recherché les raisons de cette préférence ; car il m'a semblé que plusieurs autres substances avaient un droit égal à cet honneur, et je l'ai trouvé dans la persuasion assez générale où l'on est que la truffe dispose aux plaisirs génésiques ; et, qui plus est, je me suis assuré que la plus grande partie de nos perfections, de nos prédilections et de nos admirations proviennent de la même cause ; tant est puissant et général le servage où nous tient ce sens tyrannique et capricieux !

Cette découverte m'a conduit à désirer de savoir si l'effet est réel et l'opinion fondée en réalité.

Une pareille recherche est sans doute scabreuse et pourraît prêter à rire aux malins ; mais honni soit qui mal y pense ! toute vérité est bonne à découvrir. Je me suis d'abord adressé aux dames, parce qu'elles ont le coup d'oeil juste et le tact fin ; mais je me suis bientôt aperçu que j'aurais dû commencé cette disquisition quarante ans plus tôt, et je n'ai reçu que des réponses ironiques ou évasives.....

J'ai donc cherché des renseignements ultérieurs ; j'ai rassemblé mes souvenirs, j'ai consulté les hommes qui, par état, sont investis de plus de confiance individuelle ; je les ai réunis en comité, en tribunal, en sénat, en sanhédrin, en aéropage ; et nous avons rendu la décision suivante pour être commentée par les littérateurs du XXVème siècle.

"la truffe n'est point un aphrodisiaque positif ; mais elle peut, en certaines occasions, rendre les femmes plus tendres et les hommes plus aimables."

On trouve en Piémont les truffes blanches qui sont très estimées ; elles ont un petit goût d'ail qui ne nuit point à leur perfection, parce qu'il ne donne lieu à aucun retour désagréable.

Les meilleures truffes en France viennent du Périgord et de la haute Provence ; c'est vers le mois de janvier qu'elles ont tout leur parfum.

Il en vient aussi du Bugey, qui sont de très haute qualité ; mais cette espèce a le défaut de ne pas se conserver. J'ai fait, pour les offrir aux flâneurs des bords de la Seine, quatre tentatives dont une seule a réussi ; mais pour lors ils jouirent de la bonté de la chose et du mérite de la difficulté vaincue.

Les truffes de Bourgogne et du Dauphiné sont de qualité inférieure ; elles sont dures et manquent d'avoine ; ainsi il y a truffes et truffes, comme il y a fagots et fagots.

On se sert le plus souvent, pour trouver les truffes, de chiens et de cochons qu'on dresse à cet effet ; mais il est des hommes dont le coup d'oeil est si exercé, qu'à l'inspection du terrain, ils peuvent dire, avec quelque certitude, si on y peut trouver des truffes, et quelle en est la grosseur et la qualité.

 

 


Mots-clés : Technorati

le 14.12.08 à 09:00 dans Nourriture et littérature
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