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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Eloge de l'ivresse



Dionysos au banquet, mosaïque romaine

Et, tandis que Dionysos gémit, voici qu’une grande merveille se produit sous ses yeux.
Le corps sans vie se redressa, ondulant tel un reptile,
Et Ampélos serpentant devint une délicieuse plante fertile.
A mesure que le corps sans vie se métamorphose,
Son ventre s’étira et devint tronc, ses doigts vrilles et ses pieds racines.
Les rinceaux de ses boucles furent grappes,
Sa peau de faon se couvrit d’une chatoyante floraison de fruits,
Des pampres naquirent de son long col,
Le coude replié n’est qu’un sarment tendant ses raisins,
Son front aux volutes cornues s’incline sous le poids des grappes.
Ce qui fut son ami devint son doux ombrage.
Dionysos mord le raisin, goûte au brûlant breuvage.
Et le sang d’Ampélos rosit ses blanches mains.

Nonnos de Panopolis, les Dionysiaques.

C’est ainsi que le nom de Dionysos, le « deux fois né » trouve toute sa signification. Cette transformation d’Ampélos en cep de vigne va permettre à Dionysos d’accomplir sa mission terrestre : faire connaître le vin aux hommes et leur enseigner la vinification. Ce dieu apporta au monde antique, puis à toute une partie du monde, une manne exceptionnelle. Le vin était, en effet, le pétrole de l’Antiquité. Un des personnages du «Satiricon » de Pétrone, Trimalcion raconte au cours d’un banquet comment il a fort bien supporté la perte de cinq navires chargés de vin : « Et pourtant, dit-il, le vin, à cette époque, c’était de l’or ».
La production et la mise en marché du vin concerne directement ou indirectement de nombreux métiers et secteurs économiques : un artisanat énorme - construction de jarres pour la vinification, d’amphores et d’outres pour le transport, d’une vaisselle vinaire -, des routes marchandes extrêmement fréquentées, un commerce remarquablement rémunérateur à tel point que l’empereur Domitien promulgua un décret pour que les vignes de la Gaule soient arrachées afin que les romains puissent garder l’exclusivité de l’élaboration et du commerce du vin. Cet édit n’eut pas vraiment le résultat escompté puisque, en Gaule, les vignobles du Rhône et du Bordelais continuèrent à progresser. A progresser véritablement car les vignobles quittèrent les terres fertiles, réservées au blé, pour les terres plus ingrates où ils prospèrent, mettant en valeur des sols jusque là infertiles et éliminant les cépages grossiers.

VIN, ECONOMIE ET CULTURE
La vigne et le vin semblaient, et semblent toujours, être reconnus comme une valeur nationale et économique importante : si, actuellement, la France est l’une des premières destinations touristiques du monde, elle le doit, en partie, à la qualité de sa gastronomie et de ses vins. Cette culture du vin a créé la diversité de ses paysages protégés fréquemment par la vigne, ainsi que le patrimoine architectural lié souvent à la viticulture, et, surtout, la convivialité de son accueil dans lequel le vin est très présent. On doit aussi à la vigne un patrimoine viticole dont la valeur est considérable et a attiré de nombreux investisseurs internationaux, des centres de formation techniques et œnologiques, agronomiques, et autres universités, reconnus dans le monde entier. La fabrication de matériels spécialisés en viticulture, en caves vinaires, en conditionnement de produits (n’oublions pas que ce sont nos ancêtres les Gaulois qui ont inventé le tonneau), génère de nombreux emplois. De même que les verreries, certaines prestigieuses, fabriquent verres, carafes et bouteilles concomitant d’un art de boire lié à une convivialité dans tous les milieux et lors de toutes sortes d’évènements. Il en est était de même dès l’Antiquité et tout au long des siècles de notre histoire en Europe.

En effet, le vin est la boisson habituelle et quotidienne des populations méditerranéennes depuis au moins 2500 ans. Avec le blé, il a été l’un des facteurs du développement de la civilisation gréco-romaine et de ses valeurs, dont nous sommes les héritiers et les continuateurs, ils sont même devenus les symboles religieux les plus représentatifs. Autour du vin se développa tout un art de vivre : banquets, libations, art de boire lié à des rites et fêtes, c’est la boisson des réjouissances, des fêtes religieuses et sociales. C’est aussi le compagnon de la galanterie. C’est également avec du vin que l’on scelle des alliances, des contrats, des victoires, que l’on dompte les peuples : les rois ne manquaient pas d’offrir des fontaines de vin au peuple lors de leurs entrées dans les villes de France. Le vin est un élément civilisateur, les rois, les empereurs, voire les papes se servent des dieux du vin ou des symboles sacrées du vin pour établir une société harmonieuse dont les rites et les pratiques du vin serviront d’exemple. A ces vertus civilisatrices se substituent les plaisirs sensuels du vin ; le corps se détend par l’entremise des sens : l’oreille est réjouie par le bruit du vin versé dans le verre, le nez charmé par l’odeur, l’œil séduit par la robe, et le goût enchanté par la saveur du vin. Les poètes chantèrent l’alchimie mystérieuse que cette divine boisson fait subir aux cerveaux humains, le bonheur de boire, les délices de l’ivresse. Car le vin, par l’ivresse, est aussi une transgression nécessaire à l’homme. Le vin qui a guérit Dionysos de son chagrin, donne l’oubli du monde terrestre, de ces vicissitudes et douleurs morales ; lorsque le vin manquaient autrefois, le peuple se révoltait, tout comme il ne supportait pas les taxes élevées qui pesaient sur le vin. L’ivresse est magique et conduit en des contrées qui éclairent, illuminent, renseignent sur le fonctionnement de la raison, sur ses limites. Alexandre Dumas dira que le vin est la partie intellectuelle du repas. Le corps devient autre chose que l’enveloppe de l’esprit, le réceptacle de l’âme, car l’ivresse va contribuer à l’enthousiasme, cette heureuse panique qui mène à l’essence des choses, c’est-à-dire que le vin entraîne vers l’aperception des sensations et des perceptions que seul Dieu, selon Leibniz, est capable de connaître. Alors que l’ivresse absolue en opérant une transvaluation des valeurs et une atteinte à l’ordre est une faute majeure, l’homme se rapprochant dans ce cas de l’animal.
La griserie est donc une aspiration vers le divin, la réalisation du projet de Dionysos libérateur de donner aux hommes une boisson cathartique.
Et pas seulement à l’esprit, car, durant cette longue période, les produits de la vigne ont été utilisés tout au long de l’histoire pour protéger l’espèce humaine de toutes sortes de maladies ou de dangers. Ulysse dans son Odyssée emporte du vin dans des outres, et au pied de l’Etna s’en sert pour lutter contre le géant Cyclope, le mélange de vin et d’eau permettait de rendre buvable une eau dont on n’était pas sûr de la qualité, Arnaud de Villeneuve l’un des doyens les plus connus de l’Ecole de médecine de Montpellier invente au XIII° siècle la distillation du vin pour en faire « l’eau de vie » (Aquae Vitae) qu’il utilise pour ses blessés et malades. Plus tard, les Hollandais s’en servent sur leur flotte à voile marchande pour assainir l’eau de consommation qui, après plusieurs mois de mer, devenait impropre à la boisson.
Le corps médical semblait reconnaître les bienfaits du vin sur la santé : depuis plus d’une dizaine d’années, de nombreuses études scientifiques et médicales confirment l’intérêt du vin : relations sociales plus cordiales, digestion plus facile, action protectrice contre les maladies cardio-vasculaires et l’infarctus, contre les maladies neurologiques et d’Alzheimer, propriétés anticancéreuses et anti-oxydantes, (antivieillissement). Boire un à deux verres de vin durant les repas est très utile à la santé et n’est pas contraire à la sécurité routière !!!!

Comme le chante Thespis, dans le Platée de Rameau :
« Qu’un doux transport me saisit et m’inspire

Charmant Bacchus, dieu de la liberté
Père
de
la sincérité
Aux
dépens des Mortels, tu nous permets de rire

Mon cœur plein de la vérité
Va
se soulager à
la dire
Dussai-je
être mal écouté. »

Le vin conduit à cet état que les Grecs appelaient « entheos », en-dieu, qui permet d’accéder à l’insouciance, à la légèreté provoquée par la réconciliation avec soi-même, par la fin d’une certaine aliénation. L’ébriété est la preuve de l’existence d’une énergie par ailleurs négligée qui mène à la connaissance d’une partie de soi ignorée.

IN VINO VERITAS


Mots-clés : Technorati

le 26.07.06 à 19:57 dans Vins
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L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. alt : Widget Notice Mollat Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines. alt : Widget Notice Mollat

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