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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Fargues, un trait d’union entre passé et futur.

Un peu à l’écart du village, se dressent les murs, en ombre chinoise, du Château de Fargues. Ces ruines majestueuses de ce château construit par un neveu du pape Clément, sont animées par le vol des pigeons qui habitent ces murs.
Fargues, une belle demeure qui se dévoile au bout d’une allée de pins centenaires,  est une exception dans le Sauternais. C’est, en effet, presque autant une ferme qu’un vignoble, une propriété paysanne ainsi que la nomme Alexandre de Lur Saluces, maître de ces lieux. Avec de belles vaches bazadaises à la robe chamoisée qui donnent le fumier qui enrichit la terre et sont primées  dans les concours agricoles, quelques hectares de maïs, d’autres de forêts de pins et quinze hectares de vignes dont deux en jachère actuellement. Un quasi anachronisme dans notre monde de rentabilité !
Mais Fargues n’est pas figé dans le passé, les grues au dessus des chais en témoignent. Les barriques et les pressoirs étaient trop à l’étroit dans la grange aménagée en chai. Tonneaux et bouteilles  pourront bientôt reposer tranquillement dans de beaux chais neufs et les visiteurs pourront déguster le précieux liquide dans la salle de dégustation, spécialement conçue pour leur plaisir.
Les concessions à la modernité sont rares : les tracteurs ont remplacé les chevaux, les pressoirs sont modernes, les presses programmables, les chais climatisés. Cependant pour le reste, la tradition demeure, ce n’est pas du passéisme, mais un respect de la nature, des gestes et des  techniques dont les années ont montré l’efficacité, à Fargues le vin est le fruit de la nature et du travail des hommes.
Voila pourquoi cette propriété paysanne est encore plantée de pieds de plus de 70 ans, selon l’ordre ancien de 4 pieds de sauvignon pour 1 pied de sémillon et selon l’ordre de trois rangs étroits pour un large qui permettait de laisser le passage aux chevaux, des tracteurs maintenant, lors des labours et des traitements.
Il en est ainsi pour les méthodes culturales, les gestes sont toujours les mêmes. Le sol est labouré plusieurs fois par an : deux grands labours et au moins quatre labours réguliers pour éviter l’enherbement car trop d’humidité en montant vers les raisins nuirait à leur bonne évolution. Le sol est régulièrement griffé, les ceps sont rechaussés et ressortis. Lorsqu’une parcelle est arrachée, après deux ans de jachère qui permet aux parasites de mourir tranquillement par manque de nourriture, la croûte argilo calcaire est cassée, le drainage est refait, le sol retourné en profondeur et nourri très généreusement du fumier des vaches du domaine. C’est la seule fois que le sol sera grassement nourri, après le fumier est distribué à doses homéopathiques, parce que la vigne témoigne du sol et du sous-sol et que si l’on met trop d’engrais, la pourriture ne se fait pas pareil. La végétation s’en ressent car le manque d’aliments limite les pousses de la vigne et de l’herbe ce qui permet à la sève de se concentrer sur les raisins. Le travail du sol continu est idéal pour aérer le sol et laisser la terre meuble, même s’il est couteux en main d’œuvre et en matériel agricole.
Les ouvriers de la vigne travaillent à la tâche, c’est-à-dire qu’ils ont la responsabilité des mêmes parcelles de vigne plusieurs années durant. Cette connaissance des pieds de vigne sous leur responsabilité est importante du fait du système de plantation et de la cinquantaine de travaux effectués dans la vigne tous les ans. L’ouvrier sait ainsi quel est le soin exact dont a besoin la vigne pied par pied, ces travaux répétés embellissent la vigne  qui peut alors offrir ce qu’elle a de meilleur. La taille d’hiver est sévère pour permettre la concentration par botrytis, les tiges sont sélectionnées : tout bois abimé portant des risques de mauvaise contamination est coupé. Les tiges sont palissées à l’aide de brins d’osier pour que l’air circule entre les grappes. Les ouvriers surveillent attentivement la vigne durant les mois précédents les vendanges, ils surveillent l’enherbement, surtout si le temps est humide, la concentration d’humidité et son évaporation vers les grains provoqueraient une mauvaise pourriture, ensuite l’effeuillage avant les vendanges, les feuilles qui cachent le soleil levant sont ôtées pour aérer les grappes et faciliter plus tard le travail des vendangeurs. C’est très important car comme le dit Guy Latrille : « les feuilles font aussi le sucre ».
Arrivent les vendanges, lorsque le botrytis a fait son travail et que les baies pèsent 20 % Vol. potentiel c’est-à-dire environ 340 gr de sucre. Ce paramètre est très important car le grain nourrit le jus qui formera les levures puis la transmutation par les levures du jus de raisin. Panier au bras et sécateur à la main, les vendangeurs passeront dans les vignes, des semaines durant, ne cueillant que ce qui est pourri au rythme des tries successives, on commence par le sauvignon dont le botrytis est plus précoce. Ces tries successives, qui corrigent ce que la nature a fait, donneront des vins plus réguliers et plus complexes, et si par la suite, chaque cépage est fermenté séparément les vins obtiennent alors plus de bouquet. A Fargues pas de muscadelle, cépage plus délicat et dont les risques d’oxydation peuvent faire mal vieillir les vins, seulement du sauvignon qui donne au vin la finesse et du sémillon, le corps. Les vendanges durent longtemps, les ouvriers ne cueillant que le bon pourri, faisant tomber le mauvais. La pluie est redoutée surtout si elle dure, les grains gonfleront alors tellement qu’ils seront impropres à la cueillette, c’est ainsi que, certaines années, 80%  de la vendange peut être perdue, voire même toute la vendange. Le gel, lui, est plutôt un allié, concentrant le jus. Les pressurages seront encore lents, mais ils le sont toujours pour ne pas abimer les raisins, le rendement naturel d’une telle sélection est de 8 hectolitres à l’hectare.
Pressés, les jus fermentent  tranquillement dans des barriques avant d’être assemblés pour la vinification en fûts de chêne neufs. Surveillance attentive, travail délicat que la fermentation des liquoreux, transmutation réalisée par la levure. Si la fermentation reprend ce peut être des tonneaux perdus, là encore la sélection est  impitoyable.
Arrive la mise en bouteille, les bouteilles sont alors tirées, couchées, c’est-à-dire qu’elles sont couchées afin que le vin se repose avant d’être relevées pour  l’étiquetage et l’expédition. Les nouvelles étiquettes de Fargues sont extrêmement dépouillées, sur un papier aussi protégé que des billets de banque en raison des risques de copiage, on y lit juste le nom de la propriété et l’année, les mentions légales sont reléguées sur un passe.
 

Tout le travail de ce vignoble est une quête tendue vers le but poursuivi : l’excellence dans le respect de la nature et la qualité du travail des hommes car les ouvriers sont encore présents toute l’année dans  la vigne qui vit par et pour les hommes.


Mots-clés : Technorati

le 22.03.07 à 21:13 dans Vins
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