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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Dans le cochon tout est bon

C’est certainement ce que se sont dits nos ancêtres lorsque le porc fut domestiqué, un peu après les autres animaux domestiques.  Porc ou sanglier, difficile de faire vraiment la différence, en tout cas un suidé.

L’ancêtre de tous les cochons est Sus Scrofa de qui descendent les porcs, phacochères et sangliers. Pour survivre dans un environnement plutôt hostile, la nature l’avait doté de défenses de belle taille. A l’étroit dans son habitat d’origine, entre les 60° et 20° parallèles au nord de la Méditerranée, et après avoir été domestiqué pour la première fois dans l’actuelle Turquie, Sus Scrofa émigra au quaternaire vers l’Afrique du nord. Nous savons qu’il y fut domestiqué et très apprécié car Hérodote en parlant de l’Egypte, écrit : « Chacun ensemence son champ et y lâche les pourceaux, puis, lorsque ceux-ci, en piétinant, ont enfoui la semence, il attend le temps de récolter et il fait alors fouler aux pieds le blé sur l’aire par les pourceaux. » Sur certains bas-reliefs, on voit un porcher et son troupeau et des amulettes dédiées à Isis, déesse de la fécondité, ont des formes de petits cochons. Sur sa terre de naissance, le cochon était très apprécié comme on peut le voir dans les récits de la mythologie grecque : de nombreux porchers y figurent : Eubulos qui recueillit Perséphone, Erimée, le fidèle parmi les fidèles d’Ulysse. Protée pouvait prendre l’apparence d’un cochon comme les hommes auxquels Circé jetait un  sortilège. La littérature nous apprend même les manières de cuisiner le cochon dont les grecs étaient friands,  cochon de lait farci aux herbes et rôti, en ragoût comme le dit Homère : « la marmite bout, tandis que le porc fond dans son suc. » ou Aristophane quand les commères de l’Assemblée des femmes cuisinent le foie de porc et les abats. Et plus tard, les romains feront leur délice de vulves et de tétines de truie et plus classiquement de jambon fumé de Westphalie et de Rhénanie.

Ces jambons de Westphalie nous ramènent à la manière de se nourrir des porcs. La forêt gauloise et germanique était une forêt nourricière, les hommes y trouvaient refuge lors des invasions romaines, puis barbares. Comme actuellement dans les forêts africaines, on pouvait y survivre par la cueillette des fruits, des racines et des herbes, par la chasse du gibier sauvage à plumes et à poil dont faisait partie le sanglier ou le cochon sauvage. D’ailleurs à ce propos, Obelix allait chercher ses sangliers dans la forêt où les romains n’aimaient guère s’aventurer et Panoramix ses herbes pour la potion magique. Donc, je ne vous raconte pas d’histoires ! L’élevage du cochon a été au départ très différent des autres bêtes. Les cochons se nourrissaient dans la forêt en liberté, et plus tard sous la surveillance des enfants. Ils y trouvaient les glands, faînes, fruits sauvages, champignons, racines et herbes qui les faisaient grossir et rendaient leurs chairs savoureuses, c’est pour cela que les peuples de Gaule et de la Germanie élevaient des porcs dont ils tiraient des jambons, des saucisses et des saucissons, des andouilles, andouillettes et boudins, et aussi du gras double qui faisait la gloire de ces peuples. Ils aimaient tellement cet animal qu’ils donnèrent au dieu Mercure le surnom de Maccus qui voulait dire porc dans leur langue. Et que de nombreux mots de la charcuterie dérivent directement du gaulois, comme saindoux qui vient de sain ou saïn qui veut dire graisse et bakka qui à l’origine désignait le jambon et qui a donné le mot bacon.

Cette habitude de nourrir les porcs dans la forêt perdura longtemps pour deux raisons. D’abord parce qu’au début de l’agriculture il y avait peu de prés et pas de culture de plantes fourragères. Les ovins, bovins et caprins se nourrissaient sur les landes et les friches et les porcs dans les forêts. Longtemps, on mesura les forêts d’après le nombre de porcs qu’elles pouvaient nourrir. Et ensuite parce que de nombreuses forêts devinrent domaine communal sur lesquels la pâture était libre de taxes.

Ce qu’on sait moins c’est que ce furent les monastères qui créèrent les premiers élevages de porcs tout comme ils développèrent la viticulture, enrichissant de la sorte leurs monastères. Il faut dire que le Moyen-Age fut très demandeur et très consommateur de porc : les livres d’heures,  les vitraux et même les voussures des églises (à Mimizan dans les Landes) montrent des cochons à la glandée ou encore le tue-cochon, rite très important dans la vie paysanne.

La viande d’un porc assurait l’essentiel des viandes consommées par une famille de paysans. Tout était utilisé, les soies, la peau, la graisse transformée en saindoux et lard qui servait à la fois à la cuisine et à la conservation. On tuait le cochon pendant les grands froids afin que la viande fraîche ne risque pas de se gâter trop vite. Le tue-cochon est resté très longtemps un évènement majeur de la vie des villages au même titre que les moissons et les vendanges. C’est un  travail qui fait appel à la communauté villageoise. On fait venir le saigneur, habilité à tuer le cochon proprement. Tuer et découper sont les tâches masculines, cuisiner les viandes sont plutôt féminines, même les enfants étaient mis à contribution, allant rincer les boyaux dans la rivière.

Il faut hacher les viandes et le gras, préparer et cuire le boudin, laver tripes et vessies, préparer  les couennes, faire les pâtés, andouilles, confits, grattons, fritons, rillettes et rillons, saucisses et saucissons, jambons, puis mettre à sécher certaines préparations et conserver les autres dans des pots recouverts de graisse. Il faut que se soit vite et bien fait, la survie de la famille en dépend.  Toutes les familles s’entraident à tour de rôle  afin que chaque maison puisse faire ses provisions tant que les températures l’autorisent. Le travail est dur mais c’est aussi l’occasion de franches ripailles quand le travail est terminé lors du repas du cochon et d’échanges de viandes fraîches.

La domestication du cochon lui donne, du fait qu’il est omnivore, le statut d’éboueur du village tant dans les villages que dans les villes. Ils vagabondaient dans les rues dévorant les détritus. Les incidents et dégâts étaient nombreux, car les cochons rentraient partout et dévoraient tout ce qu’ils trouvaient, on disait même qu’ils pouvaient dévorer des petits bébés. Ils furent vite considérer comme des nuisibles et à ce titre pouvaient être capturés et tués par le bourreau de la ville. Sans compter qu’à force de consommer, spécialement dans les villes, toutes sortes de déchets avariés et même des déchets humains, les porcs développèrent des maladies. Les Syndics de bouchers furent chargés de la surveillance du bon état sanitaire des porcs dans les abattoirs. Car au Moyen-Age, c’étaient les bouchers qui vendaient la viande de porc, les chaircuitiers ne faisaient que cuisiner les viandes comme leur nom l’indique.

Les choses ont évoluées au fil du temps et maintenant 90% de la viande de porc que nous consommons (nous consommons 38 kilos de viande porc/personne/an en France) provient d’élevages industriels ou quasi industriels. Les races anciennes de porcs élevées comme autrefois ont failli disparaitre au profit du white large qui grossit très vite et est prêt pour l’abattage dès 6 mois au lieu des 18 de l’élevage traditionnel. Son élevage est donc plus rentable, mais sa viande moins bonne.

Heureusement depuis quelques années, certains éleveurs ont compris la nécessité de produire bon et ont entrepris de faire renaitre les races anciennes. J’ai déjà parlé du porc noir de Bigorre ou du porc basque, mais en Corse, en Espagne, dans le Massif Central, en Normandie, en Dordogne, on fait redémarrer des productions locales à partir des rares survivants de races anciennes. Quelques truies et un porc suffissent parfois, mais le travail est long et difficile, leur viande est plus chère et peu de consommateurs acceptent de payer leur nourriture à son juste prix. Ces porcs sont élevés en liberté et semi-liberté sur des parcours forestiers, leur élevage durent 18 mois, les jambons sèchent au minimum 18 mois au lieu de 6 dans l’industrie. C’est beaucoup moins rentable pour l’éleveur. Mais la viande est savoureuse et parfumée et ne diminue pas à la cuisson car la nourriture est variée et les bêtes ont du muscle. Le gras des viandes et des jambons sont de bons gras riches en oméga 3, cette viande est donc meilleure pour la santé. Alors renseignez-vous sur la provenance de votre viande de porc, privilégiez les petits producteurs qui élèvent bien leurs bêtes et mangez du porc bon, propre et juste et cochon qui s’en dédit.

 

 


Mots-clés : Technorati

le 24.10.08 à 09:00 dans Histoire des aliments
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