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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Extension de domaine des épices

A la suite de ce que j’avais écrit dans un des derniers billets sur les épices, je  reviens sur l’influence qu’elles ont pu avoir sur notre cuisine et nos manières de manger. Extension du domaine des épices parce que cela ne concerne pas seulement les épices mais les autres produits découverts et rapportés  en même temps que les épices. Extension également car  la présence de civilisations durant une longue période dans un pays influence de manière non négligeable la culture du pays dans lequel elles sont installées. L’exemple le plus flagrant est celui de l’Espagne musulmane et du royaume de Grenade et les découvertes de Christophe Colomb.

 

L’influence arabe
L’usage des épices dans la cuisine en Europe, et donc en France, était largement dominé par les habitudes et les recettes héritées de Rome. Cela consistait en un usage excessif des épices qui masquaient le goût des produits ou les transformaient totalement. Utilisées à la fois pour leur qualités gustatives et leur pouvoirs thérapeutiques, elles avaient, en effet, les vertus de faciliter la conservation des chairs d’animaux comme celles d’aider la digestion sans compter d’autres les propriétés médicamenteuses,  propres à chaque épice, qui corrigent les effets de certains aliments. Ces denrées extrêmement coûteuses permettaient aux amphitryons de montrer leur richesse à leurs invités et de marquer ainsi leur appartenance à une caste. Le prix élevé des épices poussèrent les européens  à conquérir les terres à épices pour posséder le monopole, fort rémunérateur, de ce commerce. Mais pendant longtemps les arabes, appelés maures à cette époque, étaient les maîtres des mers et du commerce des épices et autres denrées précieuses. Puissants, ils étendirent leurs royaumes vers l’Ouest conquérant une grande partie de l’Espagne et la Sicile ainsi que de nombreux territoires de la péninsule balkanique. Leur présence y fut alors suffisamment longue pour laisser des traces profondes sur la cuisine et les goûts.

 

En effet, ce sont eux qui introduisirent la culture du riz et celle du citronnier. Le nom arabe « el laimoun » devint limon et les citrons confits, les zestes et l’eau de fleur d’oranger entra dans la confection des plats espagnols. Les maures apprirent aussi à conserver les olives dans la saumure. Ils plantèrent la canne à sucre  dans la région de Valence et de Séville, condiment dont ils faisaient grand usage dans leur cuisine car ils avaient adoptés les usages persans et cuisinaient beaucoup de plats aigres-doux, aux saveurs sucrées salées. Des viandes de mouton ou de pigeon étaient parfois frites dans le beurre et mangées avec du sucre candi, parfois aussi elles marinaient dans du lait aigre ou du jus d’agrumes relevés d’épices et cuisaient longuement jusqu’à l’obtention de consistances onctueuses dues à l’alliance du gras et du sucré.


Les maures contribuèrent aussi à acclimater des légumes inconnus : épinards, aubergines mais aussi les bettes, les courges et les concombres, des légumineux : fèves et lentilles venues d’Egypte, les pois chiches et les haricots. Ils apportèrent aussi tous les fruits délicieux qui poussaient au Moyen-Orient : agrumes, melon, prunes, pêches, pastèques, bigarades et abricots, les coings largement utilisés dans la cuisine persane. Mais aussi : les amandes qui auront beaucoup d’importance, les dattes et les pistaches et le safran qui pousse encore, la cannelle, le poivre et touts les autres qui entrent dans les préparations culinaires. Car la cuisine arabe, combinant les ingrédients, les cuissons, les saveurs et les consistances, est l’art de l’assaisonnement. « La connaissance des épices est la base de l’art culinaire. Elles permettent de différencier les mets, de leur donner de la saveur, d’élever leur goût. Elles apportent le bien et permettent d’éviter ce qui est nuisible. » Dans la lignée des prescriptions des médecins grecs que les arabes avaient traduits, le cuisinier se fait médecin pour que les gourmets ou les gourmands puissent manger sans risque ce qu’il aime tout en préservant sa santé.

 

Tout cela eut comme conséquence que de nombreuses recettes arabes entrèrent dans le catalogue de la cuisine ibérique et de là des cuisines européennes. Les livres de cuisine arabes, le plus ancien « Le Livre de cuisine du Maghreb et de l’Andalousie » fut écrit en 1226, reprennent ces recettes. Parmi les desserts, l’influence est grande, on retrouve celle du nougat à base de miel, d’amandes qui donnera le touron, et aussi l’alfitete (al-fitât) farine et miel cuit à la vapeur, les almojavenas (mujabbanât) beignets au fromage frais, les aljeloas (al-halâwat) et les massepains et les macarons. L’aubergine y a la part belle avec de très nombreuses recettes, l’épinard, consommé durant le carême,  beaucoup de recettes à base de riz souvent cuit dans le lait d’amandes, des volailles à la romania (grenade), à la lomonia, à la somacchia (sumac et amandes), des boulettes de viande appelées albondigas de l’arabe al-banadiq, viande bouillie très cuite, hachée avec des épices, liée avec des œufs et frites dans du beurre.



 Plus tard, l’auteur du Ménagier de Paris décrit une sauce sarrasine faite d’amandes, de vin rouge, de sucre, un civet sarrasinois à base d’anguilles épicées, et de plats colorés en rouge et en jaune. Il cite également : « gingembre, cannelle, girofle, graines de paradis, poivre kong, aspic poivre rond, fleur de cannelle, safran, noix muguette, feuilles de laurier, gamigal, mastic, lors, cumin, sucres, amandes, aulx, oignons, ciboules, escaloignes… ».  Rabelais parle d’un coscoton, couscous, à base de « petits pois faits de la fleur de farine pestrie avec eau et séchée au soleil ». Dans le Sud-Ouest, la croustade ou tourtière, parfois nommée pastis évoque la pastilla pas seulement par son nom mais aussi par la manière de la confectionner, des superpositions des pâte feuilletée étirée finement farcie de pommes et badigeonnée de sucre et l’huile, à l’est de l’Europe c’est la baklava turque, le strudel autrichien, salé au fromage c est la talmouse, aux épinards le boyo sépharade.
Et le fameux blanc manger, ne serait-il pas une extension du isfîd-bâdj persan, réalisé avec du blanc de poulet cuit longuement à feu doux  dans un bouillon épicé et des amandes pillées, la chair défaite et les amandes,  pressées se servent relevée de cannelle ? On retrouve, en 1661, dans « Le Cuisinier François » de La Varenne un potage de cailles au blanc-manger naturel dont la recette est fort semblable (elle fait aussi penser à la poule à la romania) :
«  Faites cuire les cailles dans un pot de terre avec bon bouïllon, un pacquet et du sel, pillez amendes et les passés avec le bouillon des cailles par l’estamine et les faites cuire avec un peu de cannelle, de sucre et faites le fonds de vostre potage avec macarons & quand les cailles seront dressées mettez vostre bouillon blanc par-dessus, garnissez des tranches de citron et mettez jus et grains de grenade. »
Maintenant et surtout depuis le retour des français d’Algérie et l’arrivée des travailleurs maghrébins en France, les couscous,  les tajines, les pâtisseries, le harissa et le Ras-el-hanout font pratiquement partie de notre patrimoine gastronomique. Dans les épiceries orientales, les étagères croulent sous les épices et les produits qui ont traversé la Méditerranée, et nous saupoudrons négligemment nos mets d’épices qui ont mis un long temps à devenir familières.
 


Mots-clés : Technorati

le 25.11.05 à 11:37 dans Histoire des aliments
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