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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Histoire du lait

Si Sully disait avec fierté que « Labourages et pâturages sont les deux mamelles de la France », dans la culture occidentales, les produits laitiers, jusqu’au 18ème siècle, ont eu un statut plutôt médiocre dans la gastronomie et ont été considérés d’un œil dubitatif voire suspicieux par les classes sociales élevées. Basées sur la triade méditerranéenne et végétale blé/huile/vin, les habitudes alimentaires des peuples du nord qui s’appuient sur une triade animales viande/lait/beurre ne rentraient pas dans l’idée que les mentalités se faisaient de la civilisation. 
Cependant, dans la réalité, les peuples de l’Europe atlantique et de l’Europe du Nord étaient des populations pastorales qui élevaient des bovins et consommaient le lait frais que leur donnaient leurs vaches, ils fabriquaient également leur beurre et buvaient du petit lait ou lait ribot. Ces populations du fait du climat où ils vivaient conservaient plus facilement le lait et n’avaient pas besoin de le transformer rapidement en fromage contrairement aux pasteurs-éleveurs de chèvres et de brebis sur les pourtours de la Méditerranée qui devaient très vite transformer le lait en fromage pour éviter qu’il ne se gâte. On distingue alors une Europe atlantique des bovins et du beurre et une Europe méditerranéenne des ovins et des fromages. 

 

Dans la plupart des cas, consommer quotidiennement des laitages est la marque d’une condition sociale assez pauvre ; liée à la ruralité et associée à la bouillie et aux soupes. Les fromages, absents des grandes tables, sont rejetés comme des nourritures de paysans, un proverbe de la Renaissance ne disait-il pas : « Fromage, poyre et pain est repas de vilain » ? 

En plus de ces considérations climatiques et géographiques s’ajoutent d’autres opinions plus intellectuelles qui discréditent le lait. La médecine du Moyen Age au 19ème siècle est basée en grande partie sur la médecine hippocratique relayée par les médecins arabes. Sous des climats chauds et sans moyens de conservations adéquats, le lait risquait de tourner et de s’aigrir. De ce fait, il avait une réputation détestable et on lui prêtait souvent des inconvénients, surtout lorsqu’il était ingéré cru, substance froide et humide néfaste au corps humain. Le lait cuit bénéficiait d‘une tolérance un peu plus grande et il acquit un meilleur statut au 18ème siècle quand on le mélangea au café. Le café au lait devint alors la boisson du petit déjeuner, du moins dans les villes. Les médecins occidentaux ne remirent jamais en cause des préceptes inadaptés aux climats et aux productions agricoles de l’Europe océanique et nordique où le lait abondait. 

 

 


On peut ajouter aussi que le lait d’origine animale n’est autorisé par l’Eglise que les jours gras alors que le calendrier liturgique comptait plus de 120 jours maigres au cours d’une année, ce qui finissait par poser problème aux producteurs et consommateurs de lait. Connaissez-vous la Tour de Beurre à Rouen ? Elle fut érigée grâce à l’argent que les fidèles offrirent pour obtenir des autorités religieuses des dérogations de manger du beurre durant le Carême. A force, bretons et normands obtinrent gain de cause et le lait devint un aliment maigre. Mais il y avait aussi une autre cause à cette soudaine tolérance de l’Eglise, le grand mouvement de la Réforme protestante. Les jours maigres, les catholiques remplaçaient le beurre, la saindoux ou la lard par de l’huile. Or la réforme protestante autorisait l’emploi du beurre les jours maigres, pour éviter que cette mesure n’attire les catholiques vers la Religion Prétendument Réformée, la Papauté autorisa vite l’usage du beurre en Carême.

Tout ceci peut expliquer pourquoi le lait est quasiment absent des livres de cuisine jusqu’à la Renaissance, époque où il commence à recevoir une  certaine considération. On note entre 5 à 10% de recettes contenant du lait et ce sont surtout des recettes d’entremets et plus particulièrement des bouillies de céréales comme la fromentée qui est une bouillie de froment  dont George Sand se régalait encore lorsqu’elle se rendait en Berry et parfois des potages. A cette époque, le blanc manger, par exemple,  utilisait le lait d’amandes. Si la difficulté de conservation était sans doute une raison importante du rejet du lait s’ajoutaient le goût pour l’acide et les épices et le fait que les livres de cuisine étaient écrits par et pour les classes aisées qui considéraient le lait et les laitages comme des nourritures de pauvre. Le goût du lait va peu à peu se répandre par le biais du regain d’intérêt pour le beurre en cuisine. Le 19ème siècle marquera la gloire l’époque de gloire du lait avec toutes les extensions de la sauce Béchamel : sauce Mornay, Soubise, Nantua, bohémienne, les quenelles, les soufflés, les farces … On se sert du lait pour faire dégorger les foies gras et dessaler et cuire  les poissons. Le lait est présent dans un nombre important de recettes : soupes, flans, gratins, sauces, pâte à crêpes, à gaufres, à beignets, les crèmes pâtissières, et gâteaux de  riz et de semoule, crèmes anglaises, puddings, pain perdu,  caramels,  dans le chocolat chaud, le caf au lait, le nuage de lait dans la tasse de thé, le lait de poule réconfortant. Et maintenant dans les milk-shakes et les glaces, et nombre de préparations lactées que l’on trouve dans les rayons de frais. Et le grand verre de lait encore tiède pris au pis de la vache dont le goût varie selon les saisons ; herbe fraîche, fleurs, arômes de foin et de paille, parfois de noisette. Lorsqu’on prend le pot à lait pour aller à la ferme après l’heure de la traite. Temps révolu ou presque.

Le lait est un aliment complet pour le nouveau-né, mais pas pour les adultes. L’intérêt nutritionnel du lait est attaché à sa composition pendant la digestion, la protéine du lait est démontée en chaînons élémentaires, l’organisme la reconstruit à partir de ces éléments pour compenser les dépenses d’énergie .L’énergie est reproduite
-          par les protéines du lait - caséine et bêta-lactoglobuline, alpha lactalbumine, immunoglobuline - qui fournissent les acides aminés. Si l’œuf est la protéine de référence car il contient les 8 acides aminés indispensables que l’organisme ne fabriquent pas, les acides aminés des protéines du lait de vache sont quasiment identiques à celui des protéines de l’œuf,
-          par les lipides : triglycérides, stérols (vitamines D et cholestérol), lécithine, carotène et vitamines A et B2 les plus importantes,
-          par les glucides : la lactose qui a un rôle fondamental dans la formation des structures cérébrales
-          par le calcium et le phosphore.
Le lait non traité contient 3,7 gr de lipides/litre, 4,6 gr de glucides/litre, 3,2 gr de protéines/litre plus des minéraux, en particulier, du calcium et des vitamines.
Le lait et les laitages apportent 1/3 de l’apport énergétique jusqu’à l’adolescence et ensuite il doit apporter 20% de l’apport quotidien en lipides, 10% en glucides et 19% en protéines. Il a aussi un rôle important au niveau des vitamines et des sels minéraux : 67% du calcium, 39%du phosphore, 24% du zinc, 19% du magnésium, 47% des vitamines B2, 18% des vitamines B6 et 23% de la vitamine A.
 

 


Mots-clés : Technorati

le 05.04.06 à 09:53 dans Histoire des aliments
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