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Beurre et matières grasses
Ce soir dans l'émission 100% Mag sur M6, le thème est "Le Beurre". J'ai eu le plaisir d'enregistrer quelques minutes sur l'évolution du beurre dans nos sociétés. Enregistrement réalisé dans les salons du Grand Hôtel à Bordeaux. Mais quelques minutes c'est peu et je vous propose d'en savoir un peu plus dans cet article. Plus plus de connaissnces, je vous renvoie aux articles publiés précédément sur ce blog, en cherchant dans la rubrique Beurre.
L’obsession de nos sociétés repues de la minceur et de la légèreté est assez récente. Elle naît à la fin du XXème siècle, à partir des années 60 et ira en s’amplifiant, boostée par des nutritionnistes hygiénistes et l’industrie agro-alimentaire qui avait trouvé dans les aliments allégés matière à se faire du beurre. Auparavant et cela durant des siècles, l’obsession de la majorité des mangeurs était de manger à sa faim et d’essayer de se faire du gras pour résister aux périodes nombreuses de pénurie voire de famine. N’oublions pas qu’entre le XVIe et le XVIIIème siècle, les historiens, dont Emmanuel Leroy-Ladurie, ont recensé 40 famines et il y en eu encore une importante au XIXème siècle en 1816-1817. Alors manger gras ou maigre était bien le cadet de leur souci ! Seuls pouvaient s’en préoccuper les plus riches qui mangeaient à leur faim chaque jour, mais porter un embonpoint était le signe visible de leur richesse et la mode aimait alors les femmes en chair.
Les corps gras avant la Réforme
Jusqu’au XVème siècle, c'est-à-dire durant tout le moyen-âge, le beurre était une graisse populaire, nous en avons pour preuve les recettes publiées à cette époque. Dans les livres de recettes écrits par les cuisiniers des maisons aristocratiques le beurre n’entre que dans 1,4% des recettes alors que dans Le Mesnagier de Paris il est présent dans 13% des recettes écrites par un bourgeois pour sa jeune épouse. L’auteur du Thrésor de Santé, paru en 1607, écrit à propos du beurre : « En France, l’usage en est commun et plus de pauvres que de riches. » Peu à peu l’usage du beurre s’étendra à toutes les couches de la société. Les livres de recettes montrent 7,5% de recettes contenant du beurre de manière significative au XVème siècle et 33% au siècle suivant.
Quelles étaient les graisses utilisées au XVème siècle ? Le lard et le saindoux, l’huile et le beurre. C’était la triade classique dans tout l’Occident qui montre cependant quelques contraintes régionales dues aux contextes économique et géographique. L’usage du beurre n’était pas circonscrit aux régions beurrières, il était répandu partout – même dans les provinces du sud comme la Catalogne ou l’Italie du sud - mais comme on l’a vu avec l’exemple des recettes, il n’était pas la graisse dominante. Cependant l’usage du beurre était important en Europe du nord dans une zone allant de la Normandie au Danemark tout le long des côtes de la Manche et de la Mer du Nord. Il est logique que le beurre soit présent dans les régions d’élevage, il était difficile de le conserver longtemps – et c’est pour cette raison qu’il était salé - et de le transporter sans dommage loin de sa zone de fabrication. Ailleurs, chaque fermière possédant une ou plusieurs vaches, baratait sa crème et fabriquait du beurre pour une consommation familiale et une vente au marché local.
Jusqu’au XVème siècle, la grande question dont disputaient les ecclésiastiques était : le beurre est-il une graisse de jours maigres ou de jours gras ? Son origine animale aurait du en faire une graisse de jours gras. Ce que pratiquaient certaines régions comme l’Angleterre où le beurre n’était pas consommé pendant le Carême, on en limitait l’usage à quelques recettes maigres qui marquaient des étapes dans cette période de jeûne : beignets et crêpes. Les douceurs du Mardi-Gras dont le nom est très explicite. A contrario, en France, le beurre était une graisse de Carême qui accompagnait les plats de poissons. Il y avait une raison à cela, si l’huile était la graisse de carême, dans certaines régions elle était inaccessible aux paysans pauvres des régions beurrières comme la Bretagne, la Normandie et les Flandres auxquels l’Eglise avait octroyé une dispense. Partout ailleurs l’huile de noix, de lin ou d’œillette, étaient l’ordinaire des moins riches tout au long de l’année. Et les préparations au lard, à la graisse d’oie et au saindoux étaient réputées plus luxueuses que le cuisine au beurre qui a gardé longtemps un statut rustique, des relents de pauvreté comme tous les laitages d’ailleurs. Il y avait bien une France septentrionale du beurre et une France méridionale de l’huile. Malgré cela, tout au long du XVème siècle le goût du beurre se répand dans toute l’Europe, en particulier celui du beurre frais frit pour cuire les légumes et les plantes potagères, même les italiens faisaient frire les raviolis dans du beurre ! Cette habitude avait pris chez les riches italiens du sud, une sorte de snobisme marquant la différence avec les populations pauvres vouées à l’huile d’olive omniprésente.
A partir du XVIème siècle, le beurre commença une lente progression dans les habitudes culinaires. Il eut d’abord une grande révolution dans les mentalités. Il y eut une cause religieuse : la Réforme catholique, appelée aussi Contre-Réforme. A cette occasion, l’église catholique autorisa l’usage du beurre durant le Carême et les jours maigres. Terminées les gloses sur la nature animale ou non du beurre. Une autre raison de cet intérêt pour le beurre se trouve dans les nouvelles techniques de cuisson avec l’invention du potager, l’ancêtre du fourneau. Cette construction en pierres ou briques percée sur le dessus de trous permettait une cuisson séparée des aliments. Dorénavant, on pouvait faire revenir les viandes, les poissons, les légumes séparément dans du beurre. Ensuite l’adoption du roux en cuisine a consacré l’usage gastronomique du beurre. Pour preuve, les livres de cuisine contiennent 35 à 62% de recettes utilisant du beurre. Que dire du XIXème siècle qui voit le triomphe du beurre ! Il est présent partout, dans les plats de viandes et de poissons, de légumes, dans les sauces où il est un liant inimitable et même dans les desserts avec la crème au beurre qui garnit les gâteaux dont c’est aussi la période de gloire. Il n’y a qu’à consulter l’Escoffier pour se rendre compte de la quantité - que nous jugeons déraisonnable - de beurre qui était utilisée en cuisine.
Au début du siècle suivant, les biologistes ont découvert les vitamines et par conséquent celles que contenaient le beurre et les mangeurs, ravis, réalisaient que le beurre n’était pas seulement bon, mais aussi excellent pour la santé. Une bonne occasion de manger du beurre en toute bonne conscience. Et au fil et à mesure que les connaissances scientifiques progressaient, les bienfaits du beurre apparaissaient et apaisaient les scrupules des amateurs de beurre.
La cuisine et encore plus la Grande Cuisine fait grand usage du beurre. Les deux guerres qui apportèrent leur lot de privations attisèrent le désir, une fois la paix revenue, de remettre du beurre dans ses épinards, mais pas seulement : raie au beurre noir, beurre manié, sauce montée au beurre, et les béchamels et les noisettes de beurre sur les gratins… la liste des utilisations du beurre serait longue à énumérer. « Du beurre, encore, du beurre toujours du beurre » ainsi que le disait Fernand Point – qui avait bien allégé la cuisine pourtant- telle fut la devise jusqu’à ce qu’arrive …
La détestation du beurre
Dans les années 60 ont commencé les premières interrogations sur les aliments et la santé. Les sondages sont éloquents : 69% des personnes interrogées désignaient les matières grasses comme la première catégorie d’aliments dont il conviendrait « de limiter la consommation pour être en bonne santé » et 67% pensaient que les corps gras font grossir.
Pourquoi ce revirement ? Simplement parce qu’après avoir goûté les plaisirs de cuisiner et de manger les matières grasses absentes durant la seconde guerre mondiale, la mode, le style de vie impose la minceur comme un modèle obligatoire, et aussi contradictoire que cela puisse paraitre ce modèle est lié à l’abondance. Les rondeurs sont mal vues depuis les années 50 et le beurre jusqu’alors vanté et recherché pour ses qualités nutritives et sa richesse en vitamine D devient une mauvaise graisse.
Vous souvenez-vous de ce slogan publicitaire pour une célèbre eau minérale « 1 kilo de trop, c’est 1 an de plus » ? C’est le mythe de l’éternelle jeunesse qui s’installe et qui va faire du beurre un Satan alimentaire en raison de la lipophobie et de la chasse au cholestérol qui est devenue le cheval de bataille de la médecine. Les sondages dont on a parlé plus haut montrent que les français font preuve d’une étonnante méconnaissance vis-à-vis des teneurs en lipides en matières grasses. En effet, le beurre arrivait en deuxième position (61%) derrière les corps gras animaux et devant les huiles (36%) et surtout l’huile d’olive (4%) qui, grâce à la vogue du régime crétois, est parée, à tort, de toutes les vertus. Il y a une confusion stupéfiante entre ce qui est bon pour la santé et ce qui est bon pour la ligne. C’est la bataille entre les graisses végétales contenant des acides gras insaturés considérés comme bon pour la santé et les graisses animales, acides gras saturés devenues du mauvais gras.
Cela a eu pour conséquence en 1964 la mise sur le marché des laits écrémés et des laitages à 0% de matières grasses qui, malgré leur manque de goût, leur texture crayeuse et leur qualité nutritive nulle, font un tabac. Et en 1980 la naissance d’une pâte à tartiner à 41% de matières grasses improprement appelé beurre allégé. L’année 1988 voit l’arrivée légale du beurre allégé, la loi autorisant la qualification de beurre pour des produits contenant moins de 82% de matières grasses d’origine laitière.
Le constat est grave : en 1988 la consommation de beurre baisse et va baisser de 9% par an jusqu’aux années 90. (Source: Chronique des jours sans faim in To eat or not to eat, OCHA 1994)
XXIème siècle: le retour du beurre
Sont-ce les campagnes publicitaires des régions beurrières : Normandie, Charente-Poitou, les actions du CNIEL (centre national interprofessionnel de l’économie laitière) en 1981, nos goûts qui ont changé, ou une nouvelle mode alimentaire? En ce début de XXIe siècle, l’image du beurre commence peu à peu à changer dans les esprits.
On assiste pour la première fois à un vrai débat scientifique avec des chercheurs, des médecins et des nutritionnistes qui a pour conséquence que diminue la phobie envers les matières grasses et le cholestérol. Le beurre donne une image de santé et de modernité dans des informations non publicitaires auprès des leaders d’opinion. On vante les qualités de goût, de « nature », des traditions culinaires et de l’art de vivre ce qui met en avant le côté « culturel » du beurre.
Le beurre redevient un bon aliment.
Même la diététique crie haro sur les régimes et redécouvre les qualités du beurre. Les chefs relaient le message et remettent du beurre sur les tables des restaurants.
Conséquence à la fin des années 90, la tendance s’inverse et les mangeurs se remettent à apprécier le beurre. En 1993, la consommation moyenne de beurre est de 8,2 kg par an et par personne et le beurre prend 62% du marché des corps gras.
Il était temps, on sait maintenant que le beurre n’est pas si nocif pour la santé qu’on le disait auparavant : le beurre contient 80% de lipides (comme la margarine et moins que les huiles) et 15 à 17% d’eau qui s’évapore à la cuisson, des protéines, du calcium, du phosphore, du sélénium et des vitamines liposolubles A, D, E. Les vitamines A et D sont des antioxydants, de plus le beurre contient des acides linoléiques qui luttent contre le cancer et le durcissement de artères.
On redécouvre qu’il rehausse le goût des aliments car c’est un remarquable exhausteur de gouts et que contrairement à la margarine, c’est un aliment sain.
Il est conseillé de le consommer cru et de préférence du beurre cru c'est-à-dire fermier qui conserve toutes ses qualités, de le cuire doucement et à basse température. Il est utilisé dans des beurres composés et dans des sauces plus légères. On redécouvre le beurre clarifié. Et dernièrement Claude Fischler dans le chapitre l’alimentation et ses représentations de son ouvrage Manger aujourd’hui, donne les chiffres suivants
- 87% des mangeurs apprécient la forte dimension gustative du beurre
- 76% sa dimension identitaire
- 47% trouve que le beurre véhicule une image positive
- 61% que le beurre fait grossir
- 21% que la margarine est meilleure (alors qu’elle possède la même teneur en lipides)
- 36% que l’huile est meilleure (bien qu’elle ait une teneur supérieure en lipides)
Les idées fausses ont la vie dure !
Les peurs alimentaires sont tenaces et les mangeurs aiment se faire peur. Il est certain que les informations qui nous disent une chose un jour et son contraire le lendemain peuvent troubler des esprits mal informés. Il reste une seule alternative : suivre son bon sens et ne pas tomber dans l’excès, savoir écouter ses besoins et adapter son alimentation à son mode de vie. Le beurre et les matières grasses sont nécessaires à notre santé et à notre équilibre alimentaire. De bonnes tartines de beurre cru au petit déjeuner procurent un plaisir indispensable pour bien commencer une journée de travail. Et les aliments mangés avec plaisir sont bons pour le moral et font moins de mal que les aliments consommés dans un esprit de culpabilité, j’en suis persuadée.
Mots-clés : Beurre
le 11.03.13 à 10:40
dans Histoire des aliments
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Commentaires
Le beurre et les matières grasses sont en effet très indispensables pour notre santé. En tout cas, il faut bien veiller à en consommer avec modération car tout excès peut nous faire gagner des kilos en trop ! Donc, bien y faire attention!
cellulite Paris - 11.03.13 à 20:08 - # - Répondre -
Entièrement d'accord. Vive le beurre !
J'ajoute que la célèbre marque Elle et Vire, jouant sur son image " terroir normand " nous vend maintenant un pseudo beurre gastronomique sous un emballage inchangé, alors qu'il s'agit d'une préparation à 60% : le mot beurre figure quand même en tout petit en bas à gauche. Cela devrait être interdit !
Chappon - 12.03.13 à 10:58 - # - Répondre -