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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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La Champagne dans la tourmente

 L’époque des vendanges approchent et en cette année difficile, chaque vigneron est attentif à l’état de sa vigne et à la santé des grappes, espérant que le beau temps de septembre se maintiendra pour permettre une parfaite maturité des raisins. C’est d’une autre vendange qu’il va être question ici, celle de 1914. Des vendanges épiques, difficiles. Non que l’on craignait pour la qualité de la vendange qui s’annonçait remarquable, laissant espérer une année de grands vins. Mais les bruits de bottes allemandes et le grondement des canons d’une part, la levée en masse de jeunes recrues partis pour la guerre laissaient planer les plus grandes inquiétudes.

 

En Champagne durant la Grande Guerre

L’été avait été somptueux, un soleil d’or chauffait les vignes, les raisins étaient superbes. Les vendanges 1914 s’annonçaient exceptionnelles par leur qualité. A la mi-septembre, les raisins attendaient les vendangeurs,  les caves les jus, les pressoirs et les équipements étaient nettoyés et prêts à fonctionner.

Las ! Tous les bras en âge de vendanger avaient été appelés au front, les voitures et les chevaux réquisitionnés comme partout ailleurs et les vignobles étaient devenus des zones dangereuses situés entre deux armées pressées d’en découdre qui n’arrivaient pas à tenir leurs positions et dont les tirs croisés traversaient parfois les vignes. Allait-il être possible de ramasser les raisins entre les tirs ? Car il n’était pas envisageable de laisser une si belle récolte sur pied : les raisins avaient atteint un mûrissement parfaite et les grappes étaient magnifiques

 

Les vendanges de 1914

« Dans la cuvée de 1914 coule le sang de la France » disait Maurice Pol-Roger dont c’était la cuvée préférée et pour cause. Maire de la ville d’Epernay qui fut occupée par les troupes allemandes, il dut supporter les pressions des occupants et faire en sorte que les travaux viticoles continuent malgré tout. Partout où ce fut encore possible, les femmes, les vieux et les enfants  s’organisèrent dès le début septembre pour récolter les raisins, assurer les vinifications et maintenir les caves en activité. Les vendanges s’effectuèrent de jours sous les tirs des armées ce qui coûta la vie à des femmes et des jeunes qui  bravèrent le danger  et durant les nuits également. Vendanger de nuit était certes moins dangereux mais beaucoup plus lent et plus pénible.

La plupart des camions avaient été réquisitionnés et l’essence était rationnée et délivrée au compte-goutte quand on avait  la chance d’en trouver, il fallut donc presser les raisins  sur place et parfois commencer leur fermentation là où ils avaient poussés et mûris. Peu à peu, les jus furent apportés dans les caves et là, à l’abri, les vins furent travaillés à l’abri des bombes et des balles. Et chose extraordinaire, ces vendanges héroïques donnèrent des vins superbes et la cuvée 1914 est une des plus belle cuvée du millésime grâce en particulier à l’action de Maurice Pol-Roger qui racheta tous les raisins de vignerons empêchés de vinifier Heureusement car les batailles qui faisaient rage et le manque de main d’œuvre ne permirent plus de travailler les vignes.  La forte acidité des jus de cette année-là issus de raisins récoltés assez tôt leur permit de vieillir sans subir les attaques du temps. Les champagnes de 1914 conservent une robe d’un jaune très clair, des notes de miel et de torréfaction étonnamment fraîches. Une vivacité et une très belle persistance.

 

Des caves, havres de paix  

Les kilomètres de caves taillées dans le calcaire ont servis de chais, de lieux de vinification et de lieux de vieillissement pour la récolte de 1914. Loin de la fureur et des bruits de la guerre, les bouteilles reposaient, s’affinaient pour offrir un millésime d’exception.

Mais c’est aussi dans les caves entre les rangées de bouteilles que les populations venaient trouver refuge. On y célébrait le culte chaque dimanche, on y faisait l’école tous les jours, on s’y reposait chaque nuit protégé de la mitraille et des boulets de canons. On y dressa des lits pour dormir et d’autres pour installer les blessés. Le calme et le silence des caves d’affinage furent dérangés par des rires d’enfants, des râles de blessés et des conversations de toutes sortes. Des soldats y fermèrent pour la dernière fois les yeux et des enfants y virent le jour. La vie des gens ordinaires avec ses joies et ses peines se poursuivit durant quelques années sous quelques mètres de terre. Les caves reliées entre elles par des tunnels logèrent jusqu’à 500 000 soldats qui montaient se battre pour quelques arpents de terre : la bataille des Monts de Champagne, la bataille de la Marne, le chemin des Dames… Là y combattirent des français venus de toute la France, des anglais, des australiens, des canadiens, des américains. Des maisons de Champagne avaient des origines allemandes et nombre de leurs représentants mâles s‘engagèrent dans l’armée française, y défendirent leur patrie et parfois même furent blessés et faits prisonnier comme Joseph Krug. Il y eut d’autres grandes figures qui luttèrent pendant la guerre à l’arrière à l’instar de Maurice Pol-Roger dont nous avons parlé plus haut. Et pourtant, commercialement, le fait de porter un nom allemand fut très mauvais pour les maisons de champagne pendant le conflit, les français de l’arrière montraient leur patriotisme en  boudant leurs bouteilles.

Il restait le millésime 1914, cette magnifique cuvée symbolique. Les années suivantes furent aussi belles, 1915, et 1917 sont des millésimes d’une exceptionnelle qualité. Une récompense pour les efforts supportés, un bel hommage pour le courage des champenois et champenoises qui travaillèrent leurs vignes et vendangèrent leurs raisins au milieu des tranchées et un pied de nez à la barbarie humaine.


Mots-clés : Technorati, Technorati

le 11.09.12 à 17:42 dans Vins
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