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Boire et Manger, quelle histoire !
Le blog d'une historienne de l'alimentation

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Bouchers et boucheries à travers les siècles-2

La suite de la saga des bouchers et l'évolution de ce noble métier.

 Des bouchers mal aimés avec un fort esprit de corps

Plus une ville était riche, plus la consommation de viande et le nombre des boucheries augmentaient, par conséquent dans les grandes villes, les corporations de bouchers étaient opulentes et influentes et formaient une caste spéciale.

Jusqu’au XVIIIème et au début du XIXème siècle, l’image des bouchers resta assez négative dans l’opinion publique.  Il y a plusieurs raisons à cela, pour limiter les nuisances provoquées par l’abattage public des bêtes dans la rue devant la boucherie et pour mieux les surveiller, les édiles municipaux obligèrent très vite les bouchers à se regrouper dans une rue ou un quartier. Ce regroupement a généré une profonde solidarité des bouchers entre eux et un fort esprit de corps. Il régnait aussi une forme d’endogamie à l’intérieur de la corporation qui s’organisait peu à peu de manière héréditaire. L’usage a fait que par la suite seuls les fils de bouchers furent admis dans la communauté, tant et si bien qu’au XIIème siècle, à Paris, six familles se partageaient les étaux de la Grande Boucherie. A la fin du XVIIème siècle, elles n’étaient plus que quatre dont une seule exerçait encore le métier les Thibert. Les plus remarquables d’entre eux sont passés à la postérité, tel Aubry-le-Boucher dont une rue porte le nom dans le 4ème arrondissement de Paris. Cet Aubry est un exemple de la richesse des bouchers de la Grande Boucherie, à sa mort au début du XVIème siècle, il possédait 5 maisons dans Paris, 60 arpents de terre et 2 maisons dans la région de Trappes.

Leur richesse permettait aux bouchers d’accéder au statut de bourgeois et les gens de métier et la bourgeoisie étaient animés d’un idéal réformateur. Ils suivirent Etienne Marcel au XIVème siècle et quelques années plus tard ce furent eux qui menèrent la révolte sous la direction du célèbre Simon Caboche, un écorcheur du Parvis de Notre-Dame. Les bouchers de la paroisse Ste Geneviève ont participé à de nombreuses émeutes au XVème siècle sous la direction de leur chef Le Gois et les bouchers en général ont joué un rôle important dans les révoltes et soulèvements urbains. Ces actions ont laissé une image négative des bouchers dans l’opinion publique qui a perduré au XVIIIème et même encore au XIXème siècle.  On prêta longtemps aux bouchers et aux garçons-bouchers un esprit belliqueux, une tendance à la violence que l’on observait lors des révoltes urbaines et des émeutes populaires et dans les procès verbaux et plaintes déposées auprès de la maréchaussée. Il semblerait qu’ils avaient le verbe haut et la main leste. Il y a peut-être une explication à cela, longtemps la viande fut vendue au morceau et non au poids, les discussions autour des étaux entre les clients qui soupçonnaient l’honnêteté du boucher et les bouchers qui prenaient mal cette suspicion pouvaient tourner vinaigre et même en bagarre.

Ils étaient mal aimés mais n’en étaient pas moins fiers de leur métier et la procession du Bœuf Gras, qui ne disparut totalement dans les villes qu’en 1952, était une manifestation publique de cette fierté.

Cet esprit de corps ne correspondait pas à l’idéal révolutionnaire et la Révolution Française supprima les corporations en 1791. Ce fut au  préfet de police que revint alors l’agrément de l‘exercice du métier de boucher  avant qu’en 1802 et 1811, la corporation de la boucherie parisienne fut rétablie avec l’obligation de créer un syndicat et de payer une caution variable selon l’importance de l’établissement pour chaque boucher qui s’installait. L’état récupérait les bénéfices de la boucherie.

 

 
Annibale Carracci, Boucherie, Christ Church Picture Gallery, Oxford

La modernisation d’un vieux métier

Dans les petites villes et les gros bourgs de campagne, l’organisation en métier juré n’existait pas. Les bouchers exerçaient librement leur métier et s’approvisionnaient auprès des marchands forains ou des éleveurs locaux qui venaient vendre leurs bestiaux lors des marchés et des foires. Ils ne furent pas concernés par le premier signe de changement que fut la suppression définitive des corporations en 1858 et la limitation du nombre des boucheries ; les étaux en surnombre furent rachetés et le produit de leur vente alimenta une caisse qui servait de caution à l’achat de bestiaux.  Mais la réforme qui provoqua la joie des habitants des villes fut l’interdiction d’abattre les bêtes en dehors des abattoirs municipaux. Ce qu’écrivait Louis Sébastien Mercier dans ses « Tableaux de Paris » : « Le sang ruisselle dans les rues, il se caille sous vos pieds et vos souliers en sont rougis. Le pacifique promeneur au sortir des boucheries parait un assassin.» résume l’opinion générale des habitants des villes qui ne prisaient guère le spectacle des animaux beuglant, ruant ou s’échappant provoquait moult désordres. Durant la première moitié du XIXème siècle, à Paris, cinq abattoirs furent construits, puis détruits et remplacés, à l’extrémité de la Villette, par un seul et vaste abattoir situé entre le canal de St-Denis et celui de l’Ourcq, près duquel s’étendait un immense marché aux bestiaux qui pouvait contenir plus de 30 000 bêtes avec des halles pour chaque type de bestiaux et qui remplaçait les deux grands marchés de Poissy et de Sceaux. L’abattoir de la Villette fut mis en service en 1867. Dans les grandes villes des abattoirs municipaux furent mis en activité auprès desquels les bouchers de la ville venaient s’approvisionner. Ils étaient situés hors des villes et clos pour éviter au public le spectacle de l’abattage des bêtes. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, des abattoirs toujours plus grands remplaçaient les premiers construits toujours plus loin du centre- ville. A Gerlant à Lyon, actif jusqu’en 1974,  en bordure de Garonne à Toulouse et Bordeaux. Ils fermèrent petit à petit  à la fin du XXème siècle au profit des abattoirs de campagne.


Abattoirs de Gerland, au fond à gauche, photo aérienne, 1920


Les bouchers des abattoirs formaient une corporation soudée et solidaire, ils créèrent les premières  caisses de secours de vieillesse et parlant entre eux le « 
largonji des louchébems », le jargon des bouchers que les plus âgés connaissent encore. Mais la création des abattoirs a modifié en profondeur le métier de boucher qui n’est plus un abattant-détaillant devenant un simple boucher détaillant. Une véritable rupture s’est créée dans cette profession. Les bouchers abattant restaient dans les abattoirs et les bouchers-détaillant dans leurs boucheries. Apparurent les bouchers de gros qui prirent le relais des chevillards.

A suivre...

 

Mots-clés : Technorati

le 11.07.13 à 12:32 dans Histoire des aliments
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