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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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La grande pêche, chapitre 2

L’Islande



La morue abondait et abonde encore dans les eaux froides du Groenland. L’Islande qui borde le cercle arctique et qui connait les soleils de minuit a attiré très rapidement les pêcheurs des pays côtiers de l’Europe qui ont envoyé de véritables armadas de morutiers pêcher au large de l’île. Cette « invasion » a provoqué des réactions très épidermiques de la part des islandais et les guerres de la morue ont fait rage, en particulier avec les anglais.
 
L’attrait de l’Islande
La morue était indispensable pour les populations européennes. Souvent la seule source de protéines animales pour les plus pauvres. Morue salée, morue séchée, poisson de pauvre et poisson de jours maigres.
L’Islande plus proche des côtes de l’Europe du sud a vu des flottilles de navires étrangers venir pêcher dans ses eaux. Jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, il s’agissait d’une pêche errante faite par des navires de plus petit tonnage que ceux qui partaient à Terre-Neuve. Le bateau se laissait dériver en pleine mer et les hommes pêchaient à l'aide de lignes à main du bord même du bateau où la morue était ensuite travaillée.
Les très mauvaises conditions climatiques, les tempêtes et les vents ont poussé les armateurs et les marins à construire des navires légers, robustes et marins : la goélette à huniers était le bateau idéal et elles furent construites jusqu’en 1880.



La Belle-Poule, goélette

Dès fin du XVIIIème siècle , une nouvelle pêche est pratiquée. La goélette était à l'ancre et les chaloupes étaient mises à l'eau . Chaque chaloupe pêchait sur un secteur et revenait au bateau livrer la morue et la travailler. Les chaloupes lourdes et encombrantes furent ensuite remplacées par des doris à fond plat, plus légères et qui s'encastraient les unes dans les autres sur le pont des goélettes. En même temps, étaient pratiqué le chalutage à bord de chalutiers à vapeur, puis à diesel.


C’était il y a bien longtemps dès le IXème siècle, les premières pêches à la morue hors des eaux familières. Dunkerque devint le premier port morutier, puis tous les ports de la Manche et des Côtes du Nord armaient des navires qui partaient dès février pêcher la morue. La pêche à la morue faisait vivre les pays normands et bretons. Les paysans pauvres se faisaient marins le temps des campagnes de pêche et si le travail était dur et le retour aléatoire, la paye était suffisamment avantageuse pour tenter de braver les dangers sur les mers arctiques. C’est ce que nous montre ce contrat de pêche à Binic passé en 1770 à Binic, maintenant dans les Côtes d’Armor entre un propriétaire de bateaux, en l’occurrence une femme et les marins qu’elle a recrutés.  (http://amisduturnegouet.free.fr/blog/index.php?2009/01/10/24-islande-terre-neuve-la-pche-a-la-morue-en-1770-binic )


Morue séchée

La vie à bord des goélettes

Et pourtant que les conditions de vie à bord des goélettes étaient dures, à la limite du supportable. Avoir une couchette individuelle était le privilège du seul capitaine. L’équipage pratiquait le système de la couchette chaude. La chambre était située à l’arrière du navire, composée de 3 à 4 couchettes superposées qui étaient occupées alternativement par 3 matelots. Pendant que l’un dormait les deux autres étaient occupés à la pêche. A peine libérée la couchette était occupée par un marin titubant de fatigue qui se laissait tomber tout habillé pour dormir quelques heures.
Les repas étaient tout aussi spartiates. La ration journalière était composée de biscuit, de viande salée, de légumes secs, de ragoût de têtes de morues, de vin ou de cidre ou de bière et d’eau-de-vie. Une eau-de-vie indispensable pour lutter contre le froid et la peur dans des conditions de pêche affreusement dures.
En effet, on pêchait jusqu’à ce que le bateau ait utilisé tout son sel. A ce moment là, des bateaux, appelés des chasseurs, venaient prendre la cargaison de morues salées, les morues vertes, et réapprovisionner le navire en sel. Et le navire reprenait le large pour continuer la pêche et cela de février à la mi-août.
A la dureté du travail de la pêche s’ajoutaient les dangers de la mer, les icebergs que l’on ne voyait parfois  qu’au dernier moment émerger de la brume. Les ouragans fréquents, le froid. Il fallait lever les lignes du côté du vent pour que les lignes ne filent pas sous le bateau et remonter des prises qui pesaient souvent dans les 10-12 kilos.
Pour se protéger des intempéries, les vêtements étaient de pauvres défenses. Des tricots et des caleçons de laine et de flanelle sur lesquels le marin enfilait un pantalon et une vareuse de gros drap. Par-dessus une capote imperméable en toile cirée ou goudronnée et un jupon de grosse toile tombant sous le genou. Pour les extrémités des bas de laine et des bottes et des moufles en laine bouillie dont les paumes étaient doublées de cuir pour qu’elles s‘usent moins vite.



Le marin portait à la ceinture un sac de toile. Il lui était indispensable pour se faire payer. Car les salaires étaient calculés soit d’après la pêche divisée en autant de parts qu’il y avait de marins, soit au nombre de poissons par pêcheurs. Et ce compte était fait avec les langues de morues. Quand le marin pêchait une morue, il lui coupait la langue et la mettait dans son sac. Chaque soir, il apportait les langues au capitaine qui les comptait et inscrivait le nombre dans un  cahier, il suffisait en rentrant au port de faire une addition. Chaque campagne de pêche pouvait rapporter à chaque marin entre 400 à 500 francs à la fin du XIXème siècle - si la pêche avait donné et si le marin rentrait au port -  dont une partie était versée en acompte avant le départ. C’était un assez bon salaire mais gagné à quelles conditions !
Partez en Islande avec les pêcheurs,  ce film qui vous fera appréhender les conditions de pêche de ceux qu’on appelait « les islandais ». Pêche en Islande : http://www.canal-u.tv/producteurs/universite_rennes_2_crea_cim/dossier_programmes/les_bretons_et_leur_histoire/pecher_a_islande_mythes_et_realites_de_la_peche_a_la_morue

Islandais et étrangers une cohabitation difficile
Les marins allèrent pêcher là-haut jusqu’au XIIIème siècle mais ils seront chassés des eaux islandaises après une rude bataille navale. Ils n’y reviendront qu’au XIXème siècle, quand les populations de morues se raréfièrent dans la Mer du Nord. Ce n’était pas du goût des islandais qui virent cela d’un mauvais œil si bien qu’une convention fut signée avec le Danemark - dont dépendait l’Islande -  qui autorisaient les bateaux étrangers à pêcher à 3 miles marins des côtes islandaises.
Durant la 2nde guerre mondiale, le Danemark fut occupé par les Allemands et l’Islande par les Alliés. Seuls les islandais pêchaient ce qui leur procurait d’abondantes ressources et une prospérité économique.
En 1944, l’Islande acquiert son indépendance et considère que la convention signée par le Danemark est caduque. Les eaux territoriales islandaises sont réservées aux islandais, une manière de préserver ses ressources et de protéger les stocks de poissons. En 1958, ils étendirent le domaine des eaux territoriales islandaises à 12 miles marins (22,22 km).
Cette mesure déclencha la première guerre de la morue entre les islandais et les anglais qui décidèrent d’ignorer cette mesure et continuaient à pêcher dans les eaux islandaises en se faisant escorter des navires de guerre anglais. Jusqu’à ce qu’en 1964 les anglais acceptent les conditions des islandais.
Et tout allait bien  quand en 1971, les islandais étendirent leurs eaux territoriales à 50 miles des côtes. Fureur des marins anglais et 2ème guerre de la morue de septembre 1972 à Novembre 1973. Ce fut une guerre sans pitié, les gardes côtes-islandais qui trouvaient des chalutiers anglais dans leurs eaux territoriales coupèrent les chaluts, des navires anglais et allemands éperonnèrent des navires islandais.  Chacun restait sur ces prérogatives lorsque finalement un compromis fut trouvé : les anglais reconnaissaient la limite des 50 miles et obtenaient en échange un droit de pêcher 130 000 tonnes pendant deux ans.
C’est l’Onu qui va remettre involontairement le feu aux poudres en préconisant une extension des eaux territoriales à 200 miles (370 km). La Norvège et l’Islande acceptent immédiatement. Mais ils sont les seuls et c’est la 3ème guerre de la morue avec les mêmes méthodes et les mêmes actes de vandalisme que durant la guerre précédente de novembre 75 à Mars76. Finalement la CEE reconnait la limite des 200 miles et les haches de guerre sont enterrées.



Il n'y a plus de guerre de la morue, seuls les islandais et les norvégiens pêchent dans leurs eaux territoriales et approvisionnent l'Europe en... cabillaud. La morue salée n'est plus appréciée sauf pour la brandade et les bateaux-usines congèlent les cabillauds dès qu'ils sont pêchés. Il s'agit d'une tout autre pêche.
                

le 17.02.12 à 09:00 dans Histoire des aliments
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