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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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L'Epoisses

 
L’époisses
 
 
 
"
Regarde-moi, voyons, sa rougeâtre patine,
 
 
Vois les pleurs épaissis qui coulent sur ses flancs,
 
 
Sens ce fumet subtil adoré des gourmands
 
 
Et conviens que c’est là dessert de haute mine
 
Charles Patriat, 1900. Poème sur l’Epoisses
(extrait du site du Syndicat de défense de l'Epoisses)
 

 

Une histoire mouvementée

Il y avait dans la commune d'Epoisses, en Bourgogne, au début du XVIème siècle, une communauté religieuse de cisterciens. Ces derniers, comme le firent tant de moines, ont fabriqué un fromage, inventant un procédé de fabrication qui donna le résultat que l’on peut encore déguster sous le nom d’Epoisses. Cette abbaye disparut au XVIIIème siècle, mais auparavant les religieux, avaient  transmis leur secret de fabrication aux fermières alentour, qui n'auront de cesse d'améliorer la qualité et la typicité de leurs fabrications.

 
 
Le succès

Ces fermières ont su séduire, Napoléon Bonaparte, lui-même, qui en raffolait ainsi que son entourage puisque en 1815 : c’est le Congrès de Vienne. La ville et les délégations sont en effervescence et rivalisent de réceptions et de fêtes. Talleyrand, qui représente le France, organise lors d’un diner un concours de dégustation de fromages. Il sélectionne 49 fromages européens et qui arriva en 2ème place derrière le Brie de Meaux ? L’Epoisses

A la même époque, Brillat-Savarin, le prince des gastronomes, consacre l’Epoisses "Roi des fromages", et on ne peut le taxer de chauvinisme, étant originaire du Bugey.  Dès 1820, il s'en fait un commerce considérable. Entre 500 à 1000 fromages d’Epoisses sont alors exportés par semaine en France et dans le monde. C'est pour cela que l’on crée les  boites en pin ou en hêtre, qui permettent de transporter les fromages plus commodément à travers la France.

 Lorsqu’en 1849, le roi d'Espagne don Carlos, commande une enquête à un lieutenant-colonel sur les processus de fabrication des fromages à travers l'Europe l'Epoisses figure parmi les 17 fromages retenus par le militaire pour l'étude. C’est l’acmé de l’Epoisses et cela aurait pu être aussi son chant du cygne car au début du XXème siècle, tout se gâte.
 
 
Le déclin

Si, avant 1914, on dénombre près de 300 fermes productrices d'Epoisses.
Elles sont moins de 25 à la veille de la seconde guerre mondiale et plus que 2 en 1950.

Pourtant en 1924 on pouvait lire dans le New York Times: « N’avez-vous jamais mangé un fromage qui a trempé dans l’alcool deux ans durant ? Si non, vous n’avez pas le droit de vivre selon Louis Forest, brillant journaliste français et fondateur du « Club des cent ». Il y a 750 variétés de fromages en France et L. Forest les a tous goûté. Dans les menus des restaurants et des hôtels, on est confronté à l’impressionnante liste des noms de ces fromages. Aucun d’eux, selon, Louis Forest, ne peut être comparé à l’encore inconnu, le vrai roi des fromages, le fromage d’Epoisses. »

La guerre de 14-18 est la cause première du déclin de ce fromage. Les hommes sont sur le front et les fermières doivent remplacer les hommes sur la ferme. Le temps qu’elles passaient à fabriquer le fromage et les vendre sur les marchés est utilisé pour les autres travaux des champs. Progressivement la fabrication du fromage diminue, seules, celles dont les maris sont revenus peuvent reprendre l’activité et lorsqu’elles disparaissent le savoir-faire disparait avec elles. Les expositions et concours d’Epoisses organisés par les comices agricoles en 1898 disparaissent dans les années 20.

Pour les jeunes agriculteurs qui reprennent les exploitations et veulent une agriculture moderne, la fabrication de l’Epoisses est trop gourmande de temps,  "Le roi des fromages" est à l’agonie. Entre 1954 et 1956, la fabrication de l’Epoisses à la ferme disparait. Plus personne ne produit d'Epoisses.

 
 
La renaissance

Tel le sphinx qui renait de ces cendres, l’Epoisses renaitra grâce à la passion de Simone et Robert Berthaut, un des deux couples de fermiers fabricant encore le fromage à la ferme qui se mettent en tête de faire revivre l'Epoisses et de relancer la production. Ils effectuent un très gros travail de recherches et d’enquêtes, auprès des anciens, qui restent les détenteurs du savoir-faire. Leur travail paye et la ferme devient trop petite pour satisfaire les demandes. La production artisanale commence dans des locaux plus grands et plus modernes pour devenir la société qu’elle est maintenant, entrainant dans leur sillage d’autres aventuriers.

 En 1968 se crée un syndicat de défense du fromage d'Epoisses et l'AOC est obtenue en 1991. Le décret du 16/07/04 fixe les règles de dénomination de l’appellation, l’origine géographique de la production et les règles de fabrication édictées dans un cahier des charges très rigoureux avec 16 points pour la production de lait et 14 pour celle du fromage. La production s’élève pour l’année 2007 à 1 047 tonnes, dont 29 % exportées principalement en Europe, au Canada et aux USA.

 

Fabrication

Dernier fromage d’appellation à caillé lactique et croûte lavée existant en France, l’Epoisses est l’un des rares fromages dont les principes originaux de fabrication n’ont quasiment pas changé et sont toujours appliqués de nos jours.

Dès son arrivée à la fromagerie, le lait entier est monté en température (25 à 30 °C) afin de subir une légère maturation. Après emprésurage, la coagulation lactique du fromage très lente dure de 16 à 24 heures. Le caillé, fragile, est mis à égoutter dans des moules perforés. Le sérum ou petit lait s’en échappe librement. Il s’agit donc d’un égouttage naturel. Après 48 heures minimum et après avoir été retourné deux fois, le fromage est démoulé puis salé au sel sec. Il est ensuite déposé sur des claies dans une salle de séchage fraîche et ventilée.
 

Une fois séchés, les fromages sont amenés dans les caves d’affinage fraîches et humides, pour y mûrir sans hâte. Chaque fromage est alors lavé une à trois fois par semaine, avec une eau progressivement enrichie en marc de Bourgogne.

Au cours de l’affinage, levure et ferments du rouge, participent à l’épanouissement des arômes et des saveurs de l’Epoisses et lui donnent sa couleur unique, rouge orangé. L’Epoisses demande 7 à 9 semaines d’affinage avec des soins attentifs et réguliers.

 
 
Les producteurs

Actuellement 1 producteur fermier et 3 producteurs laitiers fabriquent de l’Epoisses.

Producteur fermier : Gaec des Marronniers, Caroline et Alain Bartkowiez,
21510 Origny-sur -Seine (tél : 03 80 93 85 04)

 

Entreprises laitières : Fromagerie Berthaut, Place du Champ de Foire,
21460 Époisses (tél : 03 80 96 44 44).

Internet : http://www.fromagerie-berthaut.com
 
Fromagerie Germain,
52160 Chalancey (tél : 03 25 84 84 03).
Internet : http://www.rians.com
 
Laiterie de la Côte - Fromagerie Gaugry
Olivier & Sylvain Gaugry,
21220 Brochon (tél : 03 80 34 00 00)
Internet : http://www.gaugryfromager.com
 

La production s’élève pour l’année 2007 à 1 047 tonnes (voir historique de la production depuis 1992), dont 29 % exportées principalement en Europe, au Canada et aux USA.

 
 
Production du lait

Les producteurs de lait mettent en place des pratiques renforçant l’autonomie fourragère et le lien au terroir.

Trois races bovines sont utilisées pour la production laitière :

-         la Brune, principalement dans le Châtillonnais, berceau traditionnel de la race

-         la Simmental française, sur le plateau de Langres et dans les vallées encaissées de l’Auxois nord 

-         la Montbéliarde, dans l’Auxois sud et dans l’arrière- côte dijonnaise.

Ce sont d’anciennes races locales dont le lait présente une haute qualité fromagère.

 

Afin de faciliter leur travail, les éleveurs disposent d’un " Guide du producteur de lait en Epoisses ". On y trouve les textes réglementaires, les documents d'enregistrement nécessaires pour le suivi des pratiques en élevage, et le plan d'audit interne complet

  • La fumure des sols est raisonnée afin de conserver l’équilibre des sols et la diversité de la flore naturelle des prairies ;
  •  La totalité des fourrages grossiers utilisés pour l’alimentation des vaches laitières est issue de l’aire d’appellation ;
  • La période de pâturage est renforcée au printemps (20 ares minimum par vache en production), et représente au moins la moitié des fourrages distribués jusqu’au 15 juin ;
  • En hiver, la part des aliments secs représente au moins 30 % de la ration totale.
  • L’apport de compléments est plafonné à 30 % de la ration totale.
  • Les OGM sont interdits dans l’alimentation du troupeau laitier (vaches et génisses).
 
.
 Photo extraite du site du Syndicat de Défense de l'Epoisses

Caractéristiques   

L’Epoisses est de forme cylindrique et régulière, à faces planes et parallèles, à talon droit ou légèrement bombé. Il se présente sous les deux formats suivants :

- diamètre de 95 à 115 millimètres et hauteur de 30 à 45 millimètres ; poids de 250 à 350 grammes, vendus à la pièce

- diamètre de 165 à 190 millimètres et hauteur de 30 à 45 millimètres ; poids de 700 à 1 100 grammes, vendus pour des portions à la coupe.

 
  • Sa croûte est lisse ou légèrement ridée et brillante, de couleur ivoire orangé à rouge brique, selon son degré de maturité. Cette couleur est due exclusivement à la pigmentation des bactéries de surface, ferments du rouge en particulier, l’utilisation de colorants étant interdite.
  • Sa pâte, pâte souple et onctueuse,  est de couleur beige clair sur le pourtour et blanche au cœur.
  • Le nez est fort, mais agréable, bouqueté, aux arômes de sous-bois.
  • En bouche, la pâte est souple, crémeuse, jamais trop forte. Son goût est franc, subtil, équilibré, avec de légères notes de fruits secs.
 

Sur le plan nutritionnel, comme tous les produits laitiers, l’Epoisses est une source intéressante de calcium. Il apporte par ailleurs de la matière grasse en quantité modérée (24%) ainsi que des protéines (16,5%). Une portion de 35 grammes fournit en moyenne 100 kcals.

Comment le choisir ?

L'Epoisses est commercialisé à partir de la cinquième semaine de fabrication.

L’Epoisses est particulièrement goûteux :

• au sortir du printemps (juillet, août), car il a été fabriqué avec des laits des premières mises à l’herbe des vaches laitières

• à l’entrée de l’hiver (novembre, décembre), car il est alors élaboré avec un lait riche et aromatique, produit par les vaches pâturant les regains d’automne.

 S’il vous semble trop peu affiné à votre goût, vous pouvez le conserver dans sa boîte au bas de votre réfrigérateur, pendant une à deux semaines. Il est conseillé de le sortir à température ambiante au moins une demi-heure avant de le servir.
 Excellent fromage de fin de repas, servi seul ou au milieu d’autres fromages de la région. Un vin blanc le mettra en valeur tout comme du marc de Bourgogne. Il se prête également à des préparations fromagères servies à l’apéritif ou en plat, l’arôme de l’Epoisses, bien mariée ressort alors remarquablement.
 

Voila l’histoire d’un fromage d’excellence que nous pourrions n’avoir jamais connu sans la ténacité humaine. L’histoire de l’Epoisses est l’exemple parfait de l’interaction entre la nature et les hommes par le biais des savoir-faire et des traditions locales et ancestrales. Elle est aussi le symbole d’une production de qualité ancienne, organisée et protégée qui permet au terroir français de pouvoir encore se prévaloir du titre de pays de la gastronomie.


Pour une histoire plus complète, on pourra se reporter au livre "Histoire du fromage d’Epoisses" publié par Georges Risoud aux éditions de l’Armançon.

 

 
 







 

Mots-clés : Technorati

le 18.12.09 à 09:00 dans Histoire des aliments
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Commentaires

Merci beaucoup pour cette excellent article sur l'Epoisses qui est un fromage incroyable et que j'adore. Seul problème son prix qui est souvent très élevé. Une Epoisses de bonne qualité chez Barthélemy à Paris ça coûte quand meme plus de 14 euros! J'ai cherché chez d'autres fromageries pour économiser quelques euros mais la moins chère que j'ai trouvé est tout de même à 9 euros. Connaissez-vous un endroit ou on peut trouver des Epoisses moins chères à Paris? Merci

comment économiser - 31.01.10 à 19:39 - # - Répondre -

N'étant pas parisienne, je ne peux pas vous répondre.
Les bons fromages sont en général chers, c'est un fait. Sur les marchés on trouve des petits producteurs qui vont bon et vendent à des prix très raisonnables, surtout en province; profitez de vos vacances pour les chercher.

Anonyme - 02.02.10 à 17:54 - # - Répondre -

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