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Boucheries et bouchers, fin
Mon boucher est une star, c'est vrai. Les modes de consommation et d'achats évoluent, mais rien ne remplacera le boucher de mon quartier, celui qui connait les bêtes qu'il vend et peut vous en parler avec amour. On peut lui poser toutes sortes de question, le boucher reste une source précieuse de conseils.
En grande surface, un maitre mot : le temps.
On le voit les grandes surfaces captent la majorité des jeunes en apprentissage et de plus en plus de clients. Dans les magasins « Ed », on trouve parfois à l’intérieur même du magasin un rayon qui ressemble à une petite boucherie de quartier. Elles appartiennent à une même société, indépendante de la chaine Ed, les prix ne sont en effet pas alignés sur ceux du magasin. Certes le rayon ressemble à une boucherie de quartier, mais le fonctionnement est celui d’une grande surface à une exception près, on effectue un travail traditionnel sur le rayon, c’est un système de vente qui s’apparente à de la vente traditionnelle qui ressemble à celui de l’artisan avec installation du rayon chaque matin et son vidage le soir. Mais le boucher ne choisit pas ses bêtes et n’intervient en rien dans les achats. Mais les carcasses ou les morceaux sous vide arrivent des dépôts de l’entreprise qui ont été livrés par Rungis qui achète aux éleveurs. « Jusqu’ici, on était surtout livré de morceaux sous vide, mais maintenant c’est plutôt des carcasses, dit E. qui travaille dans cette société. Parce que c’est moins cher, même s’il y a beaucoup de gaspillage. 17 ans que je fais le métier et je peux dire qu’il y a une régression du métier. La viande est d’une qualité aléatoire et nous n’avons aucune influence dans les choix, il faut débiter et vendre les carcasses quelque soit leur qualité. Il faut toujours plus de rendement, aller toujours plus vite. Même pour l’hygiène, il faut gagner sans cesse du temps. Si bien que lorsqu’on a des apprentis, on leur apprend davantage de trucs pour aller vite que le vrai travail de boucherie. Et puis, il y a un gâchis énorme. Comme on doit aller plus vite et qu’on n’est pas assez nombreux, la découpe est moins soignée et il reste beaucoup de viande autour des os, on n’a plus le temps de faire un vrai travail de désossage. J’estime que l’on jette environ 300 kg de déchets par semaine. » Ces chiffres font réfléchir.
A la question, prenez-vous le temps de faire rassir la viande ? La réponse est « non, car il faut faire un inventaire chaque semaine et les frigos doivent être vides. Les morceaux qui rentrent doivent être débités et vendus dans la semaine. Pour faire de la marge, il faut faire tourner rapidement la viande. » Et les clients qu’en pensent-ils ? « On a très peu de contacts avec eux, hormis quelques habitués. Ce qui est paradoxal, ajoute-t-il, c’est que les clients aussi poussent à la vitesse, ils n’acceptent pas d’attendre. » Voila qui ne fait pas un effet bœuf !
A quoi rêve E. ? « Partir travailler chez un artisan. Ah, si le boucher de quartier auquel j’achète ma viande avait une place… On me dit souvent que j’ai une place tranquille à 35 h par semaine, c’est vrai, mais j’ai envie de faire vraiment mon métier, même si c’est moins tranquille.» Oui, mais 79, 2% des français achètent les viande en GMS et seulement 21 % dans une boucherie de vente au détail ou en vente directe, voire même sur Internet. (Source CIV d’après Panel Consoscan Secodip)
La star : mon boucher de campagne
J’ai rencontré un boucher heureux, installé dans sa boucherie sise sous les arcades d’une bastide du sud-ouest. Jérôme Mesure puisque tel est son nom a eu la vocation tout petit en voyant œuvrer son père, éleveur de bœufs et tueur de cochon en hiver dans les fermes. Une pratique qui est autorisé seulement pour la consommation familiale. La découpe de la viande lui plaisait et dès qu’il eut 14 ans, il est entré en apprentissage dans la boucherie où il exerce maintenant. Il partageait son temps entre son travail chez son maitre et le centre d’apprentissage d’Agen, puis de Périgueux. Dans une boucherie de campagne on apprend vraiment toutes les facettes du métier : en plus de la découpe et de la présentation des pièces et morceaux de boucherie, on apprend la charcuterie de base celle qu’on appelle la charcuterie de campagne : boudins, saucissons, jambons, pâtés et terrines.
Après 4 ans d’apprentissage et 2 ans de brevet de maitrise, à 20 ans, il est parti comme ouvrier, faisant des remplacements dans les boucheries. Jusqu’au jour où 4 ans plus tard, il a acheté une boucherie dans un petit village au bord de la Dordogne. Puis quelques années après, il a pu reprendre la boucherie où il avait fait son apprentissage.
A la campagne, on est un boucher heureux, moins bousculé qu’en ville ? Certainement et sur un point surtout, l’achat et l’abattage des bêtes. « J’achète toutes mes bêtes chez des éleveurs particuliers du canton et dans l’élevage familial puisque mon frère est éleveur. Je choisis des Blondes d’Aquitaine qui donnent une excellente viande. Je les choisis sur pied et souvent c’est mon père pour me faire gagner du temps qui les emmène à l’abattoir, une manière pour lui de ne pas décrocher du métier. L’abattoir de Bordeaux ferme à la fin de l’année. Il reste quatre abattoirs pour trois départements : Bazas en Gironde, Chalais en Charente, Bergerac et Eymet en Dordogne. Eymet ou Bergerac, pour moi, c’est tout près, mais mes collègues de Bordeaux, je ne sais pas comment ils font faire pour aller à l’abattoir, ça va leur prendre tellement de temps, beaucoup vont être obligé de passer par un grossiste. »
Les carcasses arrivent entières chez lui. Il découpe la carcasse en morceaux pour les mettre au frigo. « A l’abattoir les carcasses restent une semaine en frigo. Chez moi, je leur donne en plus quinze jours à trois semaines de vieillissement, un mois pour une cuisse de bœuf. Je vends toujours une viande qui est prête à être consommée le jour même ou le lendemain. La viande de boucher ne se garde pas, elle est suffisamment rassise. »
On ne voit plus les morceaux de viande suspendues à des crocs comme autrefois ? « Non, maintenant il faut garder la viande au frais. J’en découpe des morceaux entiers pour mettre dans la vitrine réfrigérée du magasin et je découpe à la demande. Je tiens à découper chaque morceau que le client me demande devant lui. La fierté de notre métier c’est la découpe, c’est un art très français et les clients veulent que la viande soit découpée et préparée devant eux. Le temps de la préparer permet aussi de discuter, de savoir comment ils vont, de parler de la viande, de répondre aux questions et de donner des conseils. Le client qui vient ici, il a le temps et les clients posent beaucoup de questions quand ils choisissent et regardent préparer la viande. Beaucoup ne connaissent plus la viande et le nom des morceaux. Souvent ils demandent un morceau parce qu’il l’on lu dans une recette sans savoir ce que c’est. Alors on leur explique et aussi d’où vient la viande. Ils sont rassurés de connaitre la provenance de la viande.»
La fameuse sécurité alimentaire qui répond à la peur de leur nourriture récurrente chez tous les mangeurs, une sorte d’instinct ancestral qui nous pousse à nous méfier de ce que nous mangeons, en France les contrôles sanitaires des produits de boucherie sont très anciens comme nous l’avons vu plus haut. Ils répondent au besoin de protéger celui qui achète et mange la viande et à la réputation et à la crédibilité d’une profession. « Toutes les boucheries sont contrôlées régulièrement pour vérifier que les règles d’hygiène sont bien appliquées, cela concerne la propreté de l’ensemble de la boucherie et de l’état des installations réfrigérées. Le contrôle sanitaire de chaque bête est effectué à l’abattoir par les services vétérinaires qui inspectent la langue et les abats. Les cas avérés de risques sanitaires détectés dans les abattoirs sont infimes et les animaux immédiatement retirés et l’élevage inspecté et surveillé. La provenance de chaque bête est facile à identifier car chaque animal possède sa « carte d’identité » un numéro de cheptel qui indique sa provenance exacte, le producteur et donc les méthodes d’élevage. Les normes sont très strictes en France pour le bétail français mais, paradoxalement, on importe des viandes de pays où les normes le sont beaucoup moins comme le Brésil ou le Portugal. C’est rassurant pour les clients de pouvoir identifier la provenance de la viande qu’ils vont manger. En plus du fait que j’affiche le nom de l’éleveur en discutant avec le client, je peux lui parler de l’animal que je lui prépare, je le connais depuis qu’il est né, je sais ce qu’il a mangé, son âge, comment il a été élevé. »
Si la célébrité de Jérôme Mesure ne dépasse pas les limites du canton, d’autres bouchers, à Paris notamment, sont des stars et c’est tant mieux ! On doit saluer leurs efforts pour faire connaitre leur métier et le travail des éleveurs sans lesquels il n’y aurait pas de viande de qualité. Dans cet esprit, le travail conjoint de La Maison de l’Aubrac et de Jean-Marie Le Bourdonnec mérite d’être saluer. La Maison de l’Aubrac qui ne sert que les viandes de bœufs d’Aubrac de l’élevage familial, la ferme des Vialars, vient d’installer dans le restaurant des vitrines de mûrissement pour faire connaitre les vertus du mûrissement aux clients. C’est dans ce lieu que Jean-Marie Le Bourdonnec a lancé son mouvement I love Bidoche. Il était temps de réhabiliter la viande et le métier de boucher après toutes les attaques venant des anti-viandes. Montrer l’importance de la sélection des bêtes, de leur élevage, le lien si important entre l’éleveur et le boucher. C’est à tout cela que J.M Le Bourdonnec œuvre. Il n’est pas le seul, Hugo Desnoyer fournisseur des plus belles tables parisiennes, dans un livre et sur son site, promotionne sans cesse la nécessité de choisir le nec plus ultra. Site Internet, page Facebook, émissions de télévision, interviews dans les journaux les plus sérieux, les bouchers prennent la place des stars du monde du spectacle. Ecoutons-les ! Ils ont des choses passionnantes à nous raconter et à nous apprendre.
Je me rappelle fort bien la surprise et l’étonnement ravie d’une correspondante à la vue d’une boucherie. Elle ne cessait de prendre en photo des carcasses suspendues à des crocs et les étals de boucheries. Jamais elle n’avait vu de viande à l’air libre, ce qui provoquait également notre étonnement. Les boucheries et le tour de France ! Elle allait de surprise en surprise. Quelques décennies plus tard, nos enfants seraient aussi étonnés que cette jeune américaine, la plupart d’entre eux ne connaissant que des morceaux de viande en barquettes emballés sous film-plastique. Cachez cette viande que je ne saurais voir !
Car cette profession a vu ses pratiques évoluer très rapidement. Si les bouchers furent des personnages considérables lorsque les métiers se sont mis en place et si le métier a connu des périodes fastes quand la consommation de viande prit le pas sur les autres aliments, il n’en est plus tout à fait de même de nos jours. Le goût de la viande serait-il en train de disparaitre ?
Certainement pas. Les centres d’apprentissage des métiers de la viande attirent encore des jeunes attirés par le savoir-faire et les clients retournent plus nombreux chez les bouchers de proximité. Après les différentes crises alimentaires et malgré la concurrence de la grande distribution qui apparait dans les années 1960, les consommateurs font davantage confiance à leur boucher. Son boucher de quartier, on le connait, on sait d’où vient sa viande, on sait comment il travaille, on peut discuter avec lui. La confiance et la relation humaine sont deux aspects primordiaux dans l’acte de se nourrir. Car chacun a bien compris que la qualité de sa nourriture est importante.
Ségolène Lefèvre
Biblio :
Paris au Moyen-âge Simone Roux, Hachette littératures, 2003
L’alimentation à Paris, les halles et les marchés, éditions Menu Fretin, 2008
Le mangeur au XIXème siècle, Jean-Paul Aron, petite bibliothèque Payot, 1989
Histoires des peurs alimentaires, Madeleine Ferrières, Seuil, 2002
Histoire de l’alimentation, sous la direction de J.L Flandrin et Massimo Montanari, Fayard, 1986
Mon dictionnaire de cuisine, Alexandre Dumas,
La rue au moyen-âge, J.P Leguay, Ouest France université, 1984
René Héron de Villefosse « La Grande Boucherie de Paris », Thèse de l’Ecole des Chartes, publiée en partie dans le Bulletin de la société de l’Histoire de Paris et de l’Ile-de-France, 55ème année, 1928, p 39.et suiv. (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33028p/f41.image.r=Bulletin%20de%20la%20soci%C3%A9t%C3%A9%20de%20l%E2%80%99Histoire%20de%20Paris%20et%20de%20l%E2%80%99Ile-de-France,.langFR)
Libéralisme et corporatisme chez les bouchers parisiens (1776-1944) Sylvain Leteux, thèse de Doctorat, Université de Lille, 2005 (http://documents.univ-lille3.fr/files/pub/www/recherche/theses/leteux-sylvain/html/these_body.html)
Mots-clés : Boucherie
le 01.08.13 à 12:50
dans Histoire des aliments
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L'histoire des légumes, des potagers, du néolithique à nos jours en passant par les abbayes. Plus une cinquantaine de recettes de Michel Portos, cuisinier de l'année 2012 GaultMillau, avec les accords vins de Patrick Chazallet. De très belles photos d'Anne Lanta, une préface de Christian Coulon pour la beauté de l'ouvrage. Analyse sur un ton léger des rapports des femmes au vin de l'Antiquité à nos jours, les interdits, les tabous, les transgressions, se ponctuant par quelques portraits de femmes du vin contemporaines.Vos dernières réactions
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Commentaires
Triste vérité
Tout a fait d"accord avec votre article, bien écrit, bien dit, et d'une triste réalité
Vin futé - 08.08.13 à 17:14 - # - Répondre -
Bonjour, j’adore vraiment ce que vous faites je me demande comment j'ai pu rater votre blog
circuit sud marocain - 30.08.13 à 12:53 - # - Répondre -
Des articles très intérressants! je découvre votre blog ,je reviendrai merci beaucoup!
pequery - 04.12.13 à 17:23 - # - Répondre -