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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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L’œuf

 Bientôt Pâques et la recherche des œufs apportés par les cloches de Rome.
Qui de l’œuf ou de la poule est arrivé le premier ? Je crois que c’est l’œuf (c’est ainsi beaucoup plus mystérieux) et je vais vous le raconter.

Les interprétations mythiques de l'oeuf
Les orphiques croyaient que le monde était né d’un œuf, la nuit courtisée par le vent aurait pondu un œuf d’où naquit Eros. De nombreux mythes, dans toutes les civilisations, reprennent cette idée, en Chine de l’œuf sont issus le yin et le yang, en Inde, la Terre et le Ciel sortent d’un œuf. De nombreux héros des légendes naquirent de l’œuf comme Castor et Pollux sortis de l’œuf pondu par Léda séduite par un cygne qui n’était autre que Zeus. L’œuf est le Tout contenu dans une coquille, c’est la matrice fondamentale que les grecs décrivaient par cette phrase : « Hen ta panda », « un toutes choses ». Les alchimistes pensaient que de l’œuf philosophale la matière se transmuterait en métaux précieux, l’or venant du jaune bien sûr. Contenant l’embryon du poussin qui percera la coquille, l’œuf devient le symbole de la renaissance, du réveil de la nature, de Pâques et du Christ ressuscité. Le germe est associé à l’énergie vitale par conséquent l’œuf est lié à des rites magiques de guérison, de fertilité. Dans la magie populaire, on enterre un œuf dans la tombe du défunt pour favoriser son voyage dans l’au delà, près des maisons, pour les protéger de la foudre et chasser les esprits.

La consommation des oeufs
A l’époque des chasseurs cueilleurs, les œufs de canes, d’oies, de pintades, de pigeons, de cailles, voire d’autruches (un œuf pour une omelette de dix personnes !), en fait de tous les volatiles dont on pouvait piller les nids, étaient ramassés. Gobés, ils nourrissaient quand la viande faisait défaut. Nos lointains ancêtres avaient trouvé le moyen de parer au manque de protéines animales. Et peu leur importait de priver les oiseaux de leur descendance. Plus tard, lorsque l’élevage s’organisa, les bêtes à plumes et plus particulièrement les poules et coqs furent soigneusement gardés et élevés. Les poules étant très fécondes, on pouvait ramasser leurs œufs, il suffisait d’avoir coq bien vigoureux, de laisser quelques œufs à couver et la fortune était faite, c’est, du moins, ce que s’imaginait la malheureuse Perrette. La basse cour fit très vite partie du décor de toute bonne ferme, elle fournissait toute l’année viande et œufs.
L’œuf cuisiné entra dans l’alimentation quotidienne, les égyptiens aimaient les œufs d’oie, les étrusques élevaient poules et coqs en grand nombre car ils consommaient beaucoup d’œufs comme on peut le voir sur des scènes de banquets peintes sur les tombes. 
A Rome, Apicius inventa les entremets - la crème renversée - à base d’œufs, il utilisait aussi les œufs pour épaissir et monter les sauces et dans certaines préparations, mais rarement seuls. Lors de la céna, les œufs étaient dégustés lors de la gustatio avec des olives et du pain pour calmer la faim en attendant des nourritures plus substantielles, une sorte d’apéritif, et à la fin du repas, avec les desserts. 
Quelques siècles après, l’école de Salerne s’appuyant sur les écrits des médecins grecs préconisait de manger les œufs frais mollets, considérés plus nourrissant et plus digestes au contraire des œufs durs. Les pythagoriciens, végétariens, refusaient de manger des œufs qui étaient pour eux de la chair potentielle. 

 

Pourquoi des oeufs à Pâques
L’Eglise reprendra cette idée, lors du concile d’Aix La Chapelle, en interdisant les œufs pendant le Carême. Les œufs étaient soit couvés pour donner des volailles à rôtir lors des repas de moisson et de battage, soit conservés, dans la graisse ou dans la sciure afin d’éviter les échanges gazeux, pour être mangés à Pâques. Pour cette fête, on décore, teint, peint, enchâsse de pierreries et d’or, comme ceux de Fabergé en Russie, les œufs qui sont offerts à ceux à qui l’on veut faire plaisir. Le plus gros était offert au roi entouré d’un ruban rouge, usage que l’on retrouve dans nos œufs en chocolat. En Grèce, dans l’île de Karpathos, on garde encore la tradition de se saluer le jour de Pâques en choquant des œufs durs et l’on cuit d’énormes omelettes comme on le faisait chez nous au Moyen Age avec les œufs pondus le Vendredi saint. 

Pourquoi mange t-on des œufs pour la fête de Pâques? Anatole France dans “Les opinions de Jérôme Coignard” oppose deux conceptions :
M. Nicolas Cerise regarda mon bon maître d’un œil clignotant et lui dit avec un rire mince :
- Monsieur l’abbé Coignard, ces œufs, dont les coquilles teintes de betterave jonchent le plancher sous nos pieds, ne sont point, dans leur essence, aussi chrétiens et catholiques qu’il vous plait de le croire. Les œufs de Pâques sont, au contraire, d’origine païenne et rappellent, au moment de l’équinoxe de printemps, l’éclosion mystérieuse de la vie. C’est un vieux symbole qui s’est conservé dans la religion chrétienne.
- On peut soutenir tout aussi raisonnablement, dit mon bon maître, que c’est un symbole de résurrection du Christ. Pour moi qui n’ai nul goût à charger la religion de subtilités symboliques, je croirais volontiers que la joie de manger des œufs dont on a été privé durant le carême est la seule cause qui les fait paraître en ce jour sur les tables avec honneur et vêtus de la pourpre royale.”
Ce n’est qu’au 18ème siècle qu’apparaissent les œufs en chocolat qui sont apportés aux enfants par les cloches de Rome et soigneusement cachés, occasion d’une joyeuse quête toujours récompensée.

La cuisine des oeufs
Mais, foin d’arguties théologiques auxquelles personne ne comprenait rien, les œufs devinrent très vite des aliments que l’on pouvait manger les jours de pénitence en alternance avec la poisson. Et c’est ainsi que dans les monastères, en premier lieu là où les régimes alimentaires étaient les plus stricts, on inventa mille et une recettes pour accommoder les œufs au point que Rabelais pouvait écrire dans Pantagruel : ” les gastrolâtres sacrifient à leur dieu ventripotent : œufs fritz, perduez, suffocqués, estuvés, traînés par les cendres, jettés par la cheminée, barbouillés, gouildronné…” Il y avait comme maintenant maintes recettes : cuits sous la braise pour les manger durs ou mollets, au plat, en omelette agrémentés de légumes et de viande, puis de pomme de terre qui en faisait un plat très consistant, battus avec du verjus comme liant, plus tard on les cuit à la coque, en cocote et brouillés.
En ville, les boulangers utilisaient beaucoup d’œufs qu’ils incorporaient à la pâte à pain avec d’autres ingrédients pour confectionner croûtes, pâtés et darioles.
On prête à Louis XV qui raffolait d’œufs à la coque et de meringues d’avoir développer l’aviculture à Versailles, les poulettes étaient installées jusque dans les greniers et fournissaient quotidiennement les coquetiers royaux. L’œuf était à la mode et Menon disait de lui : “c’est un aliment excellent et nourrissant que le sain et le malade, le pauvre et le riche partageaient ensemble.


Mots-clés : Technorati

le 18.03.05 à 18:13 dans Histoire des aliments
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