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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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La symbolique du lait

Perrette, sur sa tête, ayant un Pot au lait,
Bien posé sur un coussinet
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grand pas
Ayant mis ce jour-là pour être plus agile
Cotillons simples et souliers plats.
Notre laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée
Tout le prix de son lait en employait l’argent
Achetait un cent d’œufs, faisant triple couvée
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il est, disait elle, facile d’élever des poulets autour de ma  maison
Le renard sera bien habile
S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc a engraissé coûtera eu de son,
Il était quand je l’eu de grosseur raisonnable.
J’en aurai en le revendant de l’argent bel et bon
Et qui m’empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perette, là-dessus saute ainsi transportée
Le lait tombe, adieu veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ses biens quittant d’un œil marri,
Sa fortune ainsi répandue,
Va s’excuser à son mari
En grand danger d’être battue….  

 Cette fable du grand La Fontaine exprime parfaitement l’importance économique du lait dans les petites fermes familiales sous l’Ancien Régime. Servant en premier lieu à l’alimentation des habitants de la ferme, la revente du surplus, sous forme de lait, beurre, caillés et fromages, permettait de se procurer ce qui manquait par le troc ou d’obtenir des espèces sonnantes et trébuchantes qui servaient à acheter ce qu’on ne produisait pas. Ce système perdura dans les fermes de polyculture vivrière jusque dans les années 50  A l’époque des quotas laitiers et des excédents de productions, ces pratiques nous paraissent quasi préhistoriques. Cela montre l’importance qu’avaient le lait et les produits laitiers, considérés en tout premier lieu comme la nourriture des nourrissons. Et je ne peux résister à vous citer les vers que prononce Hippolyte dans Phèdre et qui m’avaient tant fait rire lorsque j’étudiais cette superbe pièce en 1ère

«  C’est peu qu’avec son lait une mère amazone
M’ait fait sucer encor cet orgueil qui t’étonne.
 »

Comme boisson primordiale, on lui prête des vertus nutritives et saines incontournables, mais aussi des vertus de pureté consécutives à sa couleur. Il a une force symbolique très grande et fut longtemps utilisé comme contre poison et pour ôter les taches sur le bois et le marbre. Il ramène à un état de santé originel, c’est pour cela que les belles de l’ancien temps prenaient des bains de lait assimilés à des bains de jouvence. Revenons donc aux origines.
 Dans les mythologies de l’Antiquité, nous avons tous en mémoire l’allaitement de Zeus par la chèvre Amalthée, celui de Remus et Romulus par la Louve, même le premier roman «  Daphnis et Chloé » prête aux deux héros des nourrices animales : Daphnée fut nourrit par une chèvre et Chloé par une brebis. Les religions polythéistes ne manquaient pas de référence au lait, dans l’Orient ancien, le culte de Cybèle, la déesse aux multiples mamelles était l’objet, en  Phrygie de mystères dont l’allaitement rituel était considéré comme une nouvelle naissance initiatique. En Egypte, lors du culte d’Isis, le lait était porté dans des vases en forme de seins et à Sumer on portait un culte à la Vache Céleste. Ce qui nous amène à l’importance du lait dans le bouddhisme : le barattage de la mer de lait, mère primordiale qui engendre toutes les réalités du monde, Krishna le bouvier et le rôle de la vache sacrée et les offrandes quotidiennes de lait, les agnihostra, qui doit être faites deux fais par jour, soir et matin. Les religions monothéistes ne sont pas en reste,  la Bible et le Coran racontent que  dans le Paradis coulent quatre fleuves qui baignent le jardin d’Eden, un des ces fleuves est un fleuve de lait. Dans l’Ancien Testament où on note 51 occurrences sur le lait et Moïse entraine son peuple vers « un pays ruisselant de lait et de miel », le lait montrant la richesse des troupeaux et donc de la terre qui les nourrit. Le livre de l’échelle de Mahomet dit : « Sache Mahomet que le 1er vase que Dieu t’a donné signifie clairement ceci : de même que le lait nourrit et gouverne le corps de l’homme, plus qu’aucune boisson, de même dieu nourrit et gouverne ton peuple plus que tous les autres. ». Pour les tribus de pasteurs comme les Peuls, par exemple,  le lait qui est la nourriture quotidienne est aussi le lait de l’hospitalité, le lait rituel des offrandes sur les lèvres des nouveau-nés et celui que l’on offre aux jeunes épousées. Dans touts l’Afrique noire, le lait possède une charge symbolique très forte. Il signifie la purification, la paix et la lumière. Aussi important que le miel et que les fluides vitaux corporels que sont le sang, le sperme et la salive, le lait représente alors la force vitale, la prospérité et la fécondité.

Théorie complètement opposée à celle qui prévalut en Occident où, au 18ème siècle, on lisait dans « l’Encyclopédie » : «  Le lait fournit à des nations entières, principalement aux habitants des montagnes, la nourriture ordinaire, journalière, fondamentale. Les hommes de ces contrées sont lourds, paresseux, stupides, ou du moins graves, sérieux, pensifs, sombres. Il n’est pas douteux que l’usage habituel du lait ne soit une des causes de cette constitution populaire. La gaieté, l’air leste, la légèreté, les mouvements aisés,  vifs et vigoureux des peuples qui boivent habituellement du vin est le contraste le plus frappant. » L’auteur ne se pose pas la question de savoir si la vie rude, l’isolement, une nourriture carencée ne pouvaient pas expliquer leurs tempérament. Eternel opposition des urbains civilisés et des campagnards isolés, et aussi un héritage d’une pensée diététique qui laisse le lait aussi enfants, aux êtres faibles, aux malades et aux vieillards.
     

le 03.04.06 à 09:51 dans Histoire des aliments
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