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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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La truffe

Diamant noir pour Brillat-Savarin, or noir pour les caveurs ou les rabassiers, la truffe, non contente d'être délicieuse et rare, aurait aussi des vertus aphrodisiaques. Elle a toujours fasciné les amateurs, allons à la découverte de cette mystèrieuse parfumée.

Photo Jean Rummens, Bruxelles.

 

"Vénus sur ses autels n'eut plus d'autres offrandes ;

Leur parfum est l'encens que son culte demande :

Elle veut sur ses pas trouver cet heureux fruit ;

Elle en sème parout, c'est son mets favori ;

Aussi les trouve t-on toujours au pied des charmes,

Bois qui fut consacré à l'Amour, à ses armes ;

C'est de lui qu'il tirait ses traits les plus hardis

Pour exciter l'ardeur de ses heureux amis.

Présent sacré du ciel, heureux don de la Terre,

Pays chéri du Dieu dont Vénus est la mère ;

Que vos parfums divins fassent naître en mon coeur

Les souvenirs heureux d'un instant de bonheur !

Que reviennent les jours que la vie me dénie !

Je veux les consacrer aux filles du génie !

Je chanterai l'Amour, les truffes et le plaisir,

Et les adorerai jusqu'au dernier soupir."

Parfum de la truffe, Hommage à l'amour par L. D

Archives Départementales de la Dordogne, fonds Taillefer.

Ces quelques vers d'un poète anonyme du XIXème siècle évoquent l'émotion que tout amoureux des truffes éprouve en humant leur parfum et en savourant leur chair exquise. Car depuis l'Antiquité, les truffes ont séduit tous les gourmands et les gourmets. Juvénal, Philoxène, Lucullus, Martial, Plutarque, et même Galien en parlent abondamment et en bien. Il semblerait qu'à cette époque là, les truffes poussaient partout en grand nombre ; peut-être ne s'agit-il pas toujours de notre tuber melanosporum, parfois d'autres tuber : terrae tuber, champignons noirs, blancs jaunes ou roux qui sont plutôt des tubercules qui soulèvent le sol lorsqu'elles sont mûres, au printemps et à l'automne dans les terrains caillouteux. Et qui, extrêmement savoureuses, régalent les gourmets. Ce sont, sans doute, ces "truffes" là que les méditérrannéens, arabes ou chrétiens d'Orient, utilisaient dans leur cuisine et considéraient, à l'instar des romains, comme aphrodisiaques. Vertu que l'on prête à maints champignons : "Nous soupons : ma foi, j'en avais besoin. Cest elle qui me sert des morilles, des truffes au coulis de jambon, des champignons à la marseillaise... de la table nous nous élançons au lit..." Mirabeau, Le Libertin de qualité.

C'est quoi une truffe?
La truffe est beaucoup plus rare et très mystérieuse, ce qui en fait un objet de convoitise, fait les prix s'envoler sous l'effet d'une demande frénétique. Mais, foin de ces matérielles considérations, allons à la découverte de cette petite merveille.

Longtemps les hommes ont pensé qu'elle était un don spontané des dieux ou qu'elle naissait sous l'effet combiné des "pluies d'automne et des coups de tonnerre secs" (Théophraste), car on avait observé que le sol autour de la truffe était comme brûlé. Ce n'est pas la foudre qui brûle le sol mais la truffe elle-même ou plutôt le mycélium qui absorbe à son seul profit tous les éléments nutritifs du sol et quelquefois même de l'arbre avec qui il fait alliance. Peut-être est-ce de là que vient la signification du mot "trufferie" qui veut dire tromperie ?

La truffe naît entre les racines d'un arbre, le plus souvent un chêne mais aussi parfois d'un noisetier. Au départ, le mycélium qui est un simple appareil végétatif gaine les radicelles d'un arbre-hôte en formant des mycorhizes (du grec myco, champignons et rhize, racine). Ce sont des petites touffes de barbules de quelques millimètres, de couleur jaune-brun. Les mycorhizes fournissent à l'arbre des sels minéraux et ce dernier offre en échange aux mycorhizes sucre et matières organiques. Et peu à peu, dans le secret de la terre, croît la truffe qui, à maturité, comme beaucoup de champignons, émet des spores qui sont les organes reproducteurs. Lorsque ces spores germent, elles forment du mycélium qui est une substance qui s'étire en filaments - les hypbes - sous le sol. Ces hypbes peuvent mettre beaucoup de temps avant de rencontrer l'arbre de leur vie : un mois, parfois un an, voire plusieurs années. Qu'il est difficile de choisir son arbre partenaire avec qui elles doivent vivre jusqu'à la fin de leur vie! Quand les hypbes du mycélium rencontrent les radicelles de l'arbre, naissent alors les mycorhizes. Et le cycle recommence.

Les différentes variétés de truffes

  • Les terrae tuber dont nous avons parlé, savoureuses, elles sont plus proches des terfas.
  • les tuber aestiva : noires à l'extérieur et blanches à l'intérieur.
  • La truffe blanche d'Alba et du Piémont dont les italiens sont si fiers qu'ils l'appelent "magnatum": l'énorme, tuber magnatum pico, au parfum légèrement aillé et encore plus rare que la truffe noire.
  • La tuber melanosporum, toute noire, au parfum envoûtant puissant et subtil qui pousse dans le Sud-Ouest de la France d'où le nom de truffe du Périgord et dans le Sud-Est. Ce sont les plus intéressantes.

La récolte

Comment découvrir la truffe ? C'est difficile car elle est très secrète et se dissimule bien. Il existe quand même quelques signes.

  • Le premier signe se remarque 2 ou 3 ans avant la récolte : autour de l'arbre truffier apparaissent ce qu'on appelait au Moyen-Age les ronds de sorcières, espaces où la terre devient plus légère, où les herbes meurent et les pierres blanchissent. Ce phénomène s'appelle le "brûlé", c'est le résultat de l'interaction entre les radicelles de l'arbre et le mycelium.
  • Le deuxième signe qui peut vous alerter également ce sont les manèges d'une mouche qui répond au doux nom d'Hélozyma tuberivora, nom très explicite en lui-même. Cette mouche pond ses oeufs dans le sol, là où se trouvent des truffes. Autrefois, on pensait que la blessure infligée aux racines par la piqure provoquait une sorte d'excroissance qui en grossissant devenait une truffe. Il n'en est rien, si l'Hélozyma pond ses oeufs près des truffes, c'est que ses larves raffolent des truffes qu'elles mangent pour se développer. Pas folles, les mouches ! Par un jour ensoleillé et sans aucun vent, le rabassier balaye le sol brûlé avec une branchette, les mouches dérangées s'envolent puis reviennent vers le lieu d'élection, il ne reste plus qu'à piocher délicatement pour exhumer la truffe. Pour cela, il faut être très observateur et très patient. Donc l'homme à qui les sens font parfois défaut, a su s'adjoindre les services de deux animaux à l'odorat très développé: la truie et le chien. La truie, de moins en moins utilisée, travaillait davantage dans le Périgord, alors que le chien à toujours été le compagnon des rabassiers du sud-est.

La récolte se fait en hiver et comme dit le proverbe:" Si l'eau se fait ruiseau à la saint Barthélémy, il naît des truffes à pleins nids.". Les hommes et leurs compagnons partent alors caver - ou rabasser en provençal. La truie repère la truffe grâce à son flair, elle fouit le sol avec son grouin. Il faut l'arrêter avant qu'elle la mange, la récompenser avec des grains de maïs et extraire délicatemnt la truffe de sa gangue de terre. Le chien, lui, creuse le sol avec ses pattes jusqu'à ce que la truffe apparaisse. L'homme a voulu profiter de cette manne en "cultivant" la truffe. Tous les essais se sont révélés vains jusqu'à ce que l'INRA produise des plants mycorhisés : chêne vert ou pubescent, noisetier. Il faut les planter dans un sol filtrant et calcaire, et retourner la terre en surface pour ne pas endommager les précieuses racines. Surveiller aussi l'exhubérence des feuillages car la truffe a besoin de lumière. Et, au bout de 10 ans environ, vous pourrez espérer récolter, avec l'aide de votre chien truffier que vous aurez dresser entre temps, 8 kg/ha de précieuses truffes.

Une passion française
Comme nous l'avons vu, les anciens savaient les apprécier et les rois du Moyen-Age aimaient en avoir sur leurs tables. Le peuple, lui, se méfiait des champignons en général. C'est à partir de l'époque moderne que naît ou renaît la passion des truffes et des champignons. Des voyageurs louaient la chair des porcs, nourris aux truffes, qu'ils avaient dégustés en Italie, mais les paysans (qui les ramassaient) n'en consommèrent pas avant la fin du XVIIIème siècle.

A cette époque, l'engouement pour les truffes est lié à leur effet sur l'ardeur amoureuse. On peut lire dans l'Encyclopédie sous la plume du Chevalier de Jaucourt : "La vertu d'exciter l'appétit vénérien qu'on leur attribue est très réelle ; elle s'y trouve même en un degré fort énergétique. Ainsi elles ne conviennent certainement point aux tempéraments sanguins, vifs, bouillants, portés à l'amour, ni à ceux qui sont obligés par état à s'abstenir de l'acte vénérien." Or donc, tous les libertins, Casanova et Sade en tête, consommèrent avec les jeunes femmes, objet de leur convoitise, énormément de truffes auxquelles ils ajoutaient les huîtres, parées des mêmes vertus.

Au XIXème siècle, ce fut une vraie folie, le truffe est partout, dans ce siècle bourgeois ce n'est pas sa vertu aphrodisiaque qui attire, mais le fait qu'elle soit symbole d'abondance et de richesse. Les cuisiniers, dans les grands restaurants de Paris (Café Anglais ou Café Riche), de Lyon (place Bellecourt) ou à Bordeaux (allées de Tourny), font disparaître les viandes et volailles sous les truffes et la sauce espagnole très en vogue à l'époque, enrichie de beurre et de crème.

Au siècle suivant, Marcel Rouff et Curnonsky inventorient les richesses culinaires françaises dans un ouvrage en 24 volumes qui paraîtront de 1921 à 1928. Il ressort de cette enquête que les fleurons de la cuisine, les gloires de la gastronomie étaient alors les truffes, le foie gras, les chapons et poulardes.

Maintenant les goût évoluent et l'usage de la conserve a démocratisé cet aliment de roi. Si les premiers essais dans la graisse, l'huile ou le vinaigre ne furent pas concluants, la stérilisation a permis de garder à la truffe une partie de ses qualités aromatiques et gustatives. Mais c'est encore fraîches qu'elles sont les meilleures. 

Les marchés aux truffes 

  • Dans le Périgord, à Saint Alvère, le lundi matin de 10 à 12 heures à la Halle aux truffes,
  • A Sorges, le dimanche le plus proche du 20 janvier,
  • A Périgueux, Thiviers, Sarlat,
  • Dans le Lot à Lalbenque, le mardi à 14 h 30.
  • A Puymirol, dans les jardins de l'Aubergade, fin décembre.
  • Dans le Vaucluse, à Carpentras, le vendredi matin place Maurice Charretier,
  • A Richerenches, le samedi matin.
  • Dans la Drôme, à St Paul Trois Châteaux, Grignan, Taulignan, le dimanche matin.
  • Dans le Var, à Aups, le jeudi matin, place Frédéric Mistral.

Petits conseils malins
Une fois rentré chez vous, mettez durant quelques heures une truffe dans une boîte hermétique avec des oeufs, et faites ensuite une omelette, vous m'en direz des nouvelles. Faites une superbe purée de pommes de terre aux truffes (les pommes de terre s'imprègnent merveilleusement bien du goût des truffes). Râpées sur des pâtes ou dans un risotto comme dans le Piémont, cloutant des crustacés, des poissons ou des viandes. Sous la peau des volailles (Ah ! la poularde demi-deuil), émincées dans des légumes comme des haricots, par exemple. Truffant un pélardon ou un vacherin. Crue à la croque au sel ou dissimulée dans une fine croûte de pâte feuilletée. Mais aussi infusée dans du lait pour faire des crèmes ou des glaces, voire des macarons, dans du vin avec des fruits pochés dedans, avec du chocolat.

 Truffe blanche

 

 Pour comléter deux livres sur les truffes:
Carnets truffiers


Le Vin et la Truffe


Une recette toute simple et excellente

 

 


 


Mots-clés : Technorati

le 12.12.08 à 09:00 dans Histoire des aliments
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Commentaires

Tout est dit !!!

un lien vers ton sujet sur la truffe.
Bonnes fêtes de fin d'année
Thierry

Thierry - 22.12.08 à 07:13 - # - Répondre -

ah la truffe, l'or noir de la cuisine, un met délicat mais oh combien précieux et gouteux.
et j'approuve votre choix de livre le vin et la truffe il est magnifique ce livre un grand bravo

vin - 20.10.10 à 08:48 - # - Répondre -

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